La presse indépendante en sursis : Les charges s’alourdissent

La presse indépendante en sursis : Les charges s’alourdissent

El Watan, 5 février 2017

Au moment où de nombreux titres de la presse nationale se plaignent de l’asphyxie financière due, notamment, à la baisse des rentrées publicitaires, une nouvelle mesure fiscale, introduite dans la loi de finances 2017, est venue augmenter la pression sur les entreprises de presse, déjà fragilisées.

Instituée par l’article 65, cette mesure prévoit, en effet, «une taxe spécifique sur les contrats de production, ainsi que sur la diffusion de publicité dont la réalisation est effectuée à l’étranger, faite au profit de produits non fabriqués localement». Le taux de cette taxe, précise l’article, «est de 10%, incluse dans l’assiette de la taxe sur la valeur ajoutée».

Les professionnels du secteur relèvent, d’abord, le flou qui entoure cette nouvelle disposition, en ce sens que les modalités de son application ne sont toujours pas connues. L’article en question précise d’ailleurs que «les modalités d’application du présent article sont fixées, en tant que de besoin, par un arrêté du ministre chargé des Finances».

Tout en rappelant qu’une taxe supplémentaire de 1% est déjà appliquée sur la publicité, Riad Aït Aoudia, directeur de l’agence MediAlgeriA, spécialisée dans l’achat d’espace publicitaire affirme : «Aujourd’hui, c’est encore le flou. On attend les précisions du ministère des Finances pour voir plus clair.» Selon lui, les agences intermédiaires se sont toujours acquittées de 1% de taxe supplémentaire, même si la disposition l’ayant instaurée n’est pas claire sur cet aspect.

C’est pourquoi, précise-t-il, «des circulaires d’application sont nécessaires pour lever ce genre d’ambiguïté et savoir qui doit supporter cette nouvelle taxe de 10%». Quant à son utilité, il relève le risque de voir cette disposition augmenter les contraintes qui pèsent sur l’entreprise, dans la mesure où toute charge supplémentaire pourrait freiner son développement.

«La publicité est un investissement mais, dans notre pays, elle n’est pas considérée comme telle. Si l’investissement est alourdi par les taxes, cela ralentira inévitablement la croissance de l’entreprise et, partant, de l’économie en général», explique notre interlocuteur.

Et de noter que si cette taxe doit être supportée par l’annonceur lui-même, il est plus que probable que les entreprises se verraient obligées, en ces temps de crise, de procéder à des coupes sur le budget consacré à la publicité. Les premiers à pâtir de cette situation seront les médias qui tirent de la publicité leur principale source de financement.

«Alors que le volume des annonces est en chute depuis quelques mois, une telle taxe ne fera qu’aggraver la situation», nous dit un autre spécialiste du marché publicitaire en Algérie. Chiffres à l’appui, il affirme qu’un recul sensible est d’ailleurs constaté dans le secteur automobile, principal pourvoyeur de publicité : «Rien que pour ce secteur, les investissements en publicité dans la presse (les quotidiens) sont passés de 5 739 387 604 DA, en 2015, à 3 794 601 262 DA en 2016.» Il faut savoir, par ailleurs, que les entreprises de presse sont soumises à une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont le taux a augmenté de 2 points, passant, depuis le 1er janvier 2017, de 7% à 9%.

Pour les organes disposant de rotative, la charge est encore plus importante, puisqu’en raison de la dévaluation de la monnaie nationale, l’importation du papier, qui constitue la matière première pour la confection des journaux, coûte énormément plus cher et les coûts d’impression deviennent de plus en plus lourds à supporter. Ne jouissant ni d’abattement fiscal ni d’aucune mesure particulière de soutien financier de la part des pouvoirs publics, beaucoup de titres de la presse nationale se trouvant dans une situation financière précaire risquent ainsi leur survie.

Se référant aux pratiques bien ancrées depuis des décennies déjà en Occident, mais aussi dans certains pays d’Afrique, des spécialistes rappellent que le secteur de la presse, de par le monde, est devenu l’un des plus soutenus par les gouvernements.

En France, par exemple, la presse imprimée bénéficie d’un taux de TVA super réduit de 2,1%. En Belgique, ce taux est de 6%, alors que l’Espagne applique un taux préférentiel de 4%. En Algérie, un fonds d’aide dédié à la presse, promis depuis bien longtemps par les autorités, n’a jamais vu le jour. Le ministre de la Communication, Hamid Grine, a indiqué, en novembre dernier, qu’il évoquerait les étapes de la mise en place de ce fonds «au moment opportun».

En attendant, certains éditeurs se voient contraints d’augmenter leur prix de vente pour compenser, en partie, les charges de plus en plus lourdes et la désaffection des annonceurs.

Lyes Mechti


Virage numérique et concurrence des réseaux sociaux

L’explosion de la popularité et de l’influence des réseaux sociaux, et en premier lieu de facebook, est sans doute, avec la montée en puissance de l’accès mobile, la tendance de fond la plus marquante et la mieux partagée en Algérie.

Facebook redéfinit la manière dont l’information est consommée et partagée et s’est imposé comme un incontournable outil de promotion de leur contenu pour les sites d’information, ainsi qu’un levier pour créer des communautés autour de marques média. Les médias traditionnels ont réussi graduellement à faire migrer leur audience historique vers leur présence en ligne. El Watan a été l’un des premiers médias algériens en ligne (depuis 1997). La création de la version électronique avait pour but de toucher le maximum de lecteurs et de garder le lien avec les lecteurs en Algérie et ailleurs. En 2008, le journal a introduit des vidéos et un fil d’actualité suivis, en 2009, par la création d’une petite rédaction dédiée au web.

En 2010, il a procédé à une refonte du site pour accueillir un enrichissement de l’offre éditoriale et des productions multimédia, même si 80% des contenus du site continuent à provenir de l’édition papier. Le site possède une version mobile : 30% de son audience provient des smartphones ou des tablettes. L’accès permanent et instantané aux contenus, à travers des supports variés (mobile, tablette, PC, télé connectée), constitue une révolution : le lecteur est maître de son temps. Il est aussi sollicité en permanence par eux : les alertes, le flux des réseaux sociaux et du web.

On a affaire de plus en plus à un contenu évolutif qui change en permanence par réactualisation et adaptation aux publics et aux moments de réception. Il y a deux temporalités distinctes par rapport à la culture d’un quotidien et deux dimensions-clefs : la réactivité et l’anticipation qui vont de pair et qui sont toutes deux des conditions de la réussite d’audience. Il y a un passage d’un journal comme objet fini, homogénéisant, constituant un tout à un flux continu d’informations, hétérogénéisant. Face à cette dissémination, chaque contenu est en concurrence avec d’autres, ce qui soulève la question de la marque média, de sa cohérence et de sa singularité. Riad Aït Aoudia, directeur de l’agence MediAlgeriA, nous donne son éclairage à travers quelques chiffres : «Lors de la dernière étude Immar (2015),

13% de la population déclarait lire la presse sur internet, ce chiffre est très probablement en nette hausse au vu de l’augmentation du nombre d’abonnements internet (+83%) dus notamment à la 3G et aux efforts d’infrastructures mises en place. Avec plus de 16 millions d’abonnés 3G en 2015, on imagine aisément l’importance du mobile dans l’accès aux sites d’information.» Selon lui, «la presse doit se réinventer en matière de contenu web, le brand content, les sponsorings, les applications, sont une réelle source financière complémentaire à l’achat classique.

Les journaux doivent cesser la logique de ‘‘j’augmente mon prix pour compenser mes pertes’’, les annonceurs sont de plus en plus attentifs au coût/contact, et dans notre marché, les autres médias et particulièrement la télévision offrent des opportunités de plus en plus avantageuses, qui ont fait transférer une partie des budgets des annonceurs de la presse vers les autres médias». Quelques quotidiens ont décidé de mettre la version du jour en ligne à partir de 10h pour préserver le marché de la presse imprimée. Mais la gratuité est mortelle.

El Watan reste fortement pénalisé par le fait que les sites des journaux en ligne ou la presse électronique en général sont gratuits. Le retard catastrophique du paiement électronique n’a pas permis d’aller vers la monétisation du contenu en ligne alors qu’il y a quand même pour les sites, qu’ils soient des sites de journaux ou autres, une ressource financière à tirer de ce qu’ils produisent.

S’adapter en créant de nouvelles temporalités

Cette solution peut être envisageable avec le lancement par Algérie Poste de la carte de paiement électronique Edahabia qui permet d’effectuer tous types de transactions financières et commerciales via internet et le paiement électronique via les banques. Reste à savoir si les Algériens sont prêts à payer sachant qu’il y a déjà un grand handicap : la connexion à internet est déjà chère comparativement aux autres pays du Maghreb. Autre remarque : la majorité des journaux électroniques et sites web d’information sans édition papier (ou pure players) n’ont pas un business model clair.

Certains font travailler au noir des journalistes et manquent de transparence. Le modèle économique doit être revu, car le mode de consommation des médias a changé, en particulier pour le contenu rédactionnel. Il s’agit d’aller au-delà de l’exposition du contenu écrit, capter l’attention et augmenter la lecture des informations. La mission du journaliste n’est plus de produire de l’information, il a un rôle d’agrégation et de récupération de l’information. Sur le plan international, les spécialistes de la question citent le titre économique Les Echos qui a réussi son virage dans le numérique. Le titre est l’un des plus digitalisés de la presse française, la version PDF du quotidien représentant près de 20% des ventes ; 30% de sa diffusion est faite purement en numérique et en vente mixte, c’est-à-dire abonnement papier numérique, il arrive à plus de 75%. 78% des lecteurs rentrent dans Les Echos par le numérique qui permet l’extension de l’activité et l’ouverture de nouveaux marchés, le public est plus large et plus jeune.

C’est une révolution dont on ne peut plus se passer. La façon de travailler change. S’adapter consiste surtout à créer de nouvelles temporalités. Le défi consiste à proposer des contenus adaptés aux nouvelles exigences des consommateurs dans une société d’abondance, mobile et ultra-connectée. Les gens sont de plus en plus exposés à du contenu écrit sur les supports digitaux (PC, mobile, tablette…) surtout avec les réseaux sociaux, et forcément en consomment plus souvent. Rappelons dans ce contexte que sur une population de 40 millions, 18 millions sont des internautes, 16 millions sont sur les réseaux sociaux et que l’Algérien passe en moyenne 3h/jour sur ces réseaux.

Le journaliste est devenu un producteur d’information parmi d’autres (citoyens, militants, chercheurs).
L’internaute devient producteur, source et commentateur. Mais le journaliste professionnel est obligé de se recentrer sur les bases du journalisme : la vérification et le recoupage de sources. A présent, les gens ne cherchent plus l’info, car c’est l’info qui vient à eux. Les habitudes changent, et ils abandonnent progressivement le papier. Ce problème s’est posé ailleurs, et les éditeurs ont effectivement dû trouver de nouveaux modèles économiques pour monétiser leurs contenus. D’abord sur l’offre, avec une digitalisation des plateformes et des contenus, mais également dans la segmentation de ces derniers. On ne trouve pas le même contenu sur le format papier et sur le format électronique.

Le format papier s’est progressivement transformé en un média où les gens viennent chercher (et trouver) plus qu’une information souvent minimaliste qu’on retrouve sur le digital. La tranche d’âge la mieux représentée se situe, dans la majorité des journaux en ligne, entre 18 et 44 ans. Il y a également un pourcentage des lecteurs qui accèdent aux versions en ligne via les terminaux mobiles (smartphones, tablettes). Cela signifie une transformation dans les modalités de réception et de consommation de la presse écrite. Sur le plan économique, une question pertinente se pose : la publicité papier est-elle menacée et qu’en est-il de la pub en ligne ? Même si dans notre marché, ce n’est pas encore très clair, nous n’échapperons probablement pas à la règle et, ici comme ailleurs, la tendance ira au déclin de la publicité papier au profit du digital.
Kamel Benelkadi


La presse indépendante en sursis

La presse algérienne traverse une mauvaise passe. Fléchissement des recettes publicitaires, rareté des annonceurs, monopole étatique sur la publicité institutionnelle, augmentation de la TVA…

cela va de mal en pis pour l’ensemble des titres, notamment de la presse papier. Les journaux, privés surtout, sont réduits à quémander quelques placards publicitaires pour survivre. La situation dure depuis au moins deux ans.

Comme le pays, les médias aussi sont frappés de plein fouet par la crise économique qui a conduit un certain nombre de titres à mettre la clef sous le paillasson. Et la situation risque de s’aggraver au cours de l’année, ce qui n’augure rien de bon pour l’ensemble des quotidiens. Outre la rareté de la publicité émanant des annonceurs privés, les médias font face à une terrible pression fiscale qui risque de les asphyxier à moyen terme. En effet, les dispositions de la loi de finances 2017 ne pèsent pas lourd uniquement sur les ménages. Les entreprises de presse en pâtissent également, en voyant leurs charges s’alourdir encore davantage. La double augmentation de la taxe sur la publicité complique leur tâche.

En vertu de la nouvelle loi de finances, la TVA imposée sur la publicité s’élève à 30%, dont 10% relèvent de la nouvelle taxe spécifique aux produits fabriqués à l’étranger. Cela n’est pas sans conséquences sur les annonceurs qui seront, sans doute, contraints à réduire de manière conséquente leurs budgets publicitaires. Certains titres tentent déjà de faire face à cette nouvelle crise, en augmentant le prix de leur journal, comme c’est le cas des quotidiens El Watan et Liberté. D’autres pourront suivre dans les semaines à venir. Mais cette solution ne suffira qu’à leur permettre de subsister. Car les charges sont beaucoup trop lourdes à supporter.

Sérieuses menaces sur la liberté de la presse

Depuis le début de l’année 2016, de nombreux journaux ont été obligés, en raison du manque de financements, de supprimer des emplois ou mettre fin à leur aventure dans certains cas.

Pour l’année en cours, la situation commence à devenir plus compliquée, même pour les journaux publics qui voient leurs espaces publicitaires se rétrécir gravement. Considérée dans le monde comme un des leviers de la démocratie, la presse en Algérie est menacée dans son existence. S’ils ont résisté pendant longtemps aux pressions du pouvoir, les médias indépendants risquent de ne pas sortir indemnes de cette crise économique qui va en s’aggravant. La liberté de la presse et le droit du citoyen à l’information sont sérieusement menacés.

Et devant cette situation, le pouvoir joue au spectateur. Aucune solution n’est proposée pour soutenir les médias dans cette épreuve. Pis encore, il maintient illégalement le monopole sur la publicité institutionnelle. Confiée obligatoirement et exclusivement à l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), cette publicité est distribuée de manière occulte et en violation des lois en vigueur en matière économique et commerciale. C’est ce qu’a relevé notamment l’avocat Mohamed Brahimi.

Dans une contribution publiée sur les colonnes d’El Watan en novembre 2014 sous le titre «L’hégémonisme de l’ANEP sur la publicité institutionnelle : un monopole en marge de la loi ?» il relève, en épluchant les textes de loi, le caractère illégal de cette mesure.

«S’agissant du monopole sur la publicité institutionnelle exercé par l’ANEP, il n’y a aucun doute qu’on se trouve devant un cas flagrant de monopole et de concurrence déloyale, puisque l’agence détient l’exclusivité absolue de la distribution des annonces publicitaires des annonceurs publics, ce qui fausse la libre concurrence et constitue une violation de la loi, en l’occurrence le décret 88-201 du 18 octobre 1988, mais surtout une violation des dispositions de la loi relative à la concurrence, notamment la violation de l’article 1 qui interdit les pratiques anticoncurrentielles tendant à restreindre ou à fausser le jeu de la libre concurrence ou à limiter l’accès à un marché», explique-t-il.
Madjid Makedhi


Brahim Brahimi. Professeur en sciences de l’information et de la communication

«L’Etat doit laisser faire le marché»

Retraité de l’enseignement supérieur, le fondateur et ancien directeur de l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information (ENSJSI) d’Alger a gardé sa verve que lui connaissent ses collègues, ses étudiants et les journalistes qu’il a aidés dans le cadre du Syndicat national des journalistes (SNJ). Dans cet entretien, il revient sur les réformes engagées par la loi sur l’information de 1990, sur celles en cours, et sur la relation qu’entretiennent les autorités avec la presse.

La presse connaît de graves difficultés économiques. A quoi est due, selon vous, cette situation ? Aux évolutions technologiques ou aux politiques engagées par les pouvoirs publics ?

Je vais commencer par un constat. Le philosophe Jean Baudrillard a fait dans son ouvrage Les stratégies fatales, publié en 1983, une prophétie qui se vérifie. Les technologies de l’information et des communications (TIC) provoquent, comme l’avait prédit ce théoricien, un changement mondial, qui s’est avéré crucial lors des dernières élections présidentielles américaines.

Les nouvelles technologies vont avoir une prise sur les relations internationales, mais aussi dans les rapports internes aux différents plans économique, politique, culturel. Depuis 1999, nous constatons un recul très important dans le domaine des libertés. L’ancien ministre de la Communication, Abdelaziz Rahabi, est parti sans concrétiser 5 grands projets de loi, dont un sur la presse écrite et un autre sur l’audiovisuel. Ces deux textes ont été finalement adoptés par le Parlement sans débat. Les propositions faites en commission n’ont pas été retenues. La loi sur l’information de 1990 (n°90-07), adoptée le 19 mars et promulguée le 19 avril, l’a été avec l’implication du Mouvement des journalistes algériens (MJA).

Le Conseil supérieur de l’information (CSI), institué par cette loi et qui avait un rôle consultatif, a pris des décisions importantes. Il s’agit des aides de l’Etat et ses critères, du projet d’un statut des journalistes. Le projet portant statut du journaliste sera finalement adopté plus tard ; 24 propositions seulement sur les 62 faites par le SNJ, auquel j’étais associé, ont été retenues.

Trois projets de loi sont toujours sur la table. La plus importante est le texte sur la publicité. Je vous rappelle que le monopole sur la publicité a été expressément abrogé dans la loi sur l’information d’avril 1990. Mais le chef de gouvernement de l’époque, Belaïd Abdeslam, a décidé de réinstaurer ce monopole de l’ANEP sur la publicité institutionnelle pour une période provisoire de trois ans. L’argent de la publicité devait initialement bénéficier aux journalistes de métier et pas au pouvoir de l’argent et au pouvoir administratif, comme c’est le cas actuellement.

Le pouvoir a tout fait pour casser l’expérience des collectifs de journalistes, alors qu’il a l’obligation de maintenir son rôle de régulation. L’autre projet mis sous le coude est la loi sur les sondages. Ce texte devait permettre l’émergence d’entreprises dont le souci n’est pas, comme nous l’avions constaté durant les années 1990, l’argent. Il s’agissait aussi de promulguer l’avant-projet de loi sur le livre, lancé sur injonction de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

Pourquoi ce retard dans la discussion et l’adoption de ces projets de loi ?

Il y a une explication : le pouvoir en place a produit des commis du système au lieu de favoriser l’émergence de commis de l’Etat dont le souci sera une presse libre et une démocratie consolidée. Avec ces personnes, il n’est pas possible de prendre en charge sérieusement le secteur de la communication. Il y a eu, certes, l’installation de l’Autorité de régulation de l’audiovisuelle (ARAV), mais je doute que son rôle soit significatif. Les instances de régulation ne devraient pas jouer un grand rôle. L’Autorité de régulation de la presse écrite (ARPE), instituée dans la loi organique n°12-05 est une monstruosité. Son installation est incompatible avec l’existence du ministère de la Communication, qui doit disparaître de facto après la mise en place de cette instance pour éviter le chevauchement des missions et des compétences des uns et des autres.

Le CSI, mis en place par la loi sur l’information de 1990, était en avance avec ses instances, à l’instar de la commission de la carte composée uniquement de 6 journalistes et 6 éditeurs élus. A travers les réformes engagées ces dernières années, les pouvoirs publics veulent revenir au «système FLN» alors qu’il faut nécessairement aller vers des réformes profondes pour une presse libre.

L’Etat intervient dans le secteur de la presse par un dispositif d’aides directes ou indirectes. Les fonds d’aide à la presse prévus dans certaines lois de finances ne sont pas à l’ordre du jour, alors que la presse publique et privée est au plus mal.

En novembre dernier, le ministre de la Communication, Hamid Grine, a appelé les journalistes à s’organiser pour rendre «opérationnel» le Fonds d’aide à la presse. Il a indiqué qu’il évoquerait les étapes de la mise en place de ce fonds au «moment opportun». Mais à ce jour, on ne voit rien venir…

Le Conseil supérieur de l’information (CSI) a adopté, le 5 novembre 1991, une décision fixant les règles d’octroi des éventuelles subventions, aides et subsides accordés par l’Etat aux organes d’information de la presse écrite. Un fonds d’appui à la presse très important a été dégagé pour réaliser, entre autres, des logements au profit des journalistes, mais il n’a pas été effectif.

On parle de rendre «opérationnel» ce fonds. Je pense que cette aide est nécessaire, mais qu’il faut surtout laisser travailler les journalistes sérieux, capables de se prendre en charge. Il faut laisser faire les journalistes. L’aide aux petits journaux à très faible tirage est une prime à la médiocrité. L’Etat doit laisser faire le marché. Mais on constate que le pouvoir fait toujours bénéficier des journaux sans critères sérieux de la publicité étatique. Pis, depuis trois ou quatre ans, il exerce des pressions sur les entreprises de téléphonie et des concessionnaires automobiles pour les dissuader d’insérer de la publicité dans les journaux crédibles.

Le ministre de la Communication insiste dans ses sorties publiques sur le respect de l’éthique et de la déontologie et sur l’organisation du métier. Selon lui, cette situation devrait favoriser la mise en place d’un «cercle vertueux». Qu’en pensez-vous ?

Depuis un moment, les autorités insistent sur la nécessité d’une «presse responsable». C’est un slogan creux.
Les pratiques qu’on veut instaurer favorisent le retour au système de l’autocensure, alors que seule la vérité est indispensable pour une presse libre. Dans le temps, on parlait du service public pour la presse. La notion n’est plus de mise, puisque seul l’intérêt général doit guider le travail des journalistes. Les réformes lancées ces derniers mois sont au fond des réformettes. Les commis du système dont j’ai parlé précédemment se contenteront de lancer des slogans qui n’ont pas prise sur la réalité du métier.

On ne peut pas aboutir à un réel changement dans le cadre du système actuel. Il faut de réelles réformes qui tiennent compte des réalités locales et régionales. On doit passer à la IIe République. Les journalistes comme les partis politiques doivent impérativement s’organiser pour y aboutir. Il est temps de changer, si nous voulons éviter la catastrophe.
Nadir Iddir