Et si la peur changeait encore de camp…..?

ATTAQUE DE YAKOUREN

Et si la peur changeait encore de camp…..?

Djameleddine Benchenouf, http://esperal2003.blogspot.com/, 18 juillet 2007

Une attaque a eu lieu, dans la nuit du vendredi au samedi 14, contre la brigade de gendarmerie et le cantonnement de la police communale, dans la localité de Yakourène, à une cinquantaine de kilomètres de Tizi Ouzou, par un groupe armé susceptible d’appartenir au GSPC.
La presse qui a rapporté les déclarations des services de sécurité et les témoignages des habitants nous apprend que les assaillants, au nombre d’une soixantaine d’individus, fortement armés, se sont attaqués simultanément, aux environs de minuit, à la brigade de gendarmerie et au cantonnement de la police communale, tous deux situés en plein centre ville. Des fusils mitrailleurs et des lance-roquettes ont été utilisés contre les deux bâtiments. Les gendarmes et les policiers ont pu résister à l’attaque jusqu’à l’arrivée de la troupe qui a pu prendre les individus armés à revers et les contraindre à un repli forcé et précipité. Ceux-ci avaient placé des bombes à l’entrée de Yakouren, par où ils pensaient que l’armée viendrait. Mais celle-ci est entrée dans la ville par le côté opposé et a pu surprendre le groupe armé. Celui-ci perdra quatre des siens, dont il abandonnera les cadavres sur les lieux et que les services de sécurité exposeront sur la place publique durant toute la matinée du samedi. Une pratique d’un autre âge. On ne sait rien des pertes éventuelles parmi les forces de sécurité. Le général major Bousteila, Commandant de la Gendarmerie nationale ne se rendra sur les lieux que deux jours plus tard.
Les témoignages de la population corroborent les comptes rendus de la presse. Il faut imaginer la stupeur et l’épouvante des habitants de Yakouren qui sont réveillés par un vacarme d’enfer, par le tir nourri de fusils mitrailleurs et des explosions des roquettes, en plein centre de leur petite ville.
Dès le lendemain, comme à l’accoutumée après chaque attaque terroriste, des forces héliportées et terrestres de l’armée quadrillent toute la région. Certains articles de presse font même part de l’encerclement d’un groupe important d’individus armés dans les massifs avoisinants. Sans plus de résultats connus.
Il était prévisible qu’une attaque de cette ampleur, en plein centre ville d’une localité qui est entourée de dizaines de cantonnements militaires, puisse défrayer la chronique. Il n’en sera rien, pourtant, alors que la presse algérienne, qui relaie régulièrement les déclarations rassurantes des services de sécurité sur l’état du terrorisme résiduel, a contribué à donner des groupes terroristes l’image d’individus aux abois, isolés de la population et qui errent comme des âmes perdues, d’une montagne à l’autre. Le journal « l’Expression » rapporte dans un article récent une déclaration de ses sources sécuritaires: « Les terroristes capturés à la suite des opérations, les repentis, ont tous dressé un tableau négatif de la situation des groupes armés dans les maquis. On ne doit sa survie qu’à une poignée de sa garde prétorienne, constituée de terroristes privilégiés, alors que pour les autres, c’est l’enfer… » Comment expliquer alors que des individus réduits à un tel état puissent se livrer à une opération de l’importance de celle de Yakouren?
Mais en plus de l’attitude ébahie de la presse algérienne et qui donne l’impression d’attendre qu’on lui dicte la conduite à tenir, si elle doit exagérer ou amoindrir le niveau de dangerosité des groupes armés, cette attaque de Yakouren semble avoir été prise en main par des groupes de pression qui cherchent à l’instrumenter et à la brandir comme une menace. Une menace qui plane, d’un autre Bentalha. Mais en Kabylie, cette fois-ci. Dans une édition récente, le journal l’Expression, qui connaît pourtant très bien le mode opératoire du GSPC, livrait une hypothèse lourde de sous-entendus: « …avec ça, la vigilance est de prime à bord(sic), car accros au sang et comme des fauves blessés, les terroristes « pourraient » perpétrer des tueries contre les douars isolés… » Le mot est lâché!
Un commentaire anonyme paru sur le blog de M.BENCHICOU, le directeur du journal Le Matin, non signé et qui se dit d’un habitant de Yakouren, a été titré: Yakouren: J’ai tout vu, on a échappé à un second Bentalha! Le témoin anonyme y parle d’un groupe d’au moins deux cents personnes sur-armés. Il affirme que celles-ci ont investi toutes les maisons de la ville, qu’elles se sont positionnées sur toutes les terrasses, dans les rues et devant les portes. Mais il dit aussi: »s’ils avaient voulu faire un carnage,il aurait été de l’ampleur de ceux de Bentalha et de Rais ou encore pire ». Ce qui n’est pas tout à fait conforme au titre qui a été accolé au commentaire. D’autant que les assaillants sont restés à Yakouren pendant plus de 3 heures et qu’ils étaient seuls maîtres de la ville, jusqu’à l’arrivée de la troupe. Dans son article sur cette attaque, au titre de « Il y a bien eu une offensive armée d’Al Qaida sans précédent », paru sur le même blog, M.Benchicou nous apprend que la Qaeda a fait parvenir à son journal, Le Matin, qui, faut-il le rappeler, ne paraît plus, un communiqué qui affirme qu’il y a eu 25 victimes dans les rangs des services de sécurité, entre morts et blessés, en plus de la récupération par le groupe armé d’un lot important de matériel et d’armement. Mais le plus intéressant dans ce que nous dit M.Benchicou, dont on ne sait pas très bien s’il lance une alerte, s’il projette des désirs inavoués ou s’il cherche à préparer l’opinion, se trouve dans la chute de l’article: « … l’attaque intégriste de Yakouren est gravissime et le temps est à l’action militaire conséquente. Cela pourra-t-il se faire sans changement de la ligne politique du pouvoir ou du pouvoir lui-même? »En plus clair, c’est la nécessité d’un coup d’Etat qui est suggérée, sinon à la population qui doit s’y préparer, du moins à la junte dont M.Benchicou a saisi, « sans aucun doute » « le signe fort de sa soudaine inquiétude. »
On ressent ainsi, après cette attaque de Yakouren et au travers d’une menace savamment distillée, dans toute la Kabylie et sur la toile, de nouveaux carnages de populations civiles, comme un sentiment de déjà vécu. Comme une réminiscence de la période sanglante de la décennie 90, lorsque la peur devait « changer de camp », pour reprendre les termes du Gourou des éradicateurs et néanmoins chef du gouvernement de l’époque. Des menaces terrifiantes qui ont été le signal d’un horrible carnage. Le contexte a pourtant changé. Les stratèges de la guerre contre les civils, et qui avaient alors instrumenté une féroce dynamique de massacres des populations civiles, pour les retourner contre les islamistes, ont compris, après avoir atteint leurs buts, que le syndrome Pinochet planait au dessus de leurs têtes. Ce sont eux qui ont initié, après un deal avec le candidat Bouteflika à une deuxième législature, le dispositif référendaire qui devait les absoudre de leurs crimes et les mettre à l’abri de toutes poursuites devant les juridictions internationales, au prétexte de ramener la paix dans le pays. Or sans une volonté affirmée de la junte et le climat d’insécurité qui avait été minutieusement mis en place, les éradicateurs n’ont plus de raison d’être. Il faut chercher ailleurs les causes de l’opération d’intox qui se met en place. La Kabylie et l’islamisme politique ont été, tous deux et à la même époque, tout le long de la décennie 90 et même après, le terrain de prédilection des stratèges du DRS et de certains autres cercles de l’armée. C’est pour cela qu’aujourd’hui, après une relative décantation de la violence armée et de la contestation citoyenne kabyle, on retrouve ces deux acteurs sur la même scène, tous deux sans alternative ni initiative que celle qu’on veut bien leur laisser. Comme des acteurs qui ne doivent pas sortir de leur texte. La Kabylie a été passée au laminoir de toutes les manipulations, depuis le débridement actif de l’agit-prop identitaire, en passant par une tentative délibérée et encadrée d’évangélisation des populations les plus enclavées et jusqu’à l’abandon de presque toute la Kabylie à son propre sort après le départ des gendarmes de cette région, en majorité rurale. Tout a été orchestré de main de maître. Une armée de spécialistes en subversion a scrupuleusement veillé à truffer la Kabylie de bombes à retardement. Cette région, traditionnellement la plus contestataire du pays, surpeuplée, en proie à un chômage endémique, au voisinage immédiat de la capitale, dont la diaspora à l’étranger est importante, devait non seulement être neutralisée, coupée du reste de la population, mais devenir surtout un foyer potentiel d’anarchie, voire de séparatisme et de guerre civile, et dont les seules ficelles devaient rester entre les mains de ceux qui veulent garder l’initiative de déchaîner le chaos quand ils le jugeront utile pour leurs interêts. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui le gros du GSPC qui refuse de déposer les armes se concentre en Kabylie, alors qu’il gagnerait à essaimer dans tout le pays. Ce n’est pas par une logique djihadiste que celui-ci se retrouve, du jour au lendemain, bombardé « El Qaida du Maghreb islamique ». Et ce n’est pas parce qu’il y a eu une attaque importante d’une ville de Kabylie que la menace d’un autre Bentalha est aujourd’hui brandie.
L’explication de cet imbroglio, de moins en moins lisible pour les non initiés du sérail, est à chercher dans la lutte sourde qui agite des clans du régime. Dans le formidable trésor qui se trouve dans les caisses de l’Etat et qui aiguillonne les appétits d’une caste vorace, qui a pris le droit de se servir à sa convenance, mais qui voit ses sphères de décision menacées de rétrécissement. L’audace soudaine de certains de ces groupes de pression qui s’agitent ainsi, presque à découvert, a été encouragée par l’incapacité incompréhensible du chef de l’Etat à re-positionner les équilibres, à redresser la barque, alors que le vent ne lui a jamais été aussi favorable. Il croit pouvoir aboutir à la neutralisation de ses principaux adversaires, ceux qui refusent d’abdiquer leurs privilèges et leurs positions, en adoptant leurs regles, en louvoyant dans les chicanes de la politique à l’algérienne. Et il ne sait pas qu’il fait leur jeu, en cherchant à évoluer sur leur terrain, à vouloir devenir le véritable chef de l’armée plus qu’il n’est le Président de la République. Ils savent que le prochain candidat, leur poulain, est déjà désigné, qu’il ne sortira pas de son rôle de marionnette et que tout rentrera dans l’ordre. Dans leur ordre. Aussitôt que Bouteflika aura disparu. Ils ont eu le temps de l’évaluer et ils ont compris qu’il n’avaient qu’à attendre. Ils connaissent dans le détail son bilan médical et misent sur leur meilleur allié: le temps. C’est ce qui explique leur grande patience. Leur souci d’éviter à tout prix la confrontation brutale. Ceux qui croient que l’emprise des généraux est révolue et ceux qui s’impatientent jusqu’à demander à la junte de précipiter les évènements n’ont rien compris à ce qui se passe. L’explication de ces regains de violence se trouve dans la nécessité absolue que le DRS a de celle-ci, pour conserver sa présence au sein de la Décision politique, en attendant que le champs soit libre. Il leur faut gagner du temps. Parce que celui-ci joue pour eux et contre Bouteflika. Tout ce qu’il demandent à la violence terroriste, c’est de durer suffisamment longtemps, sans trop de casse. Ils savent moduler l’action militaire de façon à ne pas tuer la poule aux oeufs d’or et à ne pas paraître tout à fait hors du coup. Ils savent, au besoin, réactiver et revitaliser des groupes en phase de reddition ou de délitement. L’infiltration, le retournement et l’argent sont leurs chevaux de bataille dans le monde interlope et désaxé du terrorisme. C’est une question de survie pour eux et leur système. Le DRS et les généraux qui lui sont inféodés ont besoin de maintenir la violence à un niveau de nuisance suffisamment important pour prétendre garder ou reprendre la barre. L’attaque de Yakouren et les peurs qu’ils cherchent à distiller en Kabylie procèdent de cette démarche. D’autant que leurs homologues américains ont beaucoup misé sur eux pour leur Global War of Terrorism et qu’ils sont appelés à y jouer un rôle planétaire. Un rôle à la mesure d’une ambition dévorante.