RSF: Rapport annuel 2002

RSF – Reporters sans frontières

Algérie

Rapport annuel 2002

Superficie : 2 381 741 km2.
Population : 30 291 000.
Langue : arabe.
Nature de l’Etat : république unitaire.
Chef de l’Etat : Abdelaziz Bouteflika.
Premier ministre : Ali Benflis.

Suite aux violentes critiques de la presse privée contre le Président et le gouvernement concernant, notamment, l’application de la loi sur la concorde civile, deux hauts représentants de l’Etat s’en sont pris aux journaux. En mai 2001, l’Assemblée générale algérienne a adopté un projet d’amendement du Code pénal qui renforce les peines de prison et les amendes pour les délits de presse.

Suite aux violentes critiques de la presse privée contre le Président et le gouvernement, notamment sur l’application de la loi sur la concorde civile, deux hauts représentants de l’Etat s’en sont pris aux journaux. Le 12 janvier 2001, à Batna, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a donné le ton : « Il est indécent d’infliger une amende de 1 000 dinars (environ 15 euros) à une personne qui insulte l’Etat et attente à son prestige à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il ne faut pas confondre la liberté d’opinion, qui est un moyen de prise de conscience et de culture, avec l’invective. » En février, Mohammed Lamari, le chef d’état-major des armées, renchérissait : « Vous avez vu et vous aurez encore à constater à travers des écrits éhontés, des caricatures et autres, des outrances et des insanités à l’égard de votre armée. L’obligation de réserve qui est la nôtre jusqu’ici ne peut nous empêcher de regretter l’usage méprisable qui est fait des libertés chèrement acquises par notre peuple. »

Trois mois plus tard, le 16 mai 2001, l’Assemblée générale adoptait le projet d’amendement du Code pénal provoquant un véritable tollé parmi les journalistes. L’article 144 bis prévoit désormais des peines de deux à douze mois de prison et des amendes variant de 50 000 à 250 000 dinars (environ 750 à 3750 euros) contre toute « atteinte au président de la République en termes contenant l’injure, l’insulte ou la diffamation, soit par l’écrit, le dessin ou par voie de déclaration, et ce, quel que soit le moyen utilisé : diffusion sonore, image, support électronique, informatique ou autre ». Les poursuites peuvent désormais être engagées directement par le ministère public, sans dépôt préalable d’une plainte. En cas de récidive, les peines d’emprisonnement et les amendes sont « portées au double ». Toutes ces sanctions sont également applicables quand les délits sont commis à l’encontre du « Parlement ou de l’une de ses deux Chambres, de l’ANP » (l’Armée nationale populaire) mais aussi de toute « autre institution publique ou tout autre corps constitué ». Depuis, plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines de prison. De son côté, les journalistes de la presse étrangère, comme les années précédentes, ont rencontré des difficultés pour obtenir des visas. Enfin, en couvrant les émeutes de juin violemment réprimées à Alger, deux journalistes, Fadila Nedjma, reporter au quotidien Al-Chourouk, et Adel Zerrouk, du quotidien Erraï, ont été tués de façon accidentelle à Alger.

Nouveaux éléments sur des journalistes tués avant 2001

Au 1er janvier 2002, aucune information nouvelle n’a été fournie par les autorités sur les 57 journalistes assassinés entre 1993 et 1996. Une quarantaine d’autres employés des médias avaient également trouvé la mort au cours de ces années noires. En juin 2000, des représentants du ministère de la Justice affirmaient que, pour vingt des professionnels de la presse assassinés, les auteurs ou leurs complices avaient été identifiés et parfois condamnés. Dans tous les autres cas, ces mêmes officiels affirmaient qu’une enquête préliminaire avait été ouverte. Dans plusieurs affaires présentées comme « élucidées », au moins quinze condamnations par contumace à la peine capitale auraient été prononcées depuis 1993. De leur côté, des avocats déclaraient que, dans certaines affaires, les forces de l’ordre avaient « collé » des assassinats de journalistes à des gens arrêtés dans le cadre de la lutte contre les groupes armés islamistes. S’il ne fait aucun doute que la majorité de ces 57 journalistes ont été tués par des groupes armés islamistes, quelques cas, notamment ceux de journalistes proches du Front islamique du salut (FIS), posent un certain nombre de questions. Plusieurs personnes pensent qu’ils ont pu être assassinés par des services proches du pouvoir, de façon à « éliminer les gêneurs, diaboliser les terroristes et intimider la presse ».

Cinq journalistes disparus

Cinq journalistes ont « disparu » entre 1994 et 1997. Deux d’entre eux ont été enlevés par des groupes armés islamistes. Pour les trois autres, et dans l’attente d’enquêtes approfondies, différents éléments permettent de penser qu’ils ont été enlevés par des membres des forces de sécurité.

Le 28 février 1994, Mohamed Hassaïne, correspondant local du quotidien Alger Républicain, est enlevé à la sortie de son domicile à Larbatache (wilaya de Boumerdès), alors qu’il se rendait à son travail. Selon les témoignages de ses proches et de sa famille, les quatre hommes qui ont enlevé Mohamed Hassaïne appartiendraient à des groupes armés islamistes. Des « repentis » affirment qu’il a été assassiné le jour même de son enlèvement.

Le 29 octobre 1994, Kaddour Bousselham, correspondant du quotidien public Horizons à Hacine, dans la région de Mascara (ouest du pays), est enlevé. Il habitait avec sa famille sous une tente depuis que son domicile avait été détruit par un tremblement de terre. Il aurait été torturé puis égorgé par un groupe armé islamiste, dirigé par l’émir Zoubir. Selon les services du ministère de la Justice, une information judiciaire a été ouverte le 27 novembre 1994. Elle a débouché sur un non-lieu prononcé le 18 février 1995.

Le 6 mai 1995, Djamil Fahassi, journaliste à la Chaîne 3 de la radio nationale, est enlevé par deux individus alors qu’il sortait d’un restaurant. Il est conduit de force dans une voiture qui, d’après plusieurs témoins, a pu franchir sans aucun problème un barrage de police, situé tout près de la prison de El Harrach. Selon le ministère de la Justice, cette affaire a fait l’objet d’une enquête préliminaire et serait en cours d’instruction devant le tribunal d’Alger. Pour l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH – gouvernemental), citant la gendarmerie nationale, Djamil Fahassi n’a fait l’objet « ni d’une interpellation, ni d’une arrestation ».

Le 12 avril 1997, Aziz Bouabdallah, journaliste du quotidien arabophone El-Alam Es-Siyassi, est enlevé à son domicile, à Alger, par plusieurs hommes « très bien habillés en civil, comme des membres de la sécurité militaire », selon la famille. Le journaliste est conduit de force dans une voiture blanche. Quelques jours après l’enlèvement, un ami de la famille, capitaine du Département de renseignements et de sécurité (DRS), affirme être responsable de « l’opération » et explique qu’Aziz Bouabdallah « n’a rien fait, il a simplement écrit un article diffamatoire ». Quinze jours plus tard, alors que la famille tente d’obtenir plus d’informations, l’officier a disparu. Selon l’ONDH, la gendarmerie nationale a expliqué que le journaliste avait été « enlevé par un groupe armé non identifié (GANI) de quatre hommes ». Le non-lieu prononcé par le tribunal d’Alger, le 20 mai 2000, a été annulé, le 27 juin, par la chambre d’accusation.

Le 9 juillet 1996, Salah Kitouni, directeur de l’hebdomadaire national El Nour, suspendu en octobre 1992, se présente au commissariat de police de Constantine après y avoir été interrogé quelques jours plus tôt. Depuis, sa famille est sans nouvelles. Suite à ses demandes écrites, le procureur l’informe, en mars 1997, que la police a remis Salah Kitouni, le 19 juillet 1996, au Centre de recherches et d’investigations de la cinquième région militaire. Depuis, la famille de Salah Kitouni n’a reçu aucune réponse aux multiples lettres adressées aussi bien à l’ONDH, au médiateur de la République qu’au chef de l’Etat lui-même.

La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme qui a remplacé l’ONDH (officiellement dissous), en avril 2001, n’a apporté aucun élément nouveau sur ces disparitions.

Un journaliste interpellé

Le 7 mai 2001, Saad Djaffar, photographe de l’hebdomadaire arabophone Mechouar el Ousbou’a, est placé sous mandat de dépôt, par un tribunal d’Alger. Cette arrestation est intervenue après la parution de la photo d’une jeune fille illustrant un reportage sur la prostitution (Mechouar el Ousbou’a du 25 avril 2001). Bien que le photographe ait reconnu son erreur au tribunal – la jeune fille de la photo n’avait rien à voir avec le sujet -, la famille de cette dernière a décidé de maintenir sa plainte. Le directeur de publication de l’hebdomadaire, le rédacteur en chef et l’auteur de l’article ont été laissés en liberté. Le photographe a été relâché en attendant le résultat de son appel.

Un journaliste agressé

Le 25 mai 2001, Nadir Bensebaa, du quotidien Le Matin, est agressé par un policier alors qu’il couvre des émeutes à Tizi Ouzou. Selon le journaliste, le policier a cassé sa matraque sur son dos et l’a frappé à coups de pied et de poing bien qu’il lui ait montré sa carte de presse. Les policiers témoins de la scène ne sont intervenus qu’une fois qu’il était à terre. Hospitalisé, Nadir Bensebaa a obtenu un arrêt de travail de cinq jours.

Pressions et entraves

Début avril 2001, l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur est interdit de distribution. Le numéro daté du 29 mars avait consacré un dossier à l’Algérie intitulé « Autopsie des massacres ». Le mensuel français Le Monde diplomatique daté d’avril subit le même sort. Dans un article titré « La guerre continue en Algérie », le chercheur Lahouari Addi écrivait notamment : « … cette liberté de la presse s’exerçant contre un pouvoir largement formel, celui du président, dépourvu de toute autorité réelle, ne sert qu’à entretenir une magie qui transforme en pouvoir démocratique un régime autoritaire et répressif. Et qui présente l’armée comme le dernier rempart face à l’épouvantail intégriste. »

Le 29 mai, Chahreddine Berriah, chef du bureau régional du quotidien El Watan à Tlemcen, est condamné à huit mois de prison par le tribunal de Ghazaouet. Le journaliste est poursuivi pour « diffamation » suite à une plainte de plusieurs habitants de la localité de Boukanoun. Il a fait appel.

En juin, sur la dizaine de médias français qui ont fait une demande de visa pour l’Algérie, dans la perspective de la visite à Alger, le 14 juin, du ministre français du Commerce extérieur, plusieurs, dont Libération, Le Figaro et Le Monde, ont essuyé une non-réponse équivalant à un refus. Ce n’est qu’en novembre que Thierry Oberlé, du Figaro, et José Garçon, de Libération, ont pu obtenir ce visa dans le cadre du voyage officiel de Jacques Chirac au Maghreb, alors qu’ils attendaient depuis des mois une réponse positive à leurs multiples demandes.

Le 11 juillet, Faouzia Ababsa, directrice du quotidien L’Authentique, est condamnée à six mois de prison ferme et 1 500 dinars (environ 22 euros) d’amende pour « diffamation » envers Abdelkrim Mahmoudi, président de l’Association des cadres des finances, après l’avoir accusé notamment de détournement de fonds. Par ailleurs, L’Authentique a fait l’objet, le 18 juillet, de vingt-deux citations à comparaître émanant toutes de l’ancien terroriste Ahmed Merah. La directrice du quotidien qui avait alors dénoncé un « harcèlement judiciaire » a fait appel.

Le 26 novembre, l’hebdomadaire arabophone El Mouaad el Djazairi est retiré des étalages des buralistes après distribution. Le directeur du journal, Abdelkader Talbi, est convoqué par les services de sécurité les 27 et 28 novembre. La saisie n’a été précédée d’aucune notification et les services qui ont procédé à cette saisie n’ont pas été identifiés. Selon les journalistes d’El Mouaad el Djazairi, cette sanction aurait un rapport avec le dernier éditorial du journal qui accusait l’Etat de pratiquer un genre de terrorisme plus dangereux que celui pratiqué par les terroristes eux-mêmes. « Un terrorisme qui trouve du plaisir dans tout ce qu’il entreprend et même dans les tueries collectives » peut-on lire dans cet éditorial qui épingle ainsi le pouvoir suite aux inondations meurtrières du 10 novembre. Selon le quotidien Le Jeune Indépendant du 27 novembre, « il se pourrait aussi que les raisons de la saisie de l’hebdomadaire soient liées au long dossier consacré à l’assassinat d’Abdelkader Hachani, responsable du FIS dissous ». Le titre a été suspendu pour six mois renouvelables conformément aux dispositions de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992.