Mémorandum des familles de disparus en Algérie

MEMORANDUM DES FAMILLES DE DISPARUS EN ALGERIE

Préambule :

La question des disparitions forcées continue de faire l’objet d’une vive inquiétude de la part des défenseurs des Droits de l’Homme et des familles de disparus en Algérie.

Au cours des dix dernières années, quelques milliers d’algériens, hommes et femmes de diverses catégories de la population ont  » disparu  » après avoir été emmenés par les forces de sécurité.

Malgré la peur des représailles, les intimidations, les menaces de mort et la répression, les familles de  » disparus  » se sont mobilisées – tout comme de nombreux défenseurs des droits de l’homme, avocats et organisations non gouvernementales – pour tenter de retrouver les traces de leurs proches. Des initiatives ont été entreprises tant au plan national qu’international.

Sur le plan national :

La mobilisation des familles de disparus commence par les visites menées dans les commissariats de polices, les casernes militaires, de gendarmeries, les prisons et les centres de détentions. Aux côtés des avocats connus pour leur engagement en faveur des droits de l’homme en Algérie, les familles initient les premières sorties publiques des familles de disparu(e)s avant les élections législatives d’octobre 1997, devant le centre de Presse International.

A la fin du mois de juillet 1998, une délégation de familles de disparus, a transmis au Panel des Nations Unies envoyé par le Secrétaire Général de l’ONU, une lettre accompagnée d’une liste de 239 personnes disparues. Il s’agissait uniquement de personnes résidant à Alger.

En août 1998 des mères de disparus créent l’Association Nationale des Familles de Disparus. Les autorités refusent à ce jour de délivrer l’agrément qui permettrait à l’association d’activer légalement.

Basé à Paris, Le Collectif des Familles de Disparus en Algérie, crée en mai 1998, se mobilise aux côtés de  » SOS Disparus  » comité de la Ligue Algérienne de défense de Droits de l’Homme (LADDH).

Ces organisations, essentiellement composées de mères, de filles, d’enfants, de frères et de pères des victimes de disparition forcée, se sont donné pour mission de regrouper des témoignages et de recenser les disparitions forcées. Et également aider à la création de comités de familles de disparus dans les différentes régions du pays.

Depuis le mois d’août 1998 à ce jour des rassemblements hebdomadaires et réguliers sont organisés par les familles de disparus devant l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) et devant les sièges de wilayates (préfectures) dans différentes villes d’Algérie, malgré la répression des forces de sécurité, les intimidations et les arrestations que subissent quelque fois les familles. L’objectif de ces actions publiques est d’alerter les citoyens, la classe politique, les organisations sociales et les différentes institutions de l’Etat sur l’ampleur des disparitions forcées.

Les familles de disparus ont saisi par courrier les différentes autorités et institutions pour les amener à prendre les mesures nécessaires qui permettraient de faire la lumière sur le sort de leurs parents disparus.

Des lettres ont été envoyées aux institutions suivantes :

o Le Président de la République

Le Ministre de la Justice
L’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH)
Le Ministre de l’Intérieur
Le médiateur de la république (avant la dissolution de la Médiature )
Le Ministère de la défense nationale
Les différents services de sécurités
Les partis politiques
A ce jour, les familles de disparus font état de 7200 cas de disparitions dont 4325 ont été déposés au Ministère de l’Intérieur et à l’ONDH en plus des plaintes individuelles transmises à la justice algérienne.

Suite à cela, Il y a eu pour toute réponse  » officielle « , un article du quotidien El Watan du 29 avril 1999 qui cite  » des sources sûres  » précisant d’abord que 3500 cas ont été reçus par les bureaux d’accueil ouverts dans les wilayates, que « ces derniers ont été tous étudiés et les réponses apportées ».

El Watan donne les chiffres suivants :  » 693 personnes recherchées par la justice pour des actes terroristes, 127 individus en prison ou ayant quitté l’établissement pénitentiaire après avoir purgé leur peine, 69 retrouvés à leur domicile après enquête, 412 signalés morts par des terroristes repentis ou arrêtés, 89 libérés après interpellation par les services de sécurité, 1003 n’ont jamais été interpellés par les services de sécurité, 38 ont disparu à la suite de problèmes familiaux, 580 ont été enlevés par les terroristes. » Soit un total de 3011.  » Pour les 489 autres restants, les enquêtes restent ouvertes  » . Aucune liste nominative précisant ces chiffres annoncés par voie de presse n’a été publiée en Algérie ou communiquée à un organisme international quelconque.

Aucune structure agissant sur la question, aucun avocat constitué par les familles, et aucune famille n’a reçu de correspondance l’informant des résultats des  » investigations  » du Ministère de l’intérieur. En vain, les avocats des familles ont demandé par voie de presse la communication des listes et la confrontation de leurs dossiers avec les résultats du travail du Ministère.

A l’Assemblée Nationale toute interpellation, toute proposition de mise en place d’une commission parlementaire pour une enquête sur les disparitions forcées est systématiquement rejetée malgré l’insistance des députés du Front des Forces Socialistes et du Parti des Travailleurs.

En dépit de toutes ces démarches, les autorités ont maintenu l’opacité sur ce dossier en adoptant une démarche de culpabilisation vis à vis des familles en les traitant de « familles de terroristes et d’égorgeurs ». Parallèlement, les autorités ont privilégié une gestion bureaucratique et policière du problème qui consiste à « ficher » les disparus sans pour autant rendre public le résultat des enquêtes qu’elles prétendent avoir diligenté.

A aucun moment les autorités n’ont exprimé le souci de faire toute la vérité sur ces disparitions, ni celui d’établir les responsabilités, pourtant avérées des forces de sécurité (gendarmerie, armée, groupes de légitime défense (GLD) et police) dans ces disparitions forcées consacrant ainsi l’impunité. A l’exemple des 3 journalistes disparus qui a vu le refus des autorités de coopérer avec la mission de Reporters Sans Frontières en juin 2000.

Sur le plan International :

Après la mobilisation des ONG (FIDH, AI, HRW, RSF) pour informer, sensibiliser et interpeller l’opinion internationale sur l’ampleur des disparitions forcées en Algérie, le collectif de familles de disparus en Algérie s’est chargé de sensibiliser, d’informer au niveau international et d’aider les familles de victimes dans leurs démarches auprès des institutions internationales.

Le collectif a organisé en juillet 1998 une tournée européenne pour informer, sensibiliser et interpeller des personnalités politiques européennes, des ONG, différents représentants de gouvernements européens sur le drame que vivent les familles victimes de la disparition forcée en Algérie. Cette tournée coïncidait avec la réunion du comité des droits de l’Homme de l’ONU à Genève.

En 1999, une délégation de familles venues d’Algérie et de France ont été reçues, lors de leur tournée aux Etats Unis, par le Département d’Etat et à la Maison Blanche par Mme Clinton.

Durant la même année le Collectif de familles de disparus en Algérie a rencontré le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées et involontaires à New York, pour les interpeller sur le phénomène des disparitions forcées en Algérie et demander la visite du Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires.

Une délégation de familles de disparus a rencontré Mme Mary Robinson Haut commissaire des droits de l’Homme durant son séjour à Alger.

Entre octobre 1998 et février 2000, deux mille (2000) dossiers de disparus ont été déposés à Genève auprès du Groupe de travail sur les disparitions forcées des Nations- Unies.

La venue durant l’année 2000 des ONG (FIDH, HRW, AI, RSF) a confirmé à travers leurs rapports la gravité du phénomène des disparitions forcées en Algérie ainsi que la non volonté des autorités à coopérer pour faire la lumière sur ce drame.

Dès lors, l’intervention du Parlement européen en janvier 2001 semble décidée à s’impliquer dans le débat en interpellant, au premier chef, le gouvernement algérien. Les parlementaires soutiennent à travers une résolution  » l’envoi en Algérie d’un rapporteur de la Commission des droits de l’homme de l’ONU  » afin de faire la vérité sur les disparitions.

Pour rappel, le 29 juillet 1998, le comité des Droits de l’Homme des Nations-Unies a fait un certain nombre de recommandations aux autorités algériennes leur demandant :

La constitution d’un fichier central de disparus.
Aide et soutient aux familles des familles de disparus pour trouver leur parents.
Ouverture d’enquêtes sur la responsabilité des disparitions et transmettre les résultats.
Répondre concrètement sur les disparitions devant les instances internationales.
De toute ces recommandations seule la mise en place d’un fichier central au niveau du ministère de l’intérieur a vu le jour.

Etant donnée l’implication directe des forces de sécurités rattachées au Ministère de l’Intérieur, les enquêtes menées par celui-ci ne sauraient être crédibles.

De plus, la procédure suivie par le Ministère algérien de l’intérieur n’est pas conforme aux dispositions de l’article 13 de la  » Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées  » du 18 décembre 1992, qui recommande que les enquêtes soient menées par  » des autorités compétentes et indépendantes « .

A ce jour, et bien que le Président de la république ait lui-même avancé le chiffre de dix mille (10.000) disparus, ni les recommandations du comité des Droits de l’Homme des Nations-Unies, ni celles des Organisations Non gouvernementales (ONG) n’ont été suivies d’effet.

Conclusions

Après avoir épuisé les recours nationaux à travers l’interpellation des différentes institutions de l’Etat (Présidence, Gouvernement, APN, Ministère de la Justice, Ministère de l’intérieur et le Ministère de la défense nationale) et devant le refus du gouvernement algérien – qui a ratifié et signé librement les textes internationaux – de respecter les recommandations du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, notamment l’ouverture d’une enquête.

Nous, familles de disparus, eu égard à l’universalité des droits de l’Homme, interpellons la conscience de la communauté internationale et demandons aux états membres de la commission des droits de l’homme – réunis à Genève à partir du 19 mars 2001 – de faire pression sur le gouvernement algérien afin qu’il respecte ses engagements internationaux et qu’il coopère avec les mécanismes de la Commission des droits de l’homme de l’ONU en invitant en Algérie :

Le groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires
Le groupe de travail sur la détention arbitraire
Le rapporteur spécial sur la torture
Le rapporteur spécial sur la liberté d’expression et d’opinion

Alger, le 17 mars 2001

Le Collectif des Familles de Disparu(e)s en Algérie

SOS Disparus (LADDH)

ANNEXES

1. L’Algérie et les conventions internationales :

L’Algérie qui est liée par La Déclaration universelle des droits de l’homme, a signé et ratifié l’ensemble des instruments universels dont :

· Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratification 12 septembre 1989, entré en vigueur décembre 1989).
La Déclaration relative à l ‘article 41 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratification 12 septembre 1989, entré en vigueur décembre 1989).
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
La Déclaration relative à l’article 21 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ratification et adhésion en septembre 1989).
La Déclaration relative à l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ratification et adhésion en septembre 1989).
Les droits de l’homme dans l’administration de la justice : Protection des personnes soumises à la détention ou à l’emprisonnement. Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

2. Définitions et instruments universels

Le Groupe de travail de l’ONU concernant les disparitions forcées ou involontaires

Une personne est arrêtée, détenue, enlevée ou privée de manière ou d’une autre de sa liberté par des employés ou par différentes antennes, par certains niveaux du gouvernement, par des groupes organisés ou par des individus agissant pour leur propre compte ou avec le soutien, le consentement ou la résignation directe ou indirecte du gouvernement, suivi du refus de révéler le sort de la personne concernée ou l’endroit où elle se trouve et du refus d’admettre que la personne est privée de sa liberté, actions par lesquelles la personne dont il s’agit est mise hors d’atteinte de la protection légale.

Liberté et sécurité de sa personne

Le droits à la liberté et à la sécurité de sa personne vise à prévenir tout pouvoir de s’emparer d’une personne sans motif clairement valable. La liberté qui est ici indiquée doit être comprise comme la liberté physique de la personne. Sa sécurité fait allusion à son intégrité physique. C’est pourquoi dans l’article 3 de la déclaration universelle des droits sont liés au droit à la vie.

Vu l’objectif de ce droit, il se tourne tout de suite sur les conditions dans lesquelles une détention peut se produire. C’est ce qui apparaît clairement dans l’article 9 du Pacte sur des droits civils et politique, qui est consacré aux questions de détention dès le 2ème alinéa.

Et, la réglementation internationale de la détention porte sur les formes que doivent respecter cette privation :

o Etre informé dans les plus courts délais des raisons de son arrestation.

o Etre traduit rapidement devant un magistrat habilité des fonctions judiciaires.

o Pouvoir introduire un recours devant un tribunal pour que soit statué sur la légalité ou le prolongement de la détention.

o Etre protégé contre tout traitement inhumain, cruel ou dégradant.

Les instruments universels :

Article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme
Article 9 et 10 du Pacte international sur les droits civils et politiques
La torture

La torture constitue l’un des phénomène contre lequel l’ONU mène une lutte majeur. Comme le montre la définition donnée par la convention contre la torture, cet acte implique un agent de l’Etat. Cela signifie que la victime est sous le contrôle de ce dernier. C’est pourquoi nous pouvons lier ce droit à celui de la liberté et de la sécurité de la personne. C’est un droit absolu et il ne souffre d’aucune restriction légitimante.

L’interdiction de la torture, en tant que droit fondamental, s’adresse à l’Etat. Il en découle pour celui-ci deux responsabilités. Il ne doit pas pratiquer de torture et il doit tout entreprendre pour empêcher que de telles pratiques aient lieu.

Les instruments universels :

Article 8 du Pacte international sur les droits civils et politiques
Déclaration universelle des droits de l’homme art : 5
Convention cotre la torture article 1, 2, 3
La liberté d’expression, d’information, d’association

Le refus d’agréer des associations, le refus d’autoriser les manifestations pacifiques et autres réunions publiques par des interdictions administratives et par l’intimidation et l’intervention musclée des forces de sécurité pose le problème de la liberté d’expression et d’opinion. Il en est de même pour ce qui concerne la liberté d’association.

Les instruments universels :

Article 19, 21 et 22 du Pacte international sur les droits civils et politiques

3. Etats membres de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU

1. Algérie 2. Argentine 3. Belgique 4. Brésil 5. Burundi 6. Cameroun 7. Canada 8. Chine 9. Colombie 10. Costa Rica 11. Cuba 12. République tchèque 13. R.D. du Congo 14.Equateur 15. France 16. Allemagne 17. Guatemala 18. Inde 19. Indonésie 20. Italie 21. Japon 22. Kenya 23. Lettonie 24. Libéria 25. Jamahiriya arabe libyenne 26. Madagascar 27. Malaisie 28. Maurice 29. Mexique 30. Niger 31. Nigeria 32. Norvège 33. Pakistan 34. Pérou 35. Pologne 36. Portugal 37. Qatar 38. République de Corée 39. Roumanie 40. Fédération de Russie 41. Arabie saoudite 42. Sénégal 43. Afrique du Sud 44. Espagne 45. Swaziland 46. Syrie 47. Thaïlande 48. Grande Bretagne 49. Uruguay 50. USA 51. Venezuela 52. Viêt-nam 53. Zambie

Copie à :

Mary Robinson Haut Commissaire aux droits de l’homme
Missions permanentes auprés des Nations-Unis
ONG (Amnesty-International, FIDH, Human Right Watch, RSF)
Ambassades En Algérie des Etats membres de la commission des droits de l’homme
Ambassades en Algérie non membre de la commission des droits de l’homme
La représentation Européenne en Algérie
Presse nationale et internationale
Centre d’information de l’ONU

 

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