Amnesty International: Rapport mondial – Algérie

Amnesty International

ALGÉRIE

Couvre la période allant de janvier à décembre 2002

RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE
CAPITALE : Alger
SUPERFICIE : 2381741 km²
POPULATION : 31,4 millions
CHEF de l’ÉTAT : Abdelaziz Bouteflika
CHEF du GOUVERNEMENT : Ali Benflis
PEINE DE MORT : maintenue, mais un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis 1994
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome signé

Le nombre de personnes tuées dans le conflit interne que connaît le pays depuis plus de dix ans est resté élevé. Des centaines de civils, dont des enfants, sont morts dans des attaques perpétrées par des groupes armés. Plusieurs centaines de personnes, membres des forces de sécurité, des milices armées par l’État ou de groupes armés, ont été tuées lors d’attaques, d’embuscades et d’affrontements. Une dizaine de civils ont été victimes d’exécutions illégales imputables aux forces de sécurité lors de manifestations antigouvernementales. Le recours à la torture était toujours très répandu, notamment pendant la détention secrète et non reconnue. Les défenseurs des droits humains ont été la cible d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités. L’impunité dont bénéficiaient les responsables des atteintes aux droits humains constituait un problème considérable et continuait d’entraver la recherche de la vérité et de la justice pour les milliers de cas de torture, de « disparition » et d’homicides signalés depuis 1992 et imputables aux force de sécurité, aux milices armées par l’État et aux groupes armés. L’état d’urgence proclamé en 1992 n’avait toujours pas été levé à la fin de l’année. Le moratoire sur les exécutions déclaré en décembre 1993 était toujours en vigueur.

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Contexte

Le Front de libération nationale (FLN), seul parti politique autorisé jusqu’en 1989, a remporté la majorité absolue lors des élections législatives de mai. Le scrutin a été marqué par la participation la plus faible depuis l’indépendance en 1962, moins de la moitié des électeurs inscrits ayant voté. En Kabylie, région à majorité amazigh (berbère), le boycottage a été presque total. La participation a été tout aussi faible pour les élections locales qui se sont déroulées en octobre.

Au mois d’avril, le tamazight (berbère) a été consacré «langue nationale» grâce à une modification de la Constitution. Ce statut impose à l’État de promouvoir et de développer toutes les variantes de cette langue parlées en Algérie. Les militants berbères ont continué de revendiquer le statut de langue officielle pour le tamazight, au même titre que l’arabe.

En avril, l’Algérie et l’Union européenne ont signé l’Accord euro-méditerranéen d’association. Ce traité, qui concerne essentiellement le commerce, l’intégration économique, la sécurité et le dialogue politique, contient également une clause contraignante obligeant les parties contractantes à promouvoir les droits humains et à les protéger.

Au mois de juin, une plainte a été déposée en France contre le général en retraite Khaled Nezzar, accusé d’être responsable d’actes de torture commis entre 1990 et 1993, lorsqu’il était ministre de la Défense. Cette initiative faisait suite à une autre plainte pour torture déposée contre lui en 2001. Le parquet de Paris a classé les deux plaintes en juillet, en raison de l’absence de preuves quant à la responsabilité directe de Khaled Nezzar dans des actes de torture.

Le procès d’Habib Souaïdia, ancien officier de l’armée accusé par Khaled Nezzar de diffamation, s’est ouvert à Paris en juillet. Cette procédure avait été engagée à la suite des déclarations d’Habib Souaïdia à la télévision française à propos de l’implication des forces armées algériennes dans les violations flagrantes des droits humains commises dans les années 90.

Des historiens, des responsables politiques, des militaires et des intellectuels de toutes tendances se sont succédé au cours des audiences pour témoigner à propos du conflit actuel et des atteintes massives aux droits humains qui le caractérisent. Le tribunal a conclu, en septembre, qu’Habib Souaïdia avait agi de bonne foi et l’a relaxé.

L’Algérie a accueilli au cours de cette année 2002 trois rencontres internationales sur la «lutte contre le terrorisme» et la «criminalité organisée». Les déclarations officielles faites en ces occasions indiquaient que le pays recherchait un soutien à son argument selon lequel les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux États- Unis prouvaient qu’il avait eu raison d’adopter une politique de « lutte contre le terrorisme » au cours des dix dernières années. Un message similaire était contenu dans les rapports que l’Algérie a remis le 24 décembre 2001 et le 15 août 2002 au Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité des Nations unies, dans lesquels elle présentait les mesures prises en vue de «prévenir et combattre le terrorisme». Certaines de ces mesures, notamment les modifications de la législation adoptées les années précédentes et la ratification de traités comme la Convention arabe sur la répression du terrorisme, constituent une menace grave pour les droits humains. La politique algérienne de «lutte contre le terrorisme» a été dénoncée par Amnesty International, entre autres, comme étant un prétexte pour justifier les violations massives des droits humains. Dans le courant de l’année, les États-Unis ont exprimé leur soutien à cette politique.

Homicides dans le conflit armé

Plusieurs centaines de civils ont été tués par des groupes armés lors d’attaques ciblées dans des villes et des villages ou à de faux barrages ainsi que dans des attentats aveugles à l’explosif. Ces attaques ont souvent fait des dizaines de morts ou de blessés graves. Dans la grande majorité des cas, aucun groupe n’a revendiqué l’attentat et aucun responsable n’a été traduit en justice.

Des centaines de membres des forces de sécurité, de milices armées par l’État et de groupes armés ont trouvé la mort dans des embuscades ou lors d’affrontements. Toutefois, il était souvent impossible d’obtenir des détails précis quant à l’identité des victimes ou aux circonstances exactes de leur mort, car les autorités restreignaient l’accès à ce type d’information. Des dizaines de membres de groupes armés qui s’étaient rendus aux autorités au cours des années précédentes auraient rejoint à nouveau des groupes armés.

Plus de 40 civils ont été tués et des dizaines d’autres ont été blessés lors d’un attentat à l’explosif perpétré le 5 juillet, jour du quarantième anniversaire de l’indépendance, dans un marché très fréquenté de Larba, à 25 kilomètres au sud d’Alger.

Homicides et arrestations au cours de manifestations

Une dizaine de civils non armés, parmi lesquels figurait un adolescent de quatorze ans, ont été tués par les forces de sécurité en mars et en avril lors d’une série de manifestations antigouvernementales. Les mouvements de protestation, qui dénonçaient plus particulièrement la répression politique et la détérioration de la situation socioéconomique, se sont poursuivis tout au long de l’année en plusieurs endroits du pays, notamment en Kabylie, une région du nord-est de l’Algérie peuplée essentiellement de Berbères. Certains des civils tués auraient été abattus avec des balles réelles, d’autres auraient été frappés ou lardés de coups de couteau, d’autres encore, manifestement visés à la tête, auraient été atteints par des balles en caoutchouc ou des grenades lacrymogènes.

De très nombreuses personnes ont été arrêtées pendant les manifestations ou à l’issue de celles-ci et ont été maintenues en détention pendant plusieurs mois. C’était notamment le cas de plus de 60 militants politiques kabyles, placés en détention en mars pour trouble à l’ordre public; ils ont été remis en liberté en août, dans l’attente de leur jugement. Des dizaines d’autres manifestants ont été jugés et condamnés à des peines allant de plusieurs mois à plusieurs années d’emprisonnement. Certains ont été élargis après avoir purgé leur peine, les autres ont recouvré la liberté à la faveur d’une grâce présidentielle décrétée en août.

Torture et détention secrète

Le recours à la torture restait très répandu. Un grand nombre des personnes qui auraient été torturées avaient été arrêtées en raison de leurs liens présumés avec des groupes armés. Les tortures leur auraient été infligées alors qu’il étaient en détention secrète et non reconnue durant des semaines, voire des mois, le plus souvent dans des bases des services de sécurité militaire connus sous le nom de Département du renseignement et de la sécurité (DRS).

Le gouvernement et les autorités judiciaires déclaraient systématiquement ne rien savoir de ces cas jusqu’au moment où les détenus étaient déférés devant un tribunal ou remis en liberté.

Vraisemblablement, les cas de torture signalés ne représentaient qu’une infime partie de la réalité, car de nombreuses victimes, notamment dans les affaires de droit commun, préféraient ne pas déposer de plainte, craignant qu’une telle démarche n’aggrave leurs difficultés ou n’expose leurs proches à des représailles de la part des autorités.

Brahim Ladada et Abdelkrim Khider, deux commerçants d’une trentaine d’années demeurant à Delles, ville côtière située dans le nord-est du pays, auraient été torturés à plusieurs reprises au mois de mars pendant leur détention secrète et non reconnue dans une base du DRS non loin d’Alger. Ils auraient été contraints de faire sous la dictée de leurs tortionnaires des déclarations par lesquelles ils reconnaissaient entretenir des liens avec, d’une part un groupe armé, d’autre part un avocat algérien défenseur des droits fondamentaux vivant en exil en Suisse. Amnesty International estime que ces deux hommes pourraient avoir été arrêtés et torturés pour avoir signalé à cet avocat des cas de violations des droits humains perpétrées par les forces de sécurité. Brahim Ladada et Abdelkrim Khider auraient été entièrement déshabillés et seraient restés nus pendant la douzaine de jours qu’ils ont passés dans la base du DRS. Ils ont déclaré avoir été battus à plusieurs reprises à coups de matraque et de tuyau en plastique et avoir subi le supplice du « chiffon », méthode de torture qui consiste à enfoncer un morceau de tissu dans la bouche de la victime, puis à verser à travers ce tissu de l’eau sale contenant un produit détersif et d’autres impuretés.

Défenseurs des droits humains

En 2001, des militants des droits humains ont subi des actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités algériennes. Certains ont été jugés sur la base d’accusations apparemment formulées pour des motifs politiques. D’autres, parmi lesquels figuraient des avocats et des proches de «disparus», ont été menacés, notamment de mort, par des membres des forces de sécurité ou par des personnes dont on a lieu de croire qu’elles appartenaient à ces services.

Au mois de février, Mohamed Smaïn, président de la section de Relizane de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), a été condamné à un an d’emprisonnement pour diffamation, après avoir évoqué dans la presse l’implication de l’État dans des violations graves des droits humains. Il était en liberté à la fin de l’année, en attendant que la Cour suprême statue sur son pourvoi en cassation.
En mai, Abderrahmane Khelil, membre de la LADDH à Alger et militant au sein du Comité SOS-Disparus, qui s’occupe de la question des «disparitions», ainsi que son ami Sid Ahmed Mourad, ont été condamnés à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir mené une enquête sur les circonstances dans lesquelles des étudiants ont été arrêtés pendant la campagne pour les élections législatives du mois de mai. Les deux hommes ont été reconnus coupables sur la base de l’accusation vague d’«incitation à un rassemblement non armé».

Conditions carcérales

Une cinquantaine de prisonniers ont trouvé la mort et une centaine d’autres ont été blessés à la suite d’incendies qui se sont déclarés à l’intérieur de 12 prisons en avril et en mai. Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), l’organe officiel de défense des droits humains, a réclamé l’ouverture d’une enquête sur les allégations selon lesquelles le nombre élevé de victimes était dû aux conditions carcérales inhumaines, notamment à la surpopulation. Le ministre de la Justice a affirmé avoir ordonné une enquête, mais les conclusions n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année.

Absence de vérité et de justice

Le président de la CNCPPDH a réaffirmé à plusieurs reprises durant l’année la nécessité de mener des enquêtes sur les atteintes aux droits humains. Il a notamment promis que la question des «disparus» serait résolue avant la fin de l’année.

Aucune initiative concrète n’avait apparemment été prise par les autorités pour éclaircir le sort des quelque 4000 hommes et femmes arrêtés par les forces de sécurité ou les milices armées par l’État entre 1993 et 2000 et qui ont «disparu». De même, aucune mesure ne semblait avoir été prise pour enquêter sur les informations fournies par les familles à propos du lieu d’inhumation présumé de ceux de leurs proches qui ont été enlevés et tués par des groupes armés mais dont les corps n’ont jamais été retrouvés.

En octobre, un tribunal militaire a condamné à deux ans d’emprisonnement pour «homicide involontaire» le gendarme accusé d’avoir abattu le lycéen Massinissa Guermah dans un poste de gendarmerie de Kabylie en avril 2001. La mort du jeune homme avait déclenché une série de mouvements de protestation dans la région. En revanche, à la fin de l’année, un nombre très faible de procédures semblaient avoir été engagées contre les responsables de l’exécution illégale d’une centaine de civils non armés lors des manifestations en Kabylie, bien que les autorités aient annoncé en de nombreuses occasions que les membres des forces de sécurité mis en cause seraient traduits en justice. Une commission officielle d’enquête avait conclu, en 2001, que les membres des forces de sécurité avaient, à maintes reprises, eu recours à la force meurtrière de manière abusive lors des manifestations.

Aucune enquête approfondie, indépendante et impartiale n’a été effectuée sur les atteintes massives aux droits humains commises depuis 1992, et parmi lesquelles on pouvait compter des milliers d’exécutions extrajudiciaires, de meurtres délibérés et arbitraires de civils, de cas de torture et de mauvais traitements ainsi que de «disparitions». À la connaissance de l’organisation, aucune mesure concrète n’a été prise, dans la très grande majorité des cas, en vue de traduire en justice les responsables des atteintes aux droits humains perpétrées en 2002 et les années précédentes par les forces de sécurité, les milices armées par l’État et les groupes armés.

Organisations internationales

Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires qui avait demandé dans le courant de l’année 2000 à se rendre en Algérie n’avait toujours pas été autorisé à le faire à la fin de l’année. Les autorités n’avaient pas davantage répondu favorablement aux demandes analogues formulées de longue date par le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires et le rapporteur spécial sur la torture. Le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction s’est rendu en Algérie en septembre.

En octobre, lors de l’approbation de l’accord d’association conclu en avril entre l’Algérie et l’Union européenne, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il exprimait sa profonde préoccupation à propos de différents aspects de la situation des droits humains dans le pays, notamment l’impunité, les homicides et les «disparitions».

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a continué les visites de prisons qui avaient repris au cours de l’année 1999.

Autres documents d’Amnesty International

Algérie. Quand les gestes symboliques ne sont pas suffisants : les droits humains et l’accord entre l’Union européenne et l’Algérie (MDE 28/007/02).