Réforme pénitentiaire : où en est-on ?

TROIS ANS APRÈS SON LANCEMENT

Réforme pénitentiaire : où en est-on ?

Trois années après de son entrée en application, la réforme pénitentiaire engagée dans le sillage de la réforme de la justice, a-t-elle donné les résultats escomptés ? La loi n°05- 04 du 06 février 2005 portant code de l’organisation pénitentiaire et de la réforme sociale des détenus ainsi que les quatorze textes d’application ont-ils suffi à redorer le blason du secteur ? Au niveau de la direction générale de l’administration pénitentiaire, on est catégorique : «Les résultats de la réforme sont là. Il faut les consolider, tout en maintenant le rythme des réformes.»

Dossier réalisé par Abder Bettache, Le Soir d’Algérie, 31 juillet 2008

«Il faut consolider les acquis, tout en fixant le cap sur la réforme et soutenir les efforts déjà consentis.» Le directeur général de l’administration pénitentiaire, M. Mokhtar Felioune, affiche satisfaction. Selon lui, «les résultats sont là et les chiffres illustrent parfaitement cet état de fait». Selon notre interlocuteur, «les événements qu’ont connus nos prisons durant l’année 2003 relèvent désormais du passé». «La promulgation de la loi portant sur réforme, organisation pénitentiaire et réinsertion sociale des détenus avait pour principal objectif d’adapter l’arsenal législatif et réglementaire aux mutations nationales et internationales ». Pour cela, a-t-il ajouté, «il a été fixé deux principaux objectifs. L’amélioration et l’humanisation des conditions de détention ainsi que la rééducation et la réinsertion sociales des détenus».

La réinsertion du détenu : un défi à relever
Pour le ministère de la Justice, l’enjeu est très important. Le facteur temps en constitue un véritable défi. La course contre la montre est engagée. «Il faut accélérer les réformes, tout en mettant le cap sur les objectifs ciblés». Ainsi, le programme d’action arrêté par les pouvoirs publics s’articule autour des deux aspects précédemment cités. A ce propos, les mesures dites d’«humanisation des conditions de détention» se distinguent notamment par «l’augmentation des effectifs des personnels médicaux et paramédicaux qui sont passés de 307 personnes en 2002 à 1 202 en 2007, par la dotation des établissements pénitentiaires de véritables structures sanitaires, par la création de 96 quartiers spéciaux pour détenus malades au niveau des hôpitaux, la dotation de l’ensemble pénitentiaire de système de chauffage central, l’équipement de 50 établissements pénitentiaires en lignes téléphoniques accessibles aux détenus. Cette opération se poursuit toujours pour la dotation du reste des établissements, le renforcement du droit du détenu aux recours et aux plaintes devant les autorités chargées de la gestion des établissements pénitentiaires, le renforcement également du droit au bénéfice du parloir rapproché au profit des mineurs et des femmes, l’amélioration constante des conditions de vie en détention au profit des femmes enceintes et allaitantes, notamment en matière d’alimentation, de couverture sanitaire, de visites et de prise en charge des nouveaux-nés, l’octroi d’une aide sociale et financière aux détenus démunis après leur libération, l’autorisation de visites aux représentants d’institutions, des organes de presse et d’organisations nationales et internationales activant dans le domaine des droits de l’homme, etc.» Ces mesures sont aux yeux du premier responsable de la direction générale de l’administration pénitentiaire, «un acquis qu’il faut consolider. Ceci dénote également la volonté de l’Etat algérien à réformer ses institutions dont celle de la justice». Pour M. Felioune, «le traitement envers le détenu a radicalement changé ». A ce propos, il fera savoir que «l’objectif recherché est celui de réussir la rééducation et la réinsertion du détenu». «Il s’agit certes d’un objectif, mais c’est également un défi qu’on doit relever», a-t- il expliqué.

1 100 journalistes ont visité nos prisons
Pour les responsables de l’administration pénitentiaire, la réforme du secteur se mesure également par le nombre important de personnes étrangères ayant visité les prisons sur l’ensemble du territoire national. «Entre 2005 et 2008, le nombre des personnes étrangères représentant des ONG internationales, d’institutions, de société civile était de 3 040, alors les journalistes tant nationaux qu’étrangers ayant réalisé des reportages sur les prisons algériennes durant cette période sont au nombre de 1 100. Sur ce plan, nous sommes très à l’aise. Nous avons lancé une réforme et nous devions permettre au regard extérieur d’évaluer cette ouverture», indique-t-on. Et pour les ligues algérienne des droits de l’homme ? «On n’a jamais eu de demande émanant de ces organisations. M. le ministre de la Justice était explicite sur ce sujet. On ne peut donner des autorisations de visites aux ONG internationales et pas aux ONG locales», ajoute M. Felioune. Et d’ajouter : «La presse a un regard critique, elle constitue un véritable témoin de cette évolution. C’est vrai que nos prisons ne sont pas celles d’Europe, mais croyez-moi que sur le plan du traitement du détenu, beaucoup de choses ont changé.» Mais pour notre interlocuteur, l’autre nouveauté de cette réforme est celle relative aux nouveaux mécanismes de réinsertion des détenus. A ce sujet, il est institué deux commissions. La première est relative à l’application des peines. Celle-ci est instituée au niveau de chaque établissement pénitentiaire et présidée par le juge d’application des peines, alors que la seconde est relative à l’aménagement des peines. Elle est instituée auprès du ministère de la Justice. Cette commission est présidée par un magistrat de la Cour suprême. Au niveau de la direction générale de l’administration pénitentiaire, on considère que la promotion des ressources humaines est partie prenante de cette réforme du secteur. Pour preuve, «le personnel pénitentiaire, tous grades confondus, a sensiblement évolué, passant à 17 989 fonctionnaires, dont 29 116 ont bénéficié d’une formation continue durant la période de 2003- 2008». «Ce même personnel se considère désormais comme un facteur important dans la réussite de cette réforme et s’inscrit pleinement dans la démarche et le processus fixés à cet effet. En contre partie, il a vu sa situation socioprofessionnelle en nette évolution à travers la promulgation du statut des personnels des corps spécifiques de l’administration pénitentiaire de juin 2008».
A. B.

Quatre questions à Mokhtar Felioune, directeur général de l’administration pénitentiaire

Le Soir d’Algérie : On dit de vous que vous êtes la cheville ouvrière de cette réforme.
Mokhtar Felioune : Je suis un fonctionnaire de l’Etat algérien, dont la mission est de veiller à la bonne application des décisions et mesures prises par les pouvoirs publics. La réussite de cette réforme n’incombe pas à une seule personne. Tout le monde est concerné et tout le monde a participé à son édification.

Acceptez-vous la critique de la presse, lorsqu’elle fait état de dépassements dans les prisons ?
Il y a deux formes de critiques. Il y a l’information vraie. Je ne vous cache pas, j’aurais aimé qu’elle ne soit pas rendue publique. Mais nous sommes dans un pays démocratique et la presse en constitue la preuve. D’un autre côté, il y a l’information fausse également rapportée par cette même presse, qui porte préjudice à l’institution et à l’Etat. Mais, la réforme pénitentiaire que notre pays a engagée se fait dans la transparence la plus totale.

Satisfait alors de ce que votre secteur a réalisé ?
Certes, il reste beaucoup à faire. Mais, je peux vous dire que je suis satisfait de ce qui a été déjà réalisé. Les acquis de la réforme sont le fruit du groupe, qu’il faut consolider.

Selon vous, cette réforme est-elle venue en retard ?
Il y a eu la réforme de 1972 qui est restée juste au niveau des textes, des réformes avant-gardistes. Mais je peux vous dire que la réforme de la justice engagée en 1999 a eu le mérite d’accompagner la réforme pénitentiaire.
A. B.


ALORS QU’ILS N’ÉTAIENT QUE 1 720 DURANT L’ANNÉE SCOLAIRE 2002

15 740 détenus scolarisés en 2007/2008

Durant l’année scolaire 2007/2008, la direction générale des établissements pénitentiaires a enregistré l’inscription de 15 740 détenus désireux poursuivre des études scolaires.
Ces détenus, inscrits dans les différents paliers du système scolaire, ont vu 481 d’entre eux admis aux examens du baccalauréat, alors que ceux ayant réussi aux épreuves du BEM leur nombre est de 772 détenus. Mais pour les responsables de la direction générale des établissements pénitentiaires, «la grande avancée réside dans la revue à la hausse du nombre de détenus inscrits durant l’année scolaire écoulée». Ainsi, le chiffre qui était durant l’année scolaire 2006/2007 de 11 454 est passé, une année après, à 15 740, soit une hausse de 4 286 nouveaux inscrits. Toutefois, un bilan général établi par l’organisme concerné fait ressortir que le nombre des détenus inscrits aux cours d’alphabétisation et d’enseignement a connu une évolution considérable entre 2002 et 2008, en passant de 1 720 à 15 740 détenus. Sur un autre plan, le nombre de détenus ayant subi avec succès l’examen du brevet de l’enseignement fondamental durant la période 2003-2007 est de 1 451. Par ailleurs, le nombre global des détenus inscrits à une formation professionnelle a connu une évolution entre 2002 et 2008, passant de 1 026 à 1451 détenus. Enfin, il est à noter que les frais d’inscription aux différents examens officiels ainsi que l’acquisition des outils pédagogiques et des équipements de la formation professionnelle sont à la charge de l’administration pénitentiaire. Ces résultats enregistrés ces dernières années, sont, dit-on, les résultas de la mise en œuvre de la nouvelle politique portant réinsertion sociale des détenus. Une politique née de la loi 05-06 du 6 février 2005 portant code de l’organisation pénitentiaire et réinsertion sociale des détenus. C’est dans ce cadre, que «le plan de mise en œuvre des différents régimes de réinsertion à partir de l’année 2005 jusqu’à avril 2008 a vu 7 545 détenus bénéficier de la liberté conditionnelle, 1 399 de la semi-liberté et 8 268 de la permission de sortie. Le nombre des détenus assumant des activités d’intérêt général est de l’ordre de 1 898 bénéficiaires.
A. B.

MÊME S’IL A RÉUSSI À DÉCROCHER SON BAC

Achour Abderrahmane restera en prison

Faisant partie des 481 détenus ayant décroché le baccalauréat 2007-2008, Achour, poursuivi par la justice pour avoir détourné 3 200 milliards de centimes des banques publiques, ne bénéficiera d’aucune mesure de grâce. La cause ? Achour Abderrahmane est toujours sous instruction.
L’affaire pour laquelle il est poursuivi est toujours pendante devant la juridiction d’Alger. Selon des responsables de l’administration pénitentiaire, les lauréats aux examens ayant bénéficié des mesures de liberté conditionnelle ou de la semi-liberté sont ceux qui sont définitivement condamnés. Or, pour le cas de Abderahmane Achour, il ne peut bénéficier de cette mesure, tant que son affaire demeure entre les mains de la justice. Abderrahmane Achour avait déclaré aux journalistes au premier jour des examens du bac que «son souhait est de décrocher le bac qui permettra de bénéficier des mesures de grâce dictées par la réglementation pénitentiaire». Actuellement en détention préventive au niveau de la prison de Serkadji, son affaire a été renvoyée devant la chambre criminelle, alors que, de son côté, la défense s’est pourvue en cassation devant la Cour suprême pour annuler ce renvoi. Pour rappel, Abderrahmane Achour, qui avait fuit vers le Maroc, lorsque les autorités judiciaires algériennes avaient lancé un mandat d’arrêt à son encontre, avait été extradé vers l’Algérie après une rude bataille judiciaire engagée par les différentes parties.
A. B.

SURPOPULATION CARCÉRALE

La grâce ne profite plus aux détenus

L’une des causes principales de la surpopulation carcérale en Algérie est relative à «la baisse du nombre des détenus graciés» ainsi qu’à l’augmentation des petits délits (les petits vols)». A ce titre, il est à noter que les grâces prononcées ces quatre dernières années n’ont été limitées qu’à une catégorie restreinte de détenus. En effet, la décision prise par les pouvoirs publics n’inclut pas dans le chapitre des mesures de grâce la catégorie des détenus condamnés pour des délits de vols, constituant l’un des facteurs qui font grossir les rangs des détenus. L’autre cause évoquée par des observateurs se rapporte au recours abusif à la détention préventive. Des avocats et des défenseurs des droits de l’homme sont unanimes à qualifier cet usage «d’abusif». Selon eux, plus d’un tiers de la population carcérale est formé de prévenus. Ceci étant, la réforme pénitentiaire introduite en 2005 a prévu la réalisation d’un centre national d’études et de recherches pénitentiaires. Comme, il a été introduit une gestion de la population carcérale à travers la mise en place d’une application informatique de gestion et de suivi de la population carcérale en temps réel, reliant les établissements pénitentiaires avec le ministère de la Justice. Enfin, il y a eu également le lancement des travaux de réalisation d’une école nationale de l’administration pénitentiaire à Koléa d’une capacité d’accueil de 800 places pédagogiques.
A. B.

17 989 fonctionnaires encadrent 57 000 détenus
L’effectif pénitentiaire, tous grades confondus, a atteint en 2008 le nombre de 17 989 fonctionnaires, selon des sources proches de la direction générale de l’administration pénitentiaire. Ce personnel compte notamment un corps médical et paramédical au nombre de 1 561 personnes dont 411 médecins, 178 chirurgiens dentistes, 424 psychologues, 50 infirmiers, 53 assistantes sociales, 41 laborantins, 23 radiologues et 22 pharmaciens. Les personnels de l’éducation et de la formation sont estimés à 154 personnes. Au niveau de la direction générale de l’administration pénitentiaire, on considère que la surpopulation carcérale constitue le principal handicap pour faire face «efficacement à la gestion des structures pénitentiaires». C’est dans ce cadre, qu’il a été décidé de faire bénéficier 29 116 fonctionnaires de différents corps, grades et spécialités d’une formation continue durant la période 2003-2008, alors que le nombre des fonctionnaires ayant bénéficié d’une formation à l’étranger est de 281. Par ailleurs, pour faire face à la surpopulation carcérale, des travaux de réalisation de 81 établissements pénitentiaires ont été lancés, «répondant aux normes internationales, dont 5 centres pour mineurs, et ce dans le cadre du programme spécial 2005- 2009. Parmi ces établissements, 13 ont une capacité d’accueil de 19 000 places
A. B.