« L’intelligence qu’on assassine…. »

« L’intelligence qu’on assassine…. »

Salah-Eddine SIDHOUM

Algeria-Watch, mars 2003

A la mémoire de mon Ami, le regretté Cheikh Benyoucef Benkhedda, président du GPRA, qui m’a appris la valeur et le sens de l’Ethique politique.

 

  C’est par la vérité qu’on apprend à connaître les hommes et non pas par les hommes qu’on connaît la vérité.
Emir Abdelkader El Djazaïri
  La société n’est forte que lorsqu’elle met la vérité sous la grande lumière du soleil.
E. Zola.

« En Algérie, on assassine l’intelligence ».
Que de fois n’avons-nous pas entendu ce slogan clamé durant les années de braise, de part et d’autre de la Méditerranée, concernant les assassinats d’intellectuels algériens. Tel un leitmotiv, il était ressassé et martelé tant par les services de propagande du régime d’Alger et leurs plumitifs que par leurs relais en France dans un concert médiatique assourdissant d’une ampleur jamais égalée.
Par intellectuels, on entendait par-là seulement une minorité qui s’était ralliée par peur ou par calcul au régime militaire et s’était abritée derrière les blindés qui venaient de renverser l’urne de la «piétaille », des «gueux » et des «va-nu-pieds » qui avaient mal voté.
C’est cette malheureuse minorité élitiste, hautaine et méprisante, autoproclamée «intelligence du pays » qui sera utilisée par les services de l’action psychologique de la police politique dans la vaste campagne de manipulation et de désinformation, pour travestir la réalité du drame algérien et déverser inepties, insultes et mensonges, à travers, plus particulièrement une partie de la presse privée nationale et les plateaux de la télévision française.

N’est-ce pas feu Rachid Mimouni qui écrivait (1), s’adressant à l’opinion française:
« C’est la première fois dans l’histoire qu’on voit un mouvement terroriste se proposer d’éradiquer toute l’intelligentsia d’un pays, comme s’il s’agissait d’une mauvaise herbe ou d’une maladie. Le projet consiste à décerveler le pays. »

Et c’est un intellectuel français, François Burgat (2) de lui répondre :
« Les islamistes, nous ont longtemps expliqué en effet les plus médiatisés des analystes, avaient décidé de «décerveler » un pays où s’affrontaient «le camp des terroristes et celui des militaires », sous les yeux impuissants de la population. Est-ce vraiment de cela qu’il s’est agi ? Et si entreprise de «décervelage » il y a eu, qui en ont été réellement les acteurs et les victimes ? »

N’est-ce pas aussi un certain Rachid Boudjedra, se proclamant sans rougir «continuateur de Flaubert et de Proust » (sic) (3) qui traitera de «conglomérat de rats enragés et pestiférés» et de «charlatans de basse lignée et d’ignares semi-alphabétisés » (4), des citoyens, militants et sympathisants du parti que le suffrage universel venait de désigner première majorité politique en Algérie. Cette «hogra intellectuelle » n’est pas sans nous rappeler celle de certains colons, à l’image d’un Michel Morel, à l’encontre des «indigènes » traités de «huit millions de ratons sales et illettrés qui narguent la France » (5)
Plus de trois millions de citoyens algériens avaient voté pour des «rats enragés et pestiférés». ! Quel respect de la dignité et de la citoyenneté de la part de notre «élite » ! !

La propagande du régime et de ses troubadours médiatiques «omettra » de signaler que bien avant que certains intellectuels tombent sous les balles des islamistes, des centaines d’autres intellectuels avec des milliers d’autres citoyens, étaient embarqués de nuit et déportés dans les camps de concentration de l’extrême-sud, là où la France coloniale expérimentait ses armes chimiques et nucléaires (6). Ils étaient parmi les plus chanceux. D’autres moins chanceux, connaîtront les affres de la torture, mourront sur les tables d’«exploitation » du renseignement, seront exécutés sommairement et arbitrairement ou disparaîtront à tout jamais. Leur crime était d’appartenir à un courant politique à qui le suffrage universel venait d’accorder, pour la première fois depuis l’indépendance la légitimité de diriger le pays pour une période déterminée. De toutes ces victimes, personne n’en parlera. Ni en Algérie ni en Europe. De véritables parias ! L’esprit des deux collèges de la nuit coloniale qui resurgit. Triste recommencement de l’histoire !

Cette histoire revisitée nous rappellera cruellement que l’intellectuel algérien – le véritable intellectuel – hier comme aujourd’hui a payé, au coté de ses concitoyens, un lourd tribu dans les conflits qu’aura connu l’Algérie contemporaine. Nous sommes en droit de nous interroger si cette élimination de l’intelligence n’avait pas sa tradition dans notre guerre de libération ? Ce qui se passe aujourd’hui n’est-il pas la continuité de ce qui s’est passé hier durant la révolution et au lendemain de l’indépendance et de cette haine viscérale qu’avaient certains chefaillons vis-à-vis des intellectuels (purges sanglantes de la « bleuite » dans les maquis, assassinats de Abane, Allaoua Abbas, Chaabani, Khemisti, Mécili….) ?

Il serait honnête de rétablir avant tout la vérité en précisant que les intellectuels tués par les islamistes ne l’ont pas été en tant que tels mais pour leur prise de position en faveur du coup d’Etat et pour avoir accepté d’assurer, pour certains d’entre eux, la couverture idéologique de la répression sauvage qui s’était abattue au lendemain du pronunciamiento sur une partie de la population. Cette importante clarification ne signifie nullement que cela était une raison pour les assassiner.
Tout comme les intellectuels de « l’autre bord » ont été kidnappés, torturés et/ou exécutés dans le cadre de la politique planifiée d’éradication du courant islamique, porteur d’un projet constituant une alternative au pouvoir et qui avait, de par son ancrage populaire, sérieusement menacé les fondements du régime en place.
Les intellectuels des deux bords ont été victimes de ce qu’ils ont fait et non de ce qu’ils ont été.
Il est certain que durant les premières années de la guerre, la puissante campagne de désinformation menée par le régime et ses relais de part et d’autre de la Méditerranée a grandement désorienté l’opinion publique qui n’arrivait pas à s’expliquer certains assassinats. La faiblesse criarde du mouvement politique islamique sur le plan de l’information, a également grandement participé à la production de cette confusion. Cela facilitera le travail des services de l’action psychologique pour lui faire endosser tous les assassinats.

Tous ces facteurs ont permis, un certain temps, de mettre sous le boisseau une réalité : la volonté du pouvoir, sous couvert de la lutte « anti-terroriste », d’éliminer tout ce que comporte la société comme intelligence qui ne s’insère pas dans son projet diabolique d’éradication. Avec le recul, nous constatons que beaucoup d’intellectuels officiellement tués par les présumés islamistes étaient certes de farouches opposants au projet islamique, mais ne cautionnaient pas non plus les pratiques terroristes du pouvoir. Or, les véritables intellectuels et théoriciens de l’éradication, ceux qui lui ont donné une solide assise idéologique et s’en sont fait les ambassadeurs, ont été, en très grande partie épargnés. Ils se permettront même de s’accaparer des morts dont ils sont en partie responsables, en les transformant en leurs propres martyrs. Cela a été, avouons-le, doublement intelligent de la part des « cerveaux » de l’éradication : éliminer les voix critiques et en même temps imposer le silence aux amis et parents des victimes, puisque les « coupables » sont des ennemis, des « islamistes ».

Cette guerre a vu naître, au nom d’une certaine conception des droits de l’homme et de la démocratie, le honteux concept de l’indignation sélective. Une frange de notre élite, instrumentalisée par un quarteron de putschistes ignares et sans scrupules, pataugeait dans les marais du manichéisme, de l’imposture et de la déraison. Et en face, le monde dit libre, avalait les couleuvres de la désinformation et s’enfermait dans un silence affligeant.
Nous ne pouvons parler de cette indignation sélective sans évoquer le rôle joué par une poignée d’intellectuels français et l’éphémère comité international de soutien aux intellectuels algériens (CISIA), dans la campagne de désinformation de l’opinion publique. Bien avant d’apprécier à nos dépens l’élasticité de la notion des droits de l’homme dans certains cercles intellectuels et politiques de l’Hexagone et naïfs que nous étions, nous avions adressé, dès la naissance de ce comité, une lettre à son président (7) pour attirer son attention sur la situation d’une dizaine d’intellectuels algériens, torturés et arbitrairement incarcérés dans les geôles des «sauveurs de la démocratie et de la République ». Cette lettre, ainsi qu’une seconde adressée en 1995 (8), resteront sans réponse. En réalité ce silence en lui-même était une réponse : ce comité ne soutenait pas les intellectuels qui refusaient la soumission culturelle.
Nous n’étions pas les seuls à nous interroger sur les véritables desseins de ce comité. Des citoyens français qui refusaient de s’inscrire dans cette infâme campagne de désinformation, se poseront la même question et jugeront choquant ce soutien partiel et partial. C’est le cas de Ginette Scandrani (9) :
« Pourquoi faut-il soutenir uniquement les intellectuels alors que c’est le peuple qu’on assassine ?
Je me sens concernée lorsqu’on assassine des intellectuels, des journalistes ou des artistes mais pas plus que lorsqu’on assassine des ouvriers, des enseignants, des commerçants, des ménagères ou des chômeurs.
Pourquoi faire un catalogue des soutiens ?
Pourquoi ne soutenir qu’une partie des intellectuels alors que d’autres, ceux du FIS, sont soit en prison ou dans des camps ?
Pourquoi faut-il aller trier à l’intérieur de la société algérienne pour désigner les bons et les mauvais ? Ne sont-ils pas tous Algériens ? »

Pierre Guillard (10) écrivait en 1993 :
« J’ai écrit au CISIA : puisque le sort des intellectuels vous interpelle, demandez-vous la libération d’un prisonnier d’opinion, Abdelkader Hachani ? J’attends bien sûr toujours la réponse. A. Hachani n’est en effet qu’ingénieur en pétrochimie, francophone et arabophone, président du parti majoritaire d’un pays de 27 millions d’hommes, et docteur en Islam : autant dire une m….
Abdelkader Hachani n’obtiendra pas le label « intellectuel » délivré de professo par le CISIA. Car seuls seront reconnus «intelligence du pays » les hommes du 11 janvier et de la rébellion armée contre la démocratie ».

Non contents de se transformer en zélés propagandistes intellectuels de l’éradication, cette forme de barbarie à l’algérienne, certains membres de ce comité feront la chasse à tous ceux, qui en France, allaient à contre-courant de l’establishment intellectuel et de sa «pensée dominante » concernant la tragédie algérienne. Nous avons été abasourdis d’apprendre en 1996 d’un ami intellectuel français, qu’il avait été licencié à deux reprises de son emploi sur injonction du CISIA pour avoir dénoncé à travers ses prises de position et ses écrits, la politique de désinformation et les méfaits de ce comité.

Comme nous l’avons souligné dans un précédent article (11) et nous ne cesserons de le répéter, il n’est pas question pour nous de verser dans cette immonde indignation sélective, catégorielle ou dans un quelconque corporatisme en matière de droits de l’homme. Hier et sous d’autres cieux, c’était au nom de l’histoire, aujourd’hui, c’est au nom d’une certaine conception dévoyée de la démocratie et des droits de l’homme qu’on se permet de choisir les bonnes et les mauvaises victimes. La dignité humaine est une et nous ne pouvons admettre une telle classification ignoble tant pour la tragédie algérienne qu’ailleurs. C’est avec un profond respect que nous nous inclinons devant la mémoire de toutes les victimes du drame national provoqué par la politique criminelle d’un régime qui a voulu dresser des algériens contre d’autres algériens pour préserver son pouvoir illégitime et ses privilèges. Paix et miséricorde à leurs âmes !
Mais il est un devoir moral de lever le voile sur une partie de la vérité en affirmant haut et fort qu’à côté des intellectuels tués par les islamistes, il y a eu aussi d’autres intellectuels enlevés, torturés et exécutés arbitrairement par le terrorisme d’Etat qui s’était abattu sur l’Algérie au lendemain du coup d’Etat de 1992 et qu’on avait voulu cacher à l’opinion.

Cette étude n’a pas l’intention de tenir une comptabilité macabre ou la prétention d’énumérer les centaines d’intellectuels victimes de cette guerre, mais seulement de démystifier les menteries du régime et de ses commandos médiatiques de part et d’autre de la Méditerranée qui ont prévalu durant des années. Toute mystification a ses limites. Par des exemples précis et documentés, nous apportons sereinement des preuves irréfutables que le terrorisme d’Etat a amplement participé à la liquidation des hommes de culture et de science. Et cela n’est que justice pour celles et ceux qu’on a voulu effacer des tablettes du drame national.

Il est vrai qu’au début de la sale guerre, beaucoup de monde fut trompé par l’impressionnante machine de désinformation mise en branle par le régime dans le cadre d’une vaste stratégie de manipulation digne des Jacquin, Trinquier et Godard, de triste mémoire. Mais avec le temps, le lourd silence imposé sera rompu et des brèches seront courageusement ouvertes dans cet épais mur de mystification par quelques rares intellectuels, militant(e)s des droits de la personne humaine et officiers qui refusaient cette barbarie mais aussi cette défense des droits de la personne humaine à deux vitesses, aidés en cela par le courageux et admirable travail de témoignage des victimes et familles de victimes, malgré les malheurs et la terreur qui s’étaient abattus sur elles.

Les camps de concentration

Dès les premières heures du coup d’Etat, une vaste campagne d’arrestations fut menée par les services de sécurité et la police politique contre les cadres et élus du parti sorti vainqueur des premières élections législatives libres. Beaucoup d’entre eux étaient des universitaires. Ils seront déportés dans les camps de concentration du Sud.
Pour la seule année 1992, on comptait officiellement 1224 enseignants détenus dans les camps et geôles du régime.
Au camp de concentration de Reggane, situé à 1400 km d’Alger, on comptait en mars 1992 (12) :
· 45 ingénieurs.
· 600 enseignants d’écoles, collèges et lycées.
· 1 enseignant d’Université.
· 11 médecins.
· 5 pharmaciens.
· 4 avocats.

Pour le seul camp de Aïn M’Guel, on notait en mars 1994 (12) :
· 26 professeurs de lycée et de collège
· 5 enseignants universitaires.
· 7 ingénieurs.
· 1 médecin spécialiste, enseignant à la faculté de médecine d’Alger.
· 1 pharmacien.

Deux cas illustrent cette politique de déportation.
· Ouziala Messaoud, docteur en médecine, spécialiste en néphrologie et en transplantation rénale à l’hôpital universitaire Mustapha d’Alger, déporté au lendemain du coup d’Etat de janvier 1992 au camp de concentration d’Aïn M’Guel où il séjournera jusqu’en 1995. Il sera ensuite kidnappé le 8 juillet 1998 à la sortie de l’hôpital Mustapha par des civils armés de la police politique et séquestré durant quinze jours en un lieu secret. A sa libération, il s’exilera en Europe.

· Gahmous Abderrahmane, professeur d’université et chercheur, titulaire d’un PHD aux Etats-Unis, directeur de l’Ecole Nationale Polytechnique d’El Harrach. Déporté au lendemain du coup d’Etat au camp de concentration de Reggane durant plusieurs mois. Il sera contraint, lui aussi à l’exil.

La terreur des escadrons de la mort

En 1993, apparurent deux escadrons de la mort : l’OSSRA (organisation secrète de sauvegarde de la république algérienne) et l’OJAL (organisation de la jeunesse algérienne libre), éphémères branches de la police politique. Leur but était de terroriser le camp islamique. C’était la mise en pratique de la sinistre devise : »la peur doit changer de camp ». L’une d’elles, l’OJAL, se spécialisera dans la chasse et la liquidation des intellectuels du courant islamique. De nombreux universitaires recevront des menaces de mort, seront torturés ou exécutés par cette organisation terroriste. Parmi ses victimes, nous citerons :

· Boudjelkha Mohamed Tidjani, professeur de mathématiques à l’université de Bab Ezzouar d’Alger, avait reçu une lettre de menace de mort de cette organisation puis avait été kidnappé à son domicile en novembre 1993 par trois civils armés se présentant comme éléments de l’OJAL. Il sera séquestré en un lieu secret puis torturé durant plusieurs jours avant d’être libéré avec un message destiné aux intellectuels du courant islamique: la mort. Il sera contraint de s’exiler à sa libération.

· Mohamed Lahbib Haddam, docteur en médecine, spécialiste en chirurgie cardio-vasculaire à l’hôpital universitaire Mustapha et maître-assistant à la faculté de médecine d’Alger recevra lui aussi une lettre de menace de mort de l’OJAL. Le 11 novembre 1993 à 20 heures, deux civils armés et cagoulés feront irruption à son domicile. Le chirurgien sera ligoté ainsi que son épouse et sa fille. Les deux hommes armés lui affirmeront qu‘ils appartenaient à l’OJAL, qu’ils lui avaient adressé une lettre le condamnant à mort et qu’ils venaient exécuter la sentence. Après avoir enfermé leurs trois victimes dans une pièce, et pris de doute sur l’identité de la cible, ils quitteront les lieux en emportant les clés de l’appartement, en volant une importante somme d’argent et en promettant de revenir durant la nuit. Le chirurgien et sa famille arriveront miraculeusement à se libérer et à fuir le domicile pour aller se réfugier chez des amis avant le retour des deux criminels. Il sera contraint lui aussi à s’exiler.

· Mohamed Saïd Moulay, professeur et doyen de l’Institut de mathématiques de l’Université de Bab Ezzouar, recevra lui aussi en mars 1993 une lettre de menace de mort de l’OJAL. En décembre 1993, deux civils armés feront irruption à son bureau à l’Institut de mathématiques. Devant les menaces, il se mettra à protester à haute voix afin d’attirer l’attention des secrétaires et des directeurs-adjoints de l’Institut. Affolés par l’attroupement des fonctionnaires et des étudiants devant le bureau du Doyen, les deux criminels prendront la fuite. Ce n’était que partie remise. En effet, cet universitaire sera kidnappé avec ses deux enfants en bas âge le 19 juin 1994 par des civils armés sur l’autoroute d’El Harrach puis séquestré durant 30 jours et torturé au commissariat central d’Alger (voir chapitre tortures).

· Ahmed Hambli, professeur à la faculté de droit de l’université de Tizi Ouzou est tué par balles le 2 octobre 1993 à l’entrée de l’université par des hommes armés qui réussiront à prendre la fuite. Ses proches amis accuseront l’OJAL de son assassinat.

· Necib Mohamed Arezki, maître de conférences à la faculté de Droit de Ben Aknoun, recevra à son tour en novembre 1993, une lettre de l’OJAL le menaçant de mort. Quelques mois plus tard, des hommes armés se présenteront à son domicile pour l’assassiner. Il réussira à leur échapper.

· Mohamed Bouslimani, homme de culture et théologien, président de l’association caritative El Irshad Oual Islah, enlevé à son domicile le 26 novembre 1993. Son enlèvement sera revendiqué simultanément par l’OJAL et le GIA (probablement une absence de coordination entre les deux organisations criminelles issues de la même officine). Son corps, en état de décomposition avancée, sera découvert dans la région d’El Affroun (Blida) le 28 janvier 1994.

La Torture

Les intellectuels comme des dizaines de milliers d’autres citoyens, ne seront pas épargnés par la torture, cette pratique dégradante et inhumaine qui sera institutionnalisée après l’annulation des élections législatives, dans l’ensemble des centres de détention. Nous citerons à titre d’exemple les cas de :

· Moulay Mohamed Saïd, professeur d’université et doyen de l’Institut de Mathématiques, kidnappé sur l’autoroute le 19 juin 1994 par des civils armés alors qu’il était à bord de son véhicule avec ses deux enfants. Gardé au secret durant 30 jours au commissariat central d’Alger où il sera atrocement torturé. Il s’en sortira avec un traumatisme crânien, un traumatisme de la main et une baisse de l’acuité visuelle.

· Sari Ahmed Mahfoud, docteur en médecine, professeur agrégé en pédiatrie à l’hôpital universitaire de Baïnem (Alger-ouest), arrêté le 2 mai 1993 alors qu’il assurait sa consultation de cardio-pédiatrie. Séquestré durant 12 jours au commissariat de Cavaignac d’Alger où il sera sauvagement torturé avant d’être arbitrairement incarcéré durant 6 mois à la prison d’El Harrach.

· Brahami Mostafa, enseignant de physique à l’université de Bab Ezzouar, titulaire d’un magistère en physique quantique et doctorant en management, arrêté la première fois en octobre 1992 et sauvagement torturé durant une semaine au commissariat central d’Alger. Arrêté une seconde fois en avril 1993 et séquestré durant un mois au centre de Châteauneuf où il sera à nouveau torturé avant d’être libéré, sans retenir aucune charge contre lui. Devant ces harcèlements et les menaces de liquidation physique adressées par les escadrons de la mort de l’OJAL, il sera contraint à s’exiler en Europe fin 1993.

· Lafri Khaled, docteur en médecine, chirurgien orthopédiste, ex-maître-assistant à la faculté de médecine d’Alger. Arrêté à son domicile dans la nuit du 7 juin 1994. Gardé au secret durant 40 jours au commissariat central d’Alger où il sera atrocement torturé. Il présentera un traumatisme des jambes laissé sans soins. Incarcéré arbitrairement durant trois ans à la prison d’El Harrach puis de Serkadji.

· Lamdjadani Noureddine, docteur en médecine, épidémiologue, maître-assistant à la faculté de médecine d’Alger. Arrêté au commissariat central d’Alger le 17 mai 1994. Gardé au secret durant 60 jours à Châteauneuf puis au commissariat central d’Alger où il sera torturé. A présenté lors de sa séquestration de graves problèmes de santé restés sans soins. Incarcéré arbitrairement durant trois années à la prison d’El Harrach.

· Kerkadi Ahcène, chirurgien-dentiste, demeurant à Larbaâ (Blida), arrêté la première fois à son domicile, en avril 1993 par des parachutistes. Torturé à la caserne de Bouzaréah puis de Ben Aknoun durant une semaine avant d’être jeté sur la route. Il en sortira avec une perforation du tympan. Arrêté une seconde fois en novembre 1993, il sera séquestré durant sept jours au centre de Blida où il sera à nouveau torturé. A sa libération et devant les menaces d’assassinat, il décidera de quitter l’Algérie.

· Hammoudi Nadir, architecte, arrêté dans la nuit du 9 octobre 1992 à son domicile. Séquestré durant 28 jours au commissariat de Bab El Oued où il sera atrocement torturé. Arbitrairement incarcéré durant 5 ans à la prison de Serkadji et d’El Harrach.

· Maméche Rédha, docteur en médecine, chirurgien, arrêté en avril 1993. Séquestré durant 16 jours au commissariat de Cavaignac d’Alger où il sera torturé. Incarcéré arbitrairement durant 6 mois à la prison d’El Harrach.

· Thamert Hocine, professeur au lycée de Dellys (Boumerdés), kidnappé le 24 avril 1994 dans la rue à Alger par des civils armés de la police politique. Séquestré durant 26 jours successivement au commissariat central d’Alger, au centre de Châteauneuf et à Haouch Chnou de Blida où il subira d’abominables tortures. Selon son témoignage l’un des tortionnaires de Châteauneuf tentera de lui sectionner les doigts avec des ciseaux de tailleur.

Les exécutions sommaires

Les hommes de savoir ne seront pas épargnés, à l’instar de milliers d’autres citoyens, par les exécutions sommaires.
Dans une étude réalisée à l’occasion du 10e anniversaire du coup d’Etat (13) nous avions répertorié sur une liste non exhaustive de 1100 exécutions sommaires :
· 42 enseignants (primaire, collège et lycée).
· 11 universitaires.
· 07 médecins.
· 02 avocats.
· 02 ingénieurs.

Quelques cas illustrent cette politique planifiée de liquidation physique
· Azizi Abdelkrim, professeur de langue arabe, demeurant à El Harrach (Alger), a été torturé dans la salle de bain de son domicile le 22 septembre 1993 sous les yeux de son épouse et de ses trois filles par des policiers dirigés par le commissaire de Bourouba. Il sera ensuite embarqué avec son fils de 18 ans, Abdessamad au dit commissariat où ils seront séquestrés durant plusieurs semaines avant d’être exécutés sommairement selon le témoignage d’un officier de police adressé en 2000 au président de la République.

· Bouchelaghem Moussa Fouad, Maître de conférences à l’université de Blida, titulaire d’un doctorat en physique, arrêté à son domicile à Alger le 3 juin 1994 par des éléments cagoulés de la police politique. Il sera localisé, suite à des témoignages concordants d’ex-détenus, au centre de Châteauneuf (cellule n°9) où il sera affreusement torturé. Le 8 septembre 1994, sa mère trouvera son nom sur le registre de la morgue de Bologhine où il aurait été transféré le 20 juillet. Selon la version officielle, il aurait été abattu suite à une «tentative de fuite ». Des ex-détenus, ses amis et sa famille sont formels : cet universitaire avait été sorti de sa cellule et exécuté sommairement.

· Bouhadida Seghir, journaliste et maître-assistant à l’Institut de journalisme de l’université d’Alger, a été kidnappé dans la rue le 11 juin 1995 par des agents de la police politique. Il sera localisé dans un premier temps selon le témoignage de sa famille au commissariat de Bourouba. En 1996, sa famille apprendra par le biais d’Amnesty international qu’il avait été abattu «suite à un accrochage avec un groupe terroriste » selon la correspondance adressée par les autorités à cette ONG des droits de l ‘homme.

· Boularas Ahmed, physicien, maître de conférences à l’université de Blida, arrêté en septembre 1994 à son domicile à Larbaâ (Blida) par la police politique. Selon le témoignage de ses proches, il aurait été affreusement torturé avant d’être exécuté. Son cadavre sera retrouvé quelque temps après à la morgue. Un ancien agent de la police politique, Tigha Abdelkader exerçant au CTRI de Blida et réfugié détenu en Thaïlande confirmera dans une interview à l’AFP en août 2000, qu’effectivement, cet universitaire avait été exécuté sommairement par la sécurité militaire. (14)

· Chenafa Djillali, avocat, demeurant à Sidi Ali (Mostaghanem) arrêté le 3 novembre 1994 par la police politique selon le témoignage de ses proches. Son cadavre sera retrouvé à la décharge de Beni Haoua, quelques jours plus tard.

· Dahab Omar, ingénieur en électronique, demeurant à El Oued, enseignant à l’école de formation professionnelle, arrêté en mars 1994 ainsi que dix de ses élèves. Il sera remis dans un cercueil à sa famille. Il avait été exécuté ainsi que les dix élèves du centre de formation professionnelle.

· Taleb Abderrahmane, docteur en médecine, demeurant à Larbaâtache (Boumerdés), précédemment arrêté en avril 1993, séquestré et torturé au commissariat Cavaignac d’Alger puis arbitrairement incarcéré durant 07 mois à la prison d’El Harrach, sera exécuté sommairement le 19 juin 1994 à son domicile par des militaires selon le témoignage de sa famille.

· Haddoum Kouider, docteur en médecine, demeurant à Hassasnia (Aïn Defla), arrêté par des gendarmes en janvier 1994 et exécuté ainsi que trois autres citoyens en février 1994 dans la forêt de M’Ghazi, selon le témoignage de sa famille.

· Rosli Mohamed, doyen de l’Institut des sciences sociales de l’Université de Blida, arrêté le 30 octobre 1993 par la police politique à l’université et devant ses collègues universitaires et ses étudiants. Deux ans après son enlèvement, il adressera un message à ses parents par l’intermédiaire d’un codétenu libéré signalant qu’il avait été sauvagement torturé et qu’il était séquestré à la prison militaire de Blida. Sa famille n’aura jamais l’occasion de le voir. En août 2000, un ancien agent de la police politique, Tigha Abdelkader, réfugié en Thaïlande et dans une interview à l’AFP, affirmera que cet universitaire avait été exécuté. (14)

· Boucherit Lotfi, 28 ans, demeurant au quartier Belle Vue de Constantine est docteur en médecine. Enlevé le 26 septembre 1995 à 1h du matin du domicile de sa tante (11, rue El Kadi, Casbah, Constantine) par les services de sécurité. Ces derniers auraient dérobé, selon le témoignage de sa famille, une veste en cuir neuve, un poste radio, des livres de médecine, des livres de théologie, une somme de 50 000 DA, un appareil photo et une médaille d’ancienne combattante de la guerre de libération nationale de sa tante. Mort sous la torture et enterré le 30 septembre 1995 au cimetière central de Constantine.

Les «disparitions »

Parmi les milliers de citoyens «disparus», nous notons un nombre non négligeable d’enseignants, médecins, avocats, ingénieurs et autres hommes de science.
Dans une étude (15) réalisée à l’occasion du 10e anniversaire du coup d’Etat, nous relevions sur un échantillon de 1000 cas :
57 enseignants (primaire, secondaire, universitaire)
08 Médecins
13 Ingénieurs
03 Architectes
04 Avocats et juristes
04 Journalistes

Dix cas illustrent cette politique d’enlèvements touchant cette catégorie de citoyens

Allalou Sidali, demeurant à Alger, Ingénieur d’Etat en hydraulique a été arrêté le 19 février 1995 à 18 heures par des civils armés sur le tronçon Bir Mourad Raïs-Birkhadem alors qu’il circulait à bord de son véhicule de type Renault Super Cinq. Il sera localisé aux centres de la sécurité militaire de Châteauneuf et de Haouch Chnou ( CTRI de Blida) par sa famille grâce aux témoignages de citoyens rescapés de ces centres. Aucune nouvelle de lui depuis huit ans.

· Aouifer Sebti, père de 6 enfants, demeurant à Taher (Jijel), ingénieur d’Etat en agronomie, directeur de la coopérative agricole de Chekfa (Jijel), arrêté le 12 septembre 1995 à la brigade de gendarmerie de Chekfa. Cet ingénieur et responsable était connu pour ses compétences et sa probité. Aucune nouvelle de lui depuis huit ans.

· Bellahrèche Chérif, docteur en médecine, professeur agrégé en rhumatologie et chef de service de rhumatologie à l’hôpital universitaire de Constantine. Membre de plusieurs sociétés scientifiques internationales. Il a été arrêté le 8 novembre 1994 par quatre hommes armés se réclamant des services de sécurité, alors qu’il était en consultation médicale dans son service. Sa famille l’aurait localisé au centre de la sécurité militaire de Châteauneuf en février 1995, sur la base de témoignages de rescapés de ce centre. Aucune information sur ce médecin depuis neuf années.

· Benabid Belkacem, père de 4 enfants, docteur en médecine, demeurant à Sétif. Arrêté dans la matinée du 14 novembre 1994 près de son cabinet médical situé au faubourg des 5 fusillés à Sétif par 3 civils armés se présentant comme des agents des services de sécurité qui l’ont forcé à monter à l’arrière de sa propre voiture de type R25. L’arrestation s’est faite devant près de 25 personnes dont l’infirmier du cabinet, les patients qui attendaient le praticien et les voisins. Il aurait été localisé dans un premier temps au commissariat de police de Sétif. Les policiers de ce commissariat refuseront d’enregistrer la plainte du père pour enlèvement. Aucune nouvelle depuis neuf ans.

· Beneddine Allel, avocat, demeurant à Oran, arrêté le 22 novembre 1994 à minuit à son domicile par une vingtaine d’hommes armés de la Sécurité militaire venus à bord de véhicules banalisés après avoir défoncé la porte de son appartement. A disparu depuis.

· Benkara Mustapha, père de deux enfants, chirurgien et chef de service à l’hôpital de Médéa, arrêté le 31 mars 1994 à 12 heures par des militaires sur son lieu de travail, en présence de ses confrères et du directeur de l’établissement hospitalier. Selon le témoignage de sa famille, il aurait été séquestré durant 25 jours à la gendarmerie de Médéa puis aurait été transféré par des éléments de la Sécurité militaire vers la prison de Camera située à Ksar Boukhari. Selon le témoignage d’un technicien en radiologie, ce chirurgien aurait été ramené de nuit aux urgences de l’hôpital de Médéa, la tête recouverte d’un drap, pour ne pas être reconnu par ses collaborateurs. Il présentait un traumatisme de l’avant-bras et de la jambe, suite aux tortures. Depuis, personne n’a plus eu de ses nouvelles.

· Bouabdallah Abdelaziz, journaliste au quotidien El Alem Essiyassi (Le monde politique) a été kidnappé à son domicile le 12 avril 1997 par des civils porteurs d’armes à vision infra-rouge selon le témoignage de sa famille. Il avait été précédemment arrêté en janvier 1997 puis relâché. Des témoins auraient affirmé l’avoir vu au centre de la Sécurité militaire de Châteauneuf. Aucune nouvelle de ce journaliste depuis sept ans.

· Fahassi Djamal Eddine, journaliste à la radio nationale (chaîne 3), père d’un enfant, demeurant à El Harrach (Alger) est kidnappé le 6 mai 1995 par des éléments de la sécurité militaire venus à bord de deux véhicules banalisés à El Harrach, près de l’Institut d’agronomie. Un détenu, libéré a déclaré formellement avoir vu en juin 1995, ce journaliste au centre de la Sécurité militaire de Châteauneuf. D’autres témoignages concordants confirmeront ces dires. En 1992, ce journaliste avait été déporté durant 45 jours au camp de concentration de Aïn Salah.

· Goumri Tayeb, professeur au lycée de Salah-Bey (Sétif), demeurant à Maafeur, commune de Salah-Bey, arrêté le 23 janvier 1995 par des gendarmes alors qu’il se rendait au lycée. Localisé par des témoins à la gendarmerie de Salah-Bey. Aucune nouvelle depuis de cet enseignant.

· Saâdoun Djamel, polytechnicien, maître-assistant à l’Ecole polytechnique d’El Harrach, doctorant en mécanique, demeurant à El Biar (Alger), enlevé le 7 mars 1996 à son domicile par des gendarmes de Bouzaréah puis remis aux militaires de la caserne de Blida avant d’être transféré à Béchar le 14 mars 1996 à partir de l’aéroport de Boufarik, puis à Abadla selon le témoignage de sa famille. A disparu depuis cette date.

Nous ne terminerons pas cette douloureuse énumération de quelques dizaines de victimes citées à titre d’exemple, sans l’évocation de la mémoire de nombreux intellectuels dont l’assassinat n’a jamais été élucidé et dont les proches, amis et observateurs continuent à s’interroger sur les véritables commanditaires de leur élimination physique, malgré l’étiquette «GIA » officiellement collée aux auteurs de ces crimes. Comme pour des milliers d’autres victimes de cette guerre, aucune enquête sérieuse n’aura été diligentée et aucun procès équitable ne prouvera la culpabilité des malheureux citoyens inculpés. L’opinion se suffira parfois d’un communiqué laconique de presse annonçant que «les auteurs de l’assassinat de tel intellectuel ont été abattus au cours d’un accrochage avec les services de sécurité » et le dossier était ainsi clos. Ailleurs on présentera souvent à cette même opinion, lors d’ «aveux » télévisés, de malheureux citoyens, le visage tuméfié et déformé par la torture, ‘’reconnaissant’’ avoir tué tel ou tel intellectuel. Des «aveux » d’un autre âge qui ne trompent personne.
Les observateurs avertis se sont toujours demandés si, dans le cadre de l’action psychologique qui sous-tendait le diabolique plan d’éradication, certains meurtres catégoriels et ciblés n’étaient pas destinés à semer la terreur dans une classe moyenne frileuse afin de la jeter sous le burnous mité des janviéristes.

Quatre cas illustrent cette catégorie de victimes :
· Youcef Fethallah, juriste et président de la ligue algérienne des droits de l’homme (LADH), tué le 18 juin 1994 devant la porte de son cabinet professionnel, à la rue Larbi Ben M’hidi (Alger). Ses amis nous apprendront que cet humaniste venait de revenir de Berlin où il avait assisté à une conférence organisée par Amnesty International. Il avait très tôt dénoncé la répression qui s’était abattue sur les jeunes citoyens et l’ouverture des camps de concentration. Le 8 mai 1994, il participait à Alger, à la marche nationale pour le dialogue et la réconciliation nationale, ce qui lui valut des attaques virulentes de la part de la minorité éradicatrice et de sa presse attitrée. Membre de la commission «d’enquête » sur l’assassinat de Mohamed Boudiaf, des informations à l’époque avaient fait état de réserves émises par le défunt quant au rapport final.

· Embarek Mahiout, économiste, militant des droits de l’homme et membre (trésorier) de la direction du Front des Forces Socialistes, tué ainsi que son neveu le 4 novembre 1995, à Kouba (Alger) à quelques jours des «élections » présidentielles, mascarade électorale à laquelle le FFS et d’autres partis politiques appelaient au boycott. Cet universitaire, était connu pour son infatigable combat pour les droits de la personne humaine et la démocratie. Là aussi, officiellement, le «GIA » était responsable de ce crime. Lors du procès intenté par l’ex-«ministre» de la Défense du régime d’Alger contre le sous-lieutenant Souaïdia, Aït Ahmed cité comme témoin par la défense déclarera à l’audience, concernant le regretté Mahiout : « Non seulement on confisque le pouvoir, ses richesses, la mémoire, mais aussi quand «ils» veulent régler leurs problèmes internes, ils s’envoient des messages en ciblant des personnalités. On a ciblé notre trésorier, on l’a tué en pleine campagne électorale » (16)

· Abdelkader Hachani, ingénieur en pétrochimie, membre de la direction politique du Front Islamique du Salut, arbitrairement incarcéré durant cinq ans et demi au bagne de Serkadji (1992 – 1997) pour avoir appelé les militaires à respecter le choix du peuple souverain. Mis sous filature serrée par la police politique depuis sa libération, il sera froidement exécuté le 22 novembre 1999 par un homme armé dans un cabinet dentaire où il se soignait. L’auteur présumé du crime, membre du «GIA » selon la version officielle, sera rapidement arrêté, quelques jours après le forfait, se promenant à Alger, selon la presse avec l’arme du crime et….les papiers de la victime ( ! ! ?). La famille du défunt dénoncera la parodie de procès où persisteront de larges zones d’ombre. « Il est demandé aux instances suprêmes du pays d’en faire toute la vérité. Rien que la vérité. L’histoire ne pardonnera pas » déclarera son frère, après ce procès (17).

· Tahar Djaout, journaliste et écrivain, victime d’un attentat le 26 mai 1993 près de son domicile dans la banlieue ouest d’Alger, succombera quelques jours plus tard à ses blessures. Le 30 mai, l’AFP, citant une source sécuritaire annonçait que deux des auteurs de l’assassinat de ce journaliste avaient été abattus. Le 1er juin, un citoyen, Abdallah Belabassi, faisait des «aveux » à la télévision, affirmant être le conducteur du véhicule des assassins du journaliste et que le meurtre avait été commandité par un certain Layada. Quatre groupes de citoyens se retrouveront devant la justice, accusés d’être responsables de l’attentat. Layada, «émir » du «GIA » et présenté par certains titres de presse et par le malheureux Belabassi lors de ses «aveux » télévisés comme étant le commanditaire du meurtre sera acquitté par le tribunal d’exception d’Alger dans cette affaire. Les amis du journaliste créeront un comité pour la vérité sur sa mort. Deux membres de ce comité (Boucebci et Mekbel) seront à leur tour assassinés quelque temps après. Son ami, Arezki Aït Larbi, journaliste, écrira à ce propos : « Malgré toutes ces manœuvres, il reste toutefois une certitude : huit ans après, l’assassinat de Tahar Djaout, comme tant d’autres, restera une énigme ». (18). Beaucoup d’observateurs continueront là aussi à s’interroger sur les commanditaires de ce meurtre (19).

Encore une fois, il ne s’agit nullement de remuer le couteau dans la béante et profonde plaie du drame national qui n’est pas prête d’être cicatrisée mais seulement de remuer les arguments fallacieux et ignobles de ceux qui ont transformé une immense espérance de changement en une tragédie abyssale et qui n’ont pas hésité, pour sauver leur république des privilèges, à mener une guerre contre une partie de leur propre peuple tout en essayant vainement, le temps d’un mensonge, de tromper l’opinion publique sur la réalité du drame et d’une partie des victimes.
Après avoir joué sur la désinformation et la manipulation et après que la baudruche se soit en partie dégonflée, les maîtres du royaume de la terreur et de l’arbitraire, troublés par leur mauvaise conscience pensent jouer sur le temps et donc sur l’amnésie pour effacer les traces de toutes les horreurs qu’ils ont fait subir – et qu’ils continuent à faire subir – directement ou indirectement à leur propre nation durant plus d’une décennie de crimes et de non-châtiments.
Ils pensent, ainsi, par ces stratagèmes éculés, échapper au tribunal de l’Histoire. Grossière erreur !
La page sanglante de cette tragédie qui perdure ne pourra être tournée tant que toute la Vérité n’aura pas éclaté et que la Justice n’aura pas apposé son sceau.
Ce modeste travail est une contribution que nous versons au dossier de l’Algérie meurtrie qu’aura à traiter la future commission nationale de Vérité et l’Histoire inéluctablement jugera, n’en déplaise aux criminels de tous bords qui pensent pouvoir, par la force, l’argent sale, le mensonge et l’intrigue, échapper à son tribunal !

Références :

(1) Rachid Mimouni, Le Monde, 18 mai 1994, p.2.
(2) François Burgat, Algérie : L’islamisme contre les intellectuels ? In L’Algérie en contrechamp, Peuples Méditerranéens n° 70-71, Janvier-juin 1995, p. 58.
(3) Rachid Boudjedra, militant de l’ex-parti stalinien algérien du PAGS et éradicateur devant l’Eternel, témoin à charge lors du procès qu’intentait Khaled Nezzar contre le sous-lieutenant Souaïdia, déclarera, toute honte bue, le 03 juillet 2002 devant la 17e chambre du tribunal de Paris être le «continuateur de Proust et de Flaubert ». Cette ‘’blague’’ provoquera l’hilarité de la salle. Habib Souaïdia, Le procès de « La sale guerre », La Découverte 2002, p. 248.
(4) Rachid Boudjedra, Le FIS de la haine, Editions Denoel, Paris, 1992.
(5) Michel Morel, Lettre à l’hebdomadaire l’Express, N° 407, 02 avril 1959.
(6) Oued Namous et Reggane.
(7) Citée par Jacques Vergés, in : Lettre ouverte à des amis algériens devenus tortionnaires, Editions Albin Michel, 1993, p. 62.
(8) Salah-Eddine Sidhoum, Lettre ouverte à Pierre Bourdieu, président du CISIA, septembre 1995, publiée in : Livre blanc sur la répression en Algérie, T3, Les complicités, Editions Hoggar, Suisse 1996, p. 288.
(9) Ginette Scandrani, L’Algérie, quel dialogue ? L’appel du CISIA in : L’Algérie en contrechamp, Peuples Méditerranéens n° 70-71, Janvier-juin 1995, p. 41.
(10) Pierre Guillard, Que se passe-t-il dans la tête de M. Pierre Bourdieu ? in : Jusqu’à quand la désinformation à propos du pays d’Algérie. Textes polycopiés. 13 novembre 1993. Pierre Guillard est l’auteur d’un ouvrage sur la tragédie algérienne : Ce fleuve qui nous sépare. Editions Lyosel, Paris, 1994.
(11) Salah-Eddine Sidhoum, L’autre versant de la tragédie, Algeria-Watch, décembre 2001, www.algeria-watch.org/mrv/mrvrepr/versant_tragedie.htm
(12) Témoignages adressés par des déportés à l’auteur.
(13) L’Algérie, 10 ans après le putsch, Les droits humains : un bilan désastreux. 1100 exécutions sommaires, in : Algeria-Watch, 11 janvier 2002, http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/1100_executions/1100_executions_A.htm
(14) Voir aussi son interview : Algérie : les révélations d’un déserteur de la SM, Nord-Sud Export, n°427, 21 septembre 2001.
(15) L’Algérie, 10 ans après le putsch, Les droits humains : un bilan désastreux. 1000 cas de disparitions forcées. In Algeria-Watch. 11 janvier 2002. http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/1000_disparitions/1000_disparitions_A.htm
(16) Habib Souaïdia, Le procès de « La sale guerre », La Découverte 2002, p. 382.
(17) Kamel Hachani. Rétablir la vérité. In hebdomadaire El Borhane, semaine du 25 août au 1er septembre 2001.
(18). Arezki Aït-Larbi. L’assassinat de Tahar Djaout : un crime sans coupables. Le Matin 26 mai 2001. www.algeria-watch.de/farticle/presse/tahar_djaout.htm
(19) Lire aussi, concernant les interrogations sur l’assassinat de feu Djaout :
– Ghania Mouffok : « Qui a tué Tahar Djaout ? » in Etre journaliste en Algérie. RSF. Paris 1996. p.91-94.
– Le rapport de Reporters sans frontières (mars 1997) : Algérie : la guerre civile à huis-clos. Chapitre : « Qui a tué Tahar Djaout ? », in Algérie Le livre noir, p.16. Editions La Découverte 1997,
– L’article du journaliste et ami du défunt, Arezki Aït Larbi dans le Figaro du 9 janvier 1997.