Amnesty International: Rapport annuel sur l’Algérie

Algérie

Rapport annuel d’Amnesty International

ALGÉRIE
REPÈRES
République algérienne démocratique et populaire
CAPITALE : Alger
SUPERFICIE : 2 381 741 km2
POPULATION : 30,8 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Abdelaziz Bouteflika
CHEF DU GOUVERNEMENT : Ahmed Benbitour, remplacé par Ali Benflis le 26 août
LANGUE OFFICIELLE : arabe
PEINE DE MORT : maintenue, mais un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis 1994

Plus de 2 500 personnes, dont des femmes et des enfants, ont été tuées au cours de l’année, soit par des groupes armés se définissant eux-mêmes comme des  » groupes islamiques « , soit par des forces de sécurité ou des milices paramilitaires. Les préoccupations concernant la question de l’impunité n’ont fait que croître après que des membres de groupes armés eurent été amnistiés ou exemptés de poursuites judiciaires, alors qu’aucune véritable enquête n’avait été menée afin d’établir s’ils avaient perpétré ou non de graves atteintes aux droits humains. Les autorités algériennes n’ont adopté aucune mesure concrète en vue de déférer à la justice les membres des forces de sécurité ou des milices paramilitaires qui se seraient rendus responsables de violations des droits humains cette année ou au cours des années précédentes. Les milliers d’homicides, les massacres, les allégations de torture, les  » disparitions « , les enlèvements de ces dernières années n’ont pas donné lieu à des enquêtes indépendantes. Le moratoire sur les exécutions promulgué en 1994 était toujours en vigueur.

Contexte
Une commission chargée de présenter un projet de réforme du système judiciaire a remis son rapport au président en juin. Ce document n’avait pas été rendu public à la fin 2000.
En août, les autorités ont annoncé qu’elles allaient prendre différentes mesures intéressant les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense, en vue de renforcer les mécanismes de contrôle judiciaire de l’action des agents de la force publique. Ces mesures concernent notamment l’obligation, pour les détenus, de passer un examen médical à la fin de la période de garde à vue, sauf en cas de refus de leur part, et l’identification des lieux où ils ont été placés par telle ou telle branche des forces de sécurité avant d’être présentés aux autorités judiciaires. À la fin de l’année, cependant, les modifications des lois relatives à la garde à vue, qui auraient permis l’entrée en vigueur de certaines des mesures envisagées, n’avaient pas été effectuées et les autorités se refusaient à fournir des précisions sur le contenu et le calendrier d’application de ces mesures. L’état d’urgence proclamé en 1992 n’avait toujours pas été levé.

Amnistie de membres de groupes armés
Au mois de janvier, le président Bouteflika a adopté un décret accordant une grâce amnistiante aux membres de groupes armés dont les noms devaient figurer en annexe au texte du décret. Cependant, cette liste n’a pas été rendue publique. Les autorités n’ont fourni aucun chiffre précis concernant le nombre de combattants de groupes armés qui ont bénéficié de l’amnistie présidentielle ou qui se sont rendus dans le cadre de la Loi de 1999 sur la concorde civile. D’après des sources gouvernementales, environ 5 500 membres de groupes armés se sont livrés aux autorités entre juillet 1999 et le 13 juin 2000. Parmi eux, un peu plus de 1 000, qui appartenaient à l’Armée islamique du salut (AIS) ou à la Ligue islamique de la Daawa et du Djihad (LIDD), ont bénéficié de l’amnistie présidentielle. Quelque 4 500 autres, qui se sont rendus en vertu de la Loi sur la concorde civile, faisaient partie du Groupe islamique armé (GIA), du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ou d’autres groupes moins connus.
La Loi sur la concorde civile prévoyait que les membres de groupes armés acceptant de se rendre dans un délai de six mois à partir du 13 juillet 1999 ne seraient pas poursuivis s’ils n’avaient pas tué, violé, causé une incapacité permanente ni posé des bombes dans des lieux publics ; ceux qui avaient commis de tels crimes seraient condamnés à des peines réduites. Il était également prévu que les personnes qui se livreraient aux autorités après les six mois fixés comme durée d’application de la loi – c’est-à-dire après janvier 2000 – ne pourraient plus bénéficier de l’exemption de poursuites ni de peines réduites. Pourtant, alors que la date butoir avait été dépassée, certains responsables gouvernementaux, dont le président, ont fait savoir que les combattants qui se rendraient de leur plein gré pourraient eux aussi bénéficier de mesures de clémence, par ailleurs non précisées. Selon des informations concordantes, des membres de groupes armés qui se sont rendus après le mois de janvier ont été relâchés immédiatement et eux aussi exemptés de poursuites, sans que des enquêtes appropriées aient été menées.

Justice et impunité
Le gouvernement n’a fourni aucune information au sujet des enquêtes qui, selon les autorités, ont été conduites sur les exactions et violations massives des droits humains commises ces dernières années ou en l’an 2000. À la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure concrète n’a été prise en vue de traduire en justice les responsables présumés.
L’impunité dont continuaient de bénéficier très largement les forces de sécurité et les milices paramilitaires a été étendue à des membres de groupes armés qui se sont rendus responsables de meurtres, d’actes de torture et d’autres exactions. Les autorités n’ont donné aucune précision sur la mise en œuvre des dispositions de la Loi sur la concorde civile. La rapidité avec laquelle des certificats d’exemption de poursuites ont été délivrés – parfois au bout de quelques jours seulement – à des personnes qui s’étaient rendues après avoir passé des mois, voire des années, au sein de groupes armés laissait à penser qu’il ne pouvait y avoir eu d’enquêtes approfondies sur leurs crimes éventuels. Certaines des personnes, qui avaient obtenu ce type de certificat, ont été arrêtées par la suite et poursuivies pour des infractions dont elles venaient d’être disculpées. Des familles de personnes ayant été victimes d’exactions de la part de groupes armés ont déclaré que les responsables d’homicides et d’enlèvements avaient été soit amnistiés, soit exemptés de poursuites, sans que les plaintes déposées aient donné lieu à des enquêtes.

Meurtres
Le nombre de meurtres, qui avait sensiblement diminué en 1999, n’a pas continué à baisser en l’an 2000 ; à la fin de l’année, il était même de nouveau en hausse. Les attaques individuelles, les massacres, les attentats à l’explosif, les embuscades et les affrontements entre forces de sécurité et groupes armés ont fait plus de 2 500 morts. Plusieurs centaines étaient des civils qui ont été tués par des groupes armés lors d’agressions, de massacres et d’attentats aveugles. À plusieurs reprises, pas moins de 25 civils – dont des femmes et des enfants, voire des familles entières – ont été tués chez eux ou à de faux barrages routiers installés dans des zones rurales par des groupes armés. La plupart des homicides et des attaques ont eu lieu en dehors des grandes villes du pays et les auteurs ont en règle générale pu s’enfuir sans être inquiétés, bien que certaines de ces attaques se soient produites à proximité de barrages ou d’avant-postes de l’armée ou des forces de sécurité. Des centaines de membres des forces de sécurité, des milices paramilitaires et des groupes armés ont trouvé la mort dans des embuscades ou lors d’affrontements. Toutefois, il était souvent impossible d’obtenir des détails précis quant à l’identité des victimes ou aux circonstances exactes de leur mort, car les autorités restreignaient l’accès à ce genre d’informations.

Détention secrète
De nouveaux cas de détention secrète ou non reconnue ont été signalés. Le gouvernement et les autorités judiciaires déclaraient systématiquement ne rien savoir de ces cas jusqu’au moment où les détenus étaient déférés devant un tribunal ou remis en liberté.
Malik Medjnoun et Samir Hamdi-Pacha, arrêtés respectivement en septembre et décembre 1999, ont été maintenus en détention secrète jusqu’au début du mois de mai. Accusés d’avoir entretenu des liens avec des groupes armés, ils étaient toujours incarcérés à la fin de l’année et attendaient d’être jugés.
Hilal Gouasmia, appréhendé en septembre à Constantine, a été libéré au bout de neuf semaines de détention secrète.

Torture et mauvais traitements
Selon des informations persistantes, les forces de sécurité ont continué de recourir à la torture et à d’autres mauvais traitements contre des suspects de droit commun et des personnes arrêtées en raison de leurs liens ou contacts présumés avec des groupes armés.
Redouane Dahmani, quinze ans, élève dans un établissement d’enseignement secondaire, a été arrêté à Delles en juin. Il a déclaré qu’on l’avait emmené dans un poste de police proche et mis en présence d’un autre détenu qui était soumis à la torture. Redouane Dahmani s’est vu menacé de subir le même sort s’il ne parlait pas. Après avoir affirmé qu’il ne détenait aucune information, il a été conduit dans une cellule, puis déshabillé, allongé sur un banc et frappé au visage et sur le corps jusqu’au moment où il a commencé à vomir du sang. On lui a ligoté les poignets et les chevilles, on l’a aspergé d’eau et on lui a infligé des décharges électriques sur les pieds et les parties génitales. L’adolescent a également été contraint d’avaler de grandes quantités d’eau sale à travers un morceau de tissu placé dans sa bouche. Il a reçu des cendres de cigarette brûlantes dans les yeux et on lui a écrasé une cigarette sur le visage. Lorsque, huit jours après son arrestation, Redouane Dahmani a été présenté devant un juge d’instruction, aucune enquête n’a été ordonnée, alors que l’adolescent portait encore au visage des traces visibles de torture.
À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été menée au sujet d’autres allégations de torture ou de mauvais traitements infligés par des membres des forces de sécurité au cours de l’année 2000 ou des années précédentes.
L’organisation a continué à recevoir des informations faisant état du recours à la torture par des groupes armés se définissant comme des  » groupes islamiques « . Des femmes enlevées chez elles par des groupes armés, surtout dans les zones rurales, auraient été violées et soumises à d’autres formes de torture avant d’être tuées.

 » Disparitions « 
Le nombre de  » disparitions « , qui avait considérablement diminué en 1999, a cessé de décroître et plusieurs nouveaux cas ont été signalés en 2000. Les autorités ont été tout aussi réticentes à enquêter sur ces nouvelles  » disparitions  » qu’elles s’étaient montrées peu enclines à faire la lumière sur les milliers de cas signalés les années précédentes.
El Hadj Mlik, soixante-treize ans, père de huit enfants, a  » disparu  » en avril après avoir été arrêté à son domicile dans le centre d’Alger, au vu et au su de tous, devant sa famille et ses voisins. Des gendarmes s’étaient rendus chez lui la veille et ils sont revenus deux jours après son arrestation. Ils étaient à la recherche d’informations concernant deux des fils d’El Hadj Mlik : l’un vivait à l’étranger et l’autre était soupçonné de faire partie d’un groupe armé.
Habib Hamidi et Ahmed Ouadni ont été arrêtés respectivement à leur domicile de Reghaia et d’Alger en avril et en août. À la fin de l’année, les deux hommes n’avaient toujours pas reparu.
À la connaissance d’Amnesty International, malgré les promesses faites tant par le président Bouteflika pendant et immédiatement après la campagne présidentielle de 1999 que par d’autres responsables gouvernementaux depuis 1998, le gouvernement n’a pris aucune mesure concrète pour faire la lumière sur le sort des quelque 4 000 hommes et femmes qui ont  » disparu  » depuis 1993, après avoir été arrêtés. En mai, le ministère de la Justice a déclaré que sur les 3 019 plaintes déposées pour  » disparition « , 1 146 avaient été élucidées, mais la liste qu’il a présentée ne comportait que sept noms. L’organisation a demandé aux autorités de lui fournir la liste de tous les cas qu’elles déclarent avoir élucidés, accompagnée des informations nécessaires à l’identification des personnes. Mais à la fin de l’année, l’organisation n’avait rien reçu.

Liberté d’expression et d’association
Les groupes de défense des droits humains qui critiquaient le gouvernement ou s’opposaient à sa politique en matière de droits humains ont fait l’objet de mesures de restrictions. Certains se sont vu refuser leur reconnaissance officielle par les autorités nationales ou locales. D’autres, qui étaient déjà légalement reconnus, n’ont pas été autorisés à préparer des réunions ou d’autres activités publiques. Des manifestations organisées par des associations de familles de  » disparus  » et de victimes de groupes armés, mais également par des syndicalistes et des étudiants, ont parfois été brutalement dispersées par les forces de sécurité qui ont frappé et arrêté des participants. Au moins deux partis politiques, qui demandaient leur reconnaissance officielle, se sont vu opposer une fin de non-recevoir, ce qui est contraire à la législation algérienne.

Organisations internationales de défense des droits humains et organisations intergouvernementales
Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires a demandé à se rendre en Algérie, mais les autorités lui ont refusé l’accès au pays durant l’année. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a continué ses visites de prisons reprises en 1999. Les autorités ont permis à Amnesty International et à d’autres organisations non gouvernementales internationales de se rendre en Algérie. Certaines s’étaient vu refuser cet accès pendant quatre ans.

Visites d’Amnesty International
Des délégations de l’organisation se sont rendues en Algérie en mai et en novembre. À ces deux occasions, elles ont pu rencontrer des responsables algériens, notamment des représentants du gouvernement, ainsi que des victimes d’atteintes aux droits humains et leurs familles, des défenseurs des droits humains et d’autres membres de la société civile. En octobre, Amnesty International a reçu du gouvernement algérien une réponse au mémorandum qu’elle lui avait adressé en août, à propos de ses motifs de préoccupation. Dans leur courrier, les autorités ont exprimé le souhait de poursuivre leur collaboration avec Amnesty International, mais n’ont pas répondu aux questions précises ni aux demandes d’information de l’organisation, en dépit des promesses faites aux délégués lors de leur visite, en mai. L’année s’est achevée sans qu’Amnesty International reçoive d’autres éléments de réponse.

Traités ratifiés ou signés en 2000
Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

 

Rapports