les Chaouis réclament…

LES AURÈS DANS LA TOURMENTE DU RADICALISME

les Chaouis réclament…

L’Expression, 03 juin 2004

Fort longtemps bridés et enchaînés, les Aurès passent à la révolte.

La torpeur continue d’envahir l’atmosphère des localités des Aurès-Nementchas. «La crise qui perdure dans cette vaste contrée de l’est du pays a au moins le mérite de réhabiliter, en le faisant émerger, un débat d’idées sans précédent dans son histoire. L’idée, aujourd’hui, n’est pas que pure abstraction puisqu’elle a un prolongement pragmatique immédiat : elle se paie chez nous, malheureusement de sa vie», dira le Dr.Dourari.
Dans la région des Aurès-Nementchas, plus précisément à Tkout et Taghit, la jeunesse s’est élevée contre les autorités locales et réclame sa part du «gâteau» qui n’est autre que la richesse de cette «mère Algérie». A cette manifestation violente, la réponse est des plus virulentes de la part des forces répressives dépêchées sur le terrain des émeutes.
Beaucoup de jeunes se sont retrouvés devant les tribunaux et les peines prononcées n’ont fait qu’accentuer le déphasage déjà existant entre ces masses populaires paupérisées et cette «classe» d’administrateurs et de notables qui s’enrichissent chaque jour. Quelques-uns de ces jeunes montrés du doigt ont vite pris «le maquis» pour devenir ces hors-la-loi. Des recherches sont en cours pour les retrouver et les traduire en justice.
D’autres, par contre, moins chanceux dirions-nous, ont connu un autre sort. Des condamnations à des années fermes ont été les verdicts prononcés à leur encontre. Une parodie, digne des années où la cour de Constantine, en ce temps colonial, a condamné par contumace ce grand révolutionnaire de cette localité qui n’est autre que Mustapha Ben-Boulaïd. L’Histoire est-elle en train de se répéter sauf que cette fois, les acteurs sont tous des Algériens.
Ainsi, l’image d’une justice – injuste dirions-nous – offre en filigrane «l’image d’une justice dans sa perversité» qui veut dévaloriser le citoyen, banaliser les assassinats, admettre la répression, absoudre les auteurs «parce qu’ils représentent l’Etat, normaliser l’esprit d’une démarche dictatoriale» et réduire par là, au silence, «toute opposition». Dans ce contexte bien précis, les événements vécus par ces deux localités des Aurès résument dans une large mesure, les contradictions sociales qui minent notre société.
L’évolution de celle-ci est directement liée aux changements survenus sur la scène politique et dont les implications drainent, un énorme déphasage entre la «société civile» et la «société politique». Les Aurès, la Kabylie, les régions de Ghardaïa, de Ouargla, Djelfa… pour ne citer que celles-là, demandent un certain regard nouveau, quant à la gestion des affaires publiques. C’est en fait, toute la politique poursuivie jusqu’à ce jour qu’il faudrait «repenser» et «revoir».
Le temps de «la vache à traire», «de l’intervention du Trésor public» arrive à sa fin et de nouvelles donnes sont apparues pour une gestion des plus rationnelles de l’économique. Ce dernier demeure le moteur de l’Histoire et c’est précisément dans cette sphère que «les batailles de tranchées» se livrent.
Mais au-delà de cette «crise multiforme» mais «réelle», car elle révèle au grand jour toutes les tares du système, les autorités du pays sont sur place pour constater de visu et dresser un bilan exhaustif des lieux. L’information véhiculée jusque-là, tend plus à amplifier ou à minimiser l’événement, selon les bords défendus. Le chef du gouvernement reste la personnalité la «plus pragmatique» et l’envoi d’une commission d’enquête sur le terrain aura à clarifier toute la situation.

On est des oubliés…
A 120 km du chef-lieu de wilaya, Tkout et Taghit affrontent ces hivers rigoureux et cet été trop chaud. La population locale n’a d’autre ressource que cet élevage «trop mesquin, disons-le» pour subvenir à la «becquée quotidienne». Terre aride, surplombée par ces monts sauvages des Aurès, la population vit un autre âge que celui du XXIe siècle.
On ne peut rester insensible à la désolation qui frappe de plein fouet ces visages taciturnes qui attendent des lendemains qui chantent. Mais malheureusement, l’attente a trop duré et cette manifestation ou cette révolte est venue à point nommé pour que tous les regards pointent sur «cette oasis» en plein massif aurassien. Nul doute que ce sursaut tient beaucoup à cet orgueil qui caractérise le Chaoui que ce manque «de pain» quotidien, surtout quand on sait que notre pays est riche et que cette richesse prend des destinations occultes.
« On a trop attendu», dira ce vieil homme assis à même le sol devant sa porte. Sa femme paraissant moins jeune, mais rattrapée par les années de misère et levant les mains au ciel regrettant «sa naissance» car, crie-t-elle «ma douleur c’est d’être ici, en ce bas-monde où la misère est notre lot quotidien. On vit les affres d’une négligence des autorités qui ne regardent que ces renards courtisans et qui sucent le sang des autres.»
Plus loin, tout est misère où les «lambeaux» crapuleux d’une mal-vie informent n’importe quel visiteur que Tkout et Taghit sont loin de l’image que se fait le citadin de ces régions. Si le soleil accable toutes les forces de travail, le froid nocturne ne permet nullement d’aspirer à une certaine quiétude. On est là à attendre que «les secours arrivent !!!», dira ce quinquagénaire. La survie dans cette contrée rocailleuse parsemée de quelques mètres carrés de verdure est une lutte lente et déprimante. «On ne peut dire que nous existons car beaucoup pensent que Batna est une localité du nord du pays. Malheureusement, on est au sud. Ce Sud qui n’est pas Hassi-Messaoud ou Hassi R’mel mais celui qui « vide » l’être humain de sa substance pour devenir une loque», indiquera Yacine, fonctionnaire.
En effet, Arris et ses localités environnantes sont des «mots» légendaires usuels au regard du tribut versé pour l’indépendance du pays.
Aujourd’hui, si le chef-lieu de daïra a connu un développement conséquent, les hameaux qui l’entourent souffrent de cette misère accablante. L’investissement est «une denrée rare».
Chaque jour que Dieu fait, on revoit la même image : «Celle de cette personne chétive à la recherche d’un abri contre les rafales de ce vent froid et du rayon de soleil qui vite brûlera les peaux». Oui! cette image contrastée où la misère rampante gagne chaque jour, du terrain. Là, la jeunesse est prise d’angoisse et d’amertume et cache mal son désarroi et sa révolte. Cette dernière s’est manifestée par une violence, et quelle violence!

Aujourd’hui, on parle de nous!
Quels que soient les châtiments encourus, «on a au moins cette satisfaction que Tkout est sortie de l’anonymat», indiquera ce jeune, l’oreille attentive à tout ce qui se dit. «Il faut vénérer cette jeunesse qui a réussi à briser le tabou de la peur et défier les forces de l’ordre pour un idéal plus valorisant et plus probant», signifiera Dalila, enseignante dans une école primaire.
Pour notre part, cette «mini-révolution» a surpris plus d’un, car la question est de savoir comment Tkout et Taghit ont pris conscience de ce mal engendré par la gestion des responsables pour signifier par la violence le refus d’abdiquer? Ainsi, n’a-t-on pas toujours appris que le moteur de l’Histoire est la contradiction sociale entre les forces productives et ce capital?
Dans ce contexte et sur les lieux de la révolte, il est impératif de signaler cet écart entre les deux catégories de personnes qui y vivent. L’une se prélasse dans l’aisance, tandis que l’autre souffre et se console de son sort. C’est cette dernière qui a décidé de renverser l’ordre établi en réclamant haut et fort sa part, même minime, et qui consiste en un travail simplement.
Ces laissés-pour-compte, ces ignorés de l’Histoire sont restés muets assez longtemps. «Ils sont loin ces gueux», pensent les responsables qui sont chargés de mettre au diapason toute la région. «Aucun mal ne viendra de ces coins perdus», estiment ces pistonnés de l’administration.
En effet, personne dans les Aurès-Nementchas ne peut prévoir une telle volonté de briser ce mur du silence. Ajouter à cette volonté, cette ardeur qui a toujours animé ce Chaoui, «cet homme libre».
Malgré toute cette répression, qui, hier, était assimilée à la misère, aujourd’hui, aux laissés-pour-compte de l’Histoire, le changement doit intervenir au plus vite. Alger n’est pas les Aurès.
Cette révolte a eu ses martyrs et surtout quand on connaît le sentiment de révolte, mais apparemment enfoui dans le coeur de cette famille martyrisée.

La jonction des uns et des autres
La référence est de taille. Partout, à l’échelle du pays, on bouge et on fait trembler le pouvoir. La jonction et l’appropriation d’idées sont le moteur de cette ébullition dont les conséquences sont toujours imprévisibles.
Le pouvoir central et les autorités locales sont pour des solutions extrêmes à savoir : réprimer et déférer les jeunes et moins jeunes devant le juge. Ce dernier pris dans l’étau du système n’a d’autre recours que d’appliquer la loi. Là, peut-on dire que c’est la meilleure solution? La majorité des analystes et spécialistes des études sociologiques répondront par la négative.
En effet, depuis plus d’une décennie, on n’a pas cessé de parler d’un vaste chantier de réformes surtout de l’administration, ce secteur en contact direct avec le citoyen. Mais tout est resté au stade verbal.
Aujourd’hui, un élu du peuple (P/APC ou député), un chef de daïra ou plus encore, un wali ont-ils tous les atouts en main pour répondre à la demande de cette masse?
La politique caractérisée par l’expectative n’a engendré que des contradictions qui se transforment en émeutes, en révolte et par la prononciation de peines.
Là aussi, il faut revoir toute la politique des services d’ordre qui sont envoyés sur le terrain pour réprimer et non pour prévoir. C’est eux qui encaissent tous les coups pour «sauver un système en déliquescence».
Mis à part cette réalité, le retour à l’origine de l’organisation sociale, à savoir la notion «d’arch» stimule plus d’un.
Cette formule a créé un certain sentiment au niveau des esprits pour s’affirmer aujourd’hui comme une arme à double tranchant car elle réunit «tout le monde derrière elle et permet la défense de toute la communauté», contre cette «arrogance» du pouvoir.
Cette jonction d’idées et de modèle d’organisation font tache d’huile et sa prise en considération par le pouvoir devient une nécessité. Demain, peut-être, elle s’affirmera sur le terrain de la lutte malgré qu’elle soit circonscrite aujourd’hui à certaines régions du pays.
Dans ce cadre, le mouvement citoyen des Aurès a lancé un appel «contre la surenchère et la désinformation» dont certains font leur «dada» mais appelle à «l’élargissement des détenus».
Longtemps confiné dans un rôle mineur, le citoyen des Aurès, de Kabylie, de Ouargla, d’Adrar… s’érige contre toute pratique mafieuse et dénonce cette passivité des responsables, quant à prendre en main les doléances du citoyen.
Ainsi, les événements survenus à Arris symbolisent et traduisent toutes les difficultés à entrer de plain-pied dans le développement, et les animateurs et fondateurs de ce mouvement ont tenu «à rappeler le rôle de leur structure, à savoir la défense de l’amazighité à laquelle ils veulent donner ses trois dimensions identitaires dans le cadre d’une morale politique et démocratique.»
Hier, c’était Tizi Ouzou et les wilayas limitrophes, aujourd’hui ce sont les Aurès-Nementchas, avec Ouargla, Ghardaïa, Adrar…Qui pourra dire de quoi demain sera fait?

De notre envoyé spécial S.M. Haouili