Entretien avec Omar Belhouchet : « Nous avons perdu 60% de nos ressources financières »

El Watan a 25 ans

Entretien avec Omar Belhouchet : « Nous avons perdu 60% de nos ressources financières »

Zahra Rahmouni, TSA, 8 octobre 2015

Le journal El Watan fête ses 25 ans d’existence. Depuis sa première parution, le 8 octobre 1990, le quotidien d’expression française a dû faire face à de nombreux défis. Entretien avec son directeur, Omar Belhouchet.

Comment évaluez-vous le parcours d’El Watan ?

C’est un parcours très difficile, avec beaucoup de problèmes de suspension, des interdictions de publicité publique et, depuis quelque mois, privée, des tentatives d’assassinats. C’est un parcours complexe.

Ça n’a pas été facile par moment. Dans les années 1992-1993, nous nous sentions bien seuls. Beaucoup de journalistes avaient décidé de partir. L’exil est un droit, mais nous avons continué à sortir les journaux avec de petites rédactions et le personnel technique. Aujourd’hui, nous sommes plus 200 personnes, près de 100 journalistes professionnels et une quarantaine de collaborateurs et de pigistes à travers le territoire national et l’étranger. C’est une rédaction très étoffée et très professionnelle qui essaie de répondre à l’actualité la plus complexe. Nous avons des éditions spéciales, pour l’Ouest, le Centre, l’Est et le Sud, avec une rédaction centrale dans chaque grande ville.

Vous évoquiez les difficultés que le journal a pu rencontrer par le passé. Pensez-vous qu’il y ait une régression de la liberté de la presse en Algérie ?

Absolument, la liberté de la presse s’est considérablement réduite dans notre pays, y compris par rapport aux années 80 et 90. Ces dernières années, un système extrêmement sophistiqué a été mis en place : la commercialité, les imprimeries de l’État, la publicité publique et privée, le fisc, tout cela concourt à réduire les capacités des entreprises à être autonomes et à produire une information qui soit libre et de qualité.

L’Algérie est l’un des rares pays au monde où il n’y a pas une politique claire vis-à-vis des médias, si on compare à ce qu’il se passe en Europe où des dispositifs, très complets, d’aide au travail des journalistes et aux entreprises de presse sont en place. Non seulement ça n’existe pas chez nous mais en plus il y a des politiques extrêmement sournoises de destruction du travail des journalistes et de toutes les entreprises de presse qui essaient de produire de la qualité.

Quelle est la situation financière de votre journal ?

Le journal se vend très bien, nous sommes à près de 130 000 exemplaires. Nous sommes contrôlés par un office international, l’OJB (Office de justification de diffusion). Ces dernières années, le niveau de tirage et de vente a rencontré de petites baisses mais elles ne sont pas très importantes. Le niveau de tirage est quand même important et le prix de vente de 20 dinars est financièrement bon pour nous.

Depuis mai 2014, nous avons perdu en quelques mois 60% de nos ressources financières. Il a fallu par conséquent mettre en place une politique de rigueur et de contrôle des finances. Nous avons été contraints de nous séparer d’un certain nombre de nos collaborateurs, de réduire les charges, les missions et de revoir beaucoup de choses à la baisse au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, avec les ventes qui sont bonnes, nous équilibrons un peu nos finances.

Comment envisagez-vous l’avenir de la presse écrite en Algérie ?

Partout dans le monde, lorsqu’il y a un journalisme de qualité, il y a encore de l’avenir pour la presse papier. Maintenant, il y a incontestablement une concurrence des réseaux sociaux, Internet et tout ce qu’on appelle la numérisation. C’est un fait mais lorsque l’on produit un journal de qualité qui va partout sur le territoire national et qui permet au journaliste de travailler, on tient le coup. La preuve est que j’ai eu l’occasion d’être invité par énormément d’organisations internationales. El Watan fait également partie de l’Association mondiale de journaux et des éditeurs et est régulièrement cité.

Ces trois dernières années, j’ai été une dizaine de fois dans des pays africains et arabes où on présente l’expérience des journaux algériens. Ces derniers arrivent à tenir le cap, à maintenir une qualité et un niveau de tirage respectable. C’est une expérience pilote pour beaucoup d’organismes internationaux, un cas d’école.

Comptez-vous donner plus d’importance à la version électronique du journal ?

Absolument, nous avons considérablement investi ces dernières années dans la version électronique. Nous étions sur le projet de paiement électronique, et c’est un dossier que je gère depuis 15 ans, mais malheureusement le système bancaire algérien est totalement archaïque. Récemment, nous avons tout mis au point mais finalement on nous a annoncé que les banques ne sont pas prêtes. C’est malheureux, alors qu’il y a quand même pour les sites, qu’ils soient des sites de journaux ou autres, une ressource financière à tirer de ce que nous produisons.

Si très souvent la publicité ne suit pas, nous avons beaucoup investi et nous continuerons à investir sur le Net car pour nous c’est une complémentarité totale. Il n’y a aucune concurrence entre le Net et le papier. Au contraire, nous marchons en équilibre.