affaire Beliardouh: Un avertissement aux correspondants de presse

Après le verdict dans l’affaire Beliardouh

Un avertissement aux correspondants de presse

El Watan, 15 décembre 2012

Ceux qui ont poussé notre confrère au suicide n’iront pas en prison. Fallait-il s’attendre à un scénario meilleur ? Avons-nous été naïfs ?

Le verdict du procès Beliardouh vient nous rappeler combien la liberté de la presse est chère à payer et combien ceux qui la portent ne sont forts que par la force de leur idéal. L’épilogue décevant qui vient conclure dix années de quête de justice, menée par El Watan et les ayants droit du défunt, est un épisode noir dans l’histoire de la presse de notre pays.
C’est surtout un avertissement sans équivoque aux correspondants de presse : voici les lignes rouges à ne pas franchir face à la mafia locale et ses ramifications au sein du pouvoir et dans l’appareil judiciaire.
Loin des ONG combatives et des défenseurs des droits de l’homme, loin des bureaux de la presse étrangère à Alger et des faiseurs d’opinion, le correspondant local est seul, vulnérable et sans défense, livré à la horde de corrompus après avoir été la proie facile des terroristes islamistes.

L’impunité est la récompense des voyous ; le cercueil ou la honte sont le châtiment de quiconque ose mettre son nez et sa plume dans les écuries d’Augias. Aza est mort, et certains de ses confrères ont dû changer leurs témoignages à charge des accusés, préférant se couvrir de honte pour sauver leur peau.

La mort dans l’âme, ils ont choisi de troquer leur dignité contre leur salut et celui de leur face à l’horrible menace. Peut-on vraiment leur en vouloir quand on sait leur solitude ? Que peut le pot de terre contre le pot de fer dans cet arrière-pays sans loi ?
A Tébessa, sorte d’El Paso algérien, tremper sa plume dans la plaie, comme l’aurait voulu Albert Londres, relève du donquichottisme.
L’Etat ne protège pas le journaliste de province et la majorité des organes de presse raccrochent le téléphone au nez de leurs employés au premier grincement de dents des puissants. Rares sont les journaux qui apportent leur soutien à leurs journalistes dans les moments difficiles. C’est pourquoi dans toutes les provinces d’Algérie, les gens qui viennent à ce métier sont considérés comme des fous. Trahi, privé du b.a.-ba d’outillage, sans formation et payé au-dessous du smig, le correspondant local n’a pour arme que son courage et sa conviction d’être investi de la mission noble d’agent social.

Certes, il y a les opportunistes et les courtisans qui parasitent le milieu, mais comme Aza il y en a et il y en aura encore en dépit de tous les Garboussi d’Algérie. Il existe des hommes et des femmes qui croient encore en ce métier et c’est pourquoi ce long procès, même perdu en salle d’audience, n’était pas vain. Il aura servi à dire que l’injustice n’est pas une fatalité et comme au lendemain de l’assassinat de Saïd Mekbel et Tahar Djaout, il reste encore des milliers de raisons pour reprendre sa plume.
Nouri Nesrouche

Ligue Algérienne des droits de l’homme (LADH) : la déception

Après que le défunt Beliardouh ait publié un article dans le journal El Watan, le 20 juillet 2002, au centre-ville de Tébessa, en plein jour, devant tout le monde, sans aucune qualité, de manière arbitraire et brutale aux moyens de véhicules, Beliardouh a été arrêté, bousculé et forcé de s’engouffrer dans une voiture et conduit au bureau du centre commercial de Garboussi, où il a été séquestré. Beliardouh, dans ses déclarations, a soutenu qu’il a été torturé et fait l’objet de tentative d’agression physique. Quelques jours plus tard, choqué et humilié, il a mis fin à ses jours. Après dix ans d’attente d’un procès équitable dans l’affaire Beliardouh-Garboussi, le 12 décembre dernier à 23h, le tribunal criminel de la cour de Tébessa a prononcé l’acquittement pour les accusés.

C’est la deuxième mort de Beliardouh et la déception totale des journalistes et des militants des droits de l’homme, car si la loi interdit de commenter une décision de justice, elle ne peut pas empêcher d’exprimer une déception.
la LADH, Boudjema Ghechir, Président

Balises : parodie de justice

Les mânes de Abdelhaï Beliardouh n’ont pas été apaisés ; ils ont rôdé sur Tébessa, en vain. Et pour cause. D’abord, l’on part avec un dossier manipulé, étriqué, où des documents déterminants, accablants, manquaient. Puis, quatre témoins à charge, dont ceux oculaires, n’étaient pas présents à l’audience, alors que le président du tribunal criminel, en l’occurrence Abdallah Gouaïdia, ayant un pouvoir discrétionnaire, aurait pu facilement les faire venir par la force publique, s’il avait voulu faire éclater la vérité, âme et essence même de la justice, n’est-ce pas ? Aussi est-il légitime, voire naturel, de se demander si on ne les en aurait pas éloignés.

Deux autres témoins, qui, avec toute leur spontanéité et leur innocence au tout début de l’affaire, avaient relaté les faits, tout ce qu’ils avaient entendu et vu,– leurs auditions aussi bien par la police que par le juge d’instruction en témoignent –, se sont, malheureusement, scandaleusement dédits lors du procès. Et là aussi, une question s’impose : ont-ils été subornés ? Telle a été l’entourloupe à Tébessa. Le reste n’a été qu’un cabotinage pathétique, tragique, dans le sens où il y a eu mort d’homme ; un cabotinage où l’acteur principal a fait preuve d’une maîtrise parfaite du dossier, d’une compréhension profonde, inégalable des accusés et des témoins à décharge.

Si bien qu’il reprochait à chaque fois aux avocats des parties civiles le fait de répéter les mêmes questions qu’il avait, lui, déjà posées. Il faisait l’intelligent, celui qui savait tout du dossier, et c’était vrai, il savait tout et un peu plus. Justement, il en savait trop ! Seulement, avec ses simagrées et ses interventions intempestives, c’était flagrant, visible, il en faisait trop ! Il en faisait trop, si bien qu’il a été facile de percevoir la grande entourloupe, la duperie : une belle parodie de justice.

Parodie de justice, d’autant plus qu’au lieu de chercher à savoir pourquoi les quatre accusés avaient emmené le journaliste au centre commercial de Garboussi et l’y avaient séquestré en lui faisant subir tous les sévices qu’on sait, l’on insistait et patinait expressément sur les déclarations concertées des accusés : on l’avait emmené juste pour qu’il les assiste à confectionner un démenti à son article. Juste pour cela ! Bien sûr, la suite est facile à deviner, nonobstant la pertinence du représentant du ministère public, qui a remis de l’ordre dans toute cette cacophonie en rétablissant les faits, les vrais, l’enlèvement, la séquestration et des agressions physiques, corporelles, pour ne pas dire perverses, d’avilissement. Chose qui a mené le journaliste au suicide, à la mort.

Au fond, avec du recul, l’on peut dire que ce qui s’est passé à Tébessa ne sort pas de la terrible logique des choses en Algérie : la justice est corrompue, dixit le ministre de la Justice. Cependant, la mémoire du défunt réclame justice ; l’enjeu devenant important, grave, le combat continue.
Abdelwahab Boumaza