Des milliers de migrants dans la tourmente

Maroc

Des milliers de migrants dans la tourmente

Carnet de bord de notre chargée de misson et de l’AFVIC,
notre partenaire sur place.

http://www.cimade.org/actus/comm99.html, 12-19 octobre 2005

Après la tentative de franchissement massive des frontières de Ceuta du 29 septembre et celle du 6 octobre à Melilla, ayant entraîné la mort de onze subsahariens, des membres de l’Association des familles et victimes de l’immigration clandestine (AFVIC) et de la Cimade ont entrepris une enquête de terrain pour recueillir les témoignages des migrants subsahariens.
Pendant le déroulement de cette enquête, les membres de la délégation ont été informés de l’expulsion collective de nombre d’entre eux menée depuis plusieurs jours par les autorités marocaines, sous les pressions européennes, en particulier celles de l’Espagne.

19 octobre 2005

ENFERMEMENT DES ÉTRANGERS ET RENVOIS COLLECTIFS :
LA PROTECTION DES REFUGIES ET DES DEMANDEURS D’ASILE EN DANGER.

Le 12 octobre 2005, l’AFVIC et la CIMADE ont publié le récit d’une mission concernant les refoulements et les expulsions massives de migrants subsahariens au Maroc. Le présent document relate des faits observés lors d’une deuxième mission effectuée dans le sud du Maroc où ont été transférés par bus des étrangers retrouvés dans le désert proche des frontières avec l’Algérie à l’Est du Maroc la semaine passée. Nos associations ont constaté que des lieux d’enfermement y ont été improvisés pour continuer la politique de renvois collectifs. Les organisations non gouvernementales et le HCR n’ont pas pu, pour le moment, accéder à ces lieux. Des demandeurs d’asile et des réfugiés s’y trouvent et risquent d’être renvoyés en dépit des stipulations de l’article 33 de la convention de Genève.

Mis en place de lieux d’enfermement des étrangers :
Plusieurs lieux d’enfermements des étrangers ont été relevés dans le Sud du Maroc ainsi que dans d’autres régions :
· La base militaire de Berden à quelques kilomètres à la sortie de Bouizakarn (40 km au Nord de Guelmim) a accueilli entre 1000 et 1500 migrants subsahariens depuis le 11 octobre. Le 17 octobre elle ne comprenait plus qu’environ 200 personnes suite au transfert puis au rapatriement de nombre d’entres eux,
· La caserne militaire au centre ville de Guelmim dans le quartier de El Gouirra a également accueilli les
migrants subsahariens, préalablement maintenus sur la base de Berden, dans l’attente de leur transfert à l’aéroport militaire,
· Des tentes destinées à accueillir les étrangers avaient également été installées à proximité de l’aéroport de Guelmim, lors de notre visite celles-ci avaient été démontées,
· Selon les informations d’une télévision régionale, 120 subsahariens, principalement nigérians, dont une
trentaine de femmes et une dizaine de mineurs seraient actuellement sur la base militaire de Dakhla,
· Dans le Nord, à quelques kilomètres de Nador, la base militaire de Taouima accueille environ 250 migrants subsahariens,
· En outre, selon les informations de la presse, plusieurs dizaines de personnes (*) seraient présentes dans un camp du côté algérien.

Renvois massifs
D’après nos observations et les informations que nous avons pu relever, outre les rapatriements des ressortissants Maliens et Sénégalais effectués la semaine passée depuis Oujda, d’autres renvois collectifs ont été organisés en collaboration avec les autorités des pays concernés depuis l’aéroport militaire de Guelmim.
Ainsi, environ 400 Maliens ont été rapatriés le 15 octobre, 107 Guinéens ainsi que plusieurs dizaines de Gambiens le 16 octobre, et 128 Camerounais le 17 octobre au matin.
Le 16 octobre au soir, deux bus ont transféré des Nigérians et des Ghanéens de la base de Berden à la caserne de
Guelmim. De même, plusieurs dizaines de Nigérians et de Ghanéens, en provenance du Sud sont arrivés à la base de Berden le 17 et le 18 octobre.
D’après les informations que nous avons pu relever, plusieurs subsahariens se sont fait passer pour des Sénégalais et des Maliens afin d’éviter un retour dans leur pays d’origine.
Le 17 octobre, restaient sur la base de Berden des Congolais (République démocratique du Congo), des Ivoiriens, des Sierra Léonais, des Libériens et quelques Nigérians. Parmi ces ressortissants, un certain nombre sont des demandeurs d’asile.

Restrictions d’accès aux camps
Lors de notre précédent rapport, nous attirions l’attention sur la position géographique et la nature (base militaire) de ces lieux et sur les difficultés d’accès qui pourraient en découler pour les ONG et les médias.
Les quelques ONG présentes en particulier deux grandes organisations humanitaires ainsi que l’AFVIC et la CIMADE n’ont pas obtenu l’autorisation de se rendre sur les lieux d’enfermement afin de rencontrer les Subsahariens.
Jusqu’au 17 octobre, la presse présente n’avait pas non plus obtenu le droit de se rendre sur les lieux. Le 17, plusieurs grands organes de presse internationaux ont pu accéder à la base de Berden après avoir été acheminés par hélicoptère directement de l’aéroport de Guelmim à Berden et reconduits à Rabat dans les mêmes conditions.

La situation des demandeurs d’asile et des réfugiés.
L’article 33 de la convention de Genève, dont le Maroc est signataire, proscrit le refoulement des réfugiés vers des territoires où leur vie ou leur liberté sont menacées. D’après nos observations, une trentaine de demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR et porteurs d’attestation de dépôt d’une demande d’asile se trouvent dans ces camps ainsi qu’un réfugié statutaire au Maroc. Le 18 octobre, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n’avait toujours pas pu se rendre dans ces différents lieux pour leur prêter assistance.

Responsabilités
L’ensemble des faits en présence relevés dans ce rapport préliminaire ainsi que dans celui du 12 octobre montre outre la responsabilité du Maroc dans les événements de ces deux dernières semaines :
– celle de l’Europe qui continue de traiter cette question sous l’unique angle sécuritaire dans le but avéré de repousser ses frontières et de transférer la responsabilité du contrôle de celles-ci aux pays de transit du Sud tel que le Maroc. En témoigne la promesse du versement de 40 millions d’euros au Maroc pour le contrôle des frontières, comme seule réponse à la crise que traverse le pays après le refoulement de centaines de personnes sans qu’aucune garantie n’aient été prises quand à leur possible réadmission soit dans leur pays d’origine soit dans les pays de transit ;
– en particulier celle de l’Espagne qui, au lieu de cesser les expulsions vers le Maroc, a demandé et obtenu la réactivation d’un accord de 1992 permettant la réadmission de toutes personnes ayant transité par le territoire marocain. Elle a poursuivi les refoulements sans aucune garantie concernant les capacités d’accueil du Maroc, ni aucune assurance sur les conditions des éventuels renvois de ces personnes vers leur pays d’origine ;
– tout comme celle de l’Algérie qui après les premiers refoulements du Maroc vers sa frontière et après avoir recueilli les premiers groupes de migrants reconduits, les a elle-même ensuite refoulé vers le désert marocain et empêché l’accès à son territoire à l’ensemble des autres groupes.