Ambassadeur des États-Unis: « Éviter les mesures qui découragent les investisseurs »

Richard Erdman 

Ambassadeur des États-Unis à Alger

« Éviter les mesures qui découragent les investisseurs »

El Watan, 22 décembre 2004

L’ambassadeur des Etats-Unis à Alger se dit satisfait du niveau des relations entre son pays et l’Algérie. L’investissement dans le secteur des hydrocarbures atteint, selon lui, les 5 milliards de dollars. Les échanges commerciaux sont en constante évolution. Il évoque, dans un entretien accordé à El Watan, l’annonce prochaine de nouveaux projets. L’appui américain va s’exprimer à travers, entre autres, « l’aide technique » pour la réforme budgétaire et judiciaire ainsi que pour l’adhésion de l’Algérie à l’OMC. Le diplomate ne manque pas de souligner l’existence de certaines mesures qui risquent de bloquer l’engagement des investisseurs en Algérie.

La coopération entre votre pays et l’Algérie semble prendre un nouvel élan en 2004. Quelle évaluation faites-vous de ces échanges ?

Il y a eu des visites non-stop d’officiels américains. Durant la première moitié de décembre, six délégations sont venues en Algérie. Notre coopération est fondée sur une base d’intérêts communs, une vision partagée d’une Algérie engagée dans l’édification d’une démocratie et d’une économie de marché. Il existe entre nos deux pays une large convergence d’intérêt en Afrique et une vision de paix, de réformes politiques et économiques dans la région du Moyen-Orient. L’Algérie a opté pour la réforme et la modernisation et de son économie. Les Etats-Unis veulent apporter leur aide. En matière d’échanges, les tendances sont positives. La croissance est importante. Nous achetons une grande quantité de gaz et de pétrole de l’Algérie. Cette année, le chiffre du commerce atteint les 7 milliards de dollars. Nous soutenons vos efforts parce que nous sommes convaincus, dans le sillage des événements du 11 septembre 2001, qu’une Algérie et un Maghreb démocratiques et prospères contribueront à la paix, à la stabilité et à la lutte contre le fléau du terrorisme. Nous soutenons les efforts qui visent une intensification de la coopération régionale. Nous sommes convaincus que ce processus est dans l’intérêt des pays de la région.

A l’époque de l’Administration Clinton, il était question que la coopération avec le Maghreb soit établie selon « l’option Eizenstat » (nom de l’ancien secrétaire au Trésor) autrement dit traiter la région en tant qu’entité. Cette option est-elle toujours valable ?

Nous essayons d’encourager cette sorte de coopération, mais nous avons aussi une pleine coopération sur le plan bilatéral. Par exemple, nous fournissons de l’aide technique à l’Algérie qui n’est pas comme les autres pays en voie de modernisation. Elle a beaucoup de ressources humaines, physiques et naturelles. L’Algérie a besoin d’assistance en matière de méthodes de gestion et de savoir-faire. Nous fournissons de l’aide technique en matière de réformes judiciaires, scolaires et fiscales. Nous assurons la formation à des journalistes, à des juges et à des militaires. L’aide technique n’est pas un transfert classique de ressources comme pour les pays pauvres. Cette aide peut s’exprimer par la venue d’experts en Algérie. Nous avons financé le travail d’un expert mexicain qui vient, de temps en temps, en Algérie pour conseiller la délégation algérienne qui négocie avec l’OMC et pour l’aider à répondre aux questions posées aux réunions de travail à Genève.

Washington considère l’Algérie comme « leader régional » en matière de lutte contre le terrorisme. Quel est l’état de la coopération dans le domaine ?

Dans le sillage des événements du 11 septembre 2001, nous avons gagné une meilleure compréhension de la lutte difficile que l’Algérie seule a menée pendant des années. Maintenant, votre coopération dans la lutte contre le terrorisme est exceptionnelle. Notre coopération dans ce domaine est mutuellement bénéfique. Mais c’est difficile d’entrer dans les détails. Nous applaudissons le rôle que l’Algérie a joué pour la création d’un Centre de recherche sur le terrorisme sous l’égide de l’Union africaine. Une bonne initiative allant dans le sens de plus de sensibilisation sur ce phénomène.

La presse a rapporté dernièrement que l’armée américaine envisage d’entraîner des soldats algériens au-delà de l’initiative du Pan Sahel (programme destiné aux armées du Sahel dont le Mali et le Tchad). Cela est-il vrai ?

Cela fait partie de cette initiative Pan Sahel. Nous avons des programmes bilatéraux en matière d’entraînement militaire.

On a parlé d’embargo sur la vente d’armes létales à l’Algérie…

Il n’y a pas d’embargo. Nous considérons les ventes au cas par cas. Le fait que nous n’avons pas vendu d’armes létales à l’Algérie est public. S’il y a des demandes d’achat, nous les étudierons.

Votre présence dans la région du Sahel ne va-t-elle pas troubler des intérêts déjà présents en Afrique, français par exemple ?

Je pense que sur la plan stratégique, la France et les Etats-Unis partagent les mêmes intérêts dans cette région. Que sont ces intérêts ? Cette région doit être prospère, stable et démocratique. Une région qui ne produit pas et qui n’exporte pas le terrorisme en Europe. Sur le plan commercial, oui, il y a une vive concurrence. C’est la nature de l’économie de marché. Nous sommes à l’aise.

En Algérie, la présence américaine est surtout visible dans le domaine énergétique. En matière d’investissements directs, cette présence va-t-elle s’élargir à d’autres secteurs ?

Les investissements américains dans le secteur des hydrocarbures sont importants. Ils dépassent les 5 milliards de dollars. L’investissement en dehors de ce secteur est nécessaire pour la modernisation de l’économie et pour la création de postes d’emploi. A cet égard, j’ai constaté que dans la pavillon américain à la dernière Foire internationale d’Alger, il y avait 39 firmes qui activent dans des secteurs hors hydrocarbures. C’est le signe d’un intérêt croissant de la part de nos firmes pour les opportunités en Algérie. Il y a plusieurs projets de sociétés mixtes en phase de concrétisation. Certains ne sont que des idées, d’autres avancent. Dans les jours qui viennent, on va communiquer plus d’informations sur ces projets. Si les chiffres ne sont pas frappants, c’est un début dans le domaine. L’important pour l’Algérie, c’est de continuer le processus de réformes et de privatisations, de créer un climat concurrentiel pour l’investissement, de s’intéresser aux problèmes critiques dans le secteur bancaire qui constituent un facteur de blocage et d’éviter les pas et mesures qui transmettent des signaux décourageants aux investisseurs sur l’intention d’ouvrir et de moderniser l’économie (…) L’Algérie a besoin de développer son infrastructure autoroutière et ferroviaire. Elle a besoin d’usines de dessalement d’eau de mer…

Où en est l’aide technique que vous apportez en matière de réforme du système bancaire algérien ?

Une délégation américaine est venue à Alger en juillet 2004 et a préparé une analyse sur le système bancaire algérien. Elle va revenir prochainement et j’ai l’intention d’arranger des réunions à haut niveau pour discuter de cette analyse. Il est clair qu’il faut libérer le secteur bancaire et moderniser le système de paiement qui est une source de blocage.

Votre pays entend faire profiter l’Algérie de l’Initiative de partenariat au Moyen-Orient (MEPI). Quel en est l’objectif ?

C’est un mécanisme du gouvernement américain pour encourager, d’une manière concrète, le processus de réforme en Algérie. Un processus décidé par l’Algérie. A titre d’exemple, les réformes dans le domaine de l’éducation, pour l’enseignement de l’anglais. Nous essayons de renforcer la vie politique, particulièrement le rôle des femmes en Algérie et dans la sous-région. Nous allons organiser prochainement une conférence sur l’Islam et la démocratie à Alger.

Le projet du Grand Moyen-Orient (GMO) a suscité des critiques dans le monde arabe. Est-il un projet stratégique pour les Etats-Unis ou s’agit-il d’une initiative conjoncturelle ?

Cette initiative du Grand Moyen-orient est une idée simple. Il s’agit de la création d’une forme qui rassemble les pays de la région ayant opté pour la réforme et les pays industrialisés dans le but de déterminer le meilleur moyen à travers lequel ces derniers peuvent répondre pour soutenir le processus de réformes. Nous sommes satisfaits de la réunion de Rabat (Forum sur l’avenir le 11 décembre dernier, nldr). Ce n’était qu’un début de ce processus. Le but est de mettre sur pied un forum de dialogue pour créer des synergies et discuter des meilleures pratiques dans le domaine des réformes. Il y a eu des décisions concrètes à Rabat. Par exemple, l’adoption d’un programme d’action pour faire avancer « l’assistance-dialogue », la tenue, en 2005, d’une réunion ministérielle, sponsorisée par l’Italie, sur le pluralisme politique, l’annonce d’une contribution de 62 millions de dollars pour le partenariat de l’entreprise privée, la tenue au printemps d’une conférence d’experts sur l’alphabétisation dans la région, l’annonce de la création à Bahreïn et au Maroc de centres de formation pour les entrepreneurs. En novembre 2005, Bahreïn abritera une conférence ministérielle d’évaluation de l’avancement des réformes dans la région. Il n’y a pas de solution miracle. La démocratie aux Etats-Unis a pris 200 ans pour atteindre le niveau actuel. La démocratie est une lutte permanente.

Cela dit, les Etats-Unis sont peu critiques à l’égard de l’état des libertés dans cette région…

Vous pensez que nous ne sommes pas critiques ? Avez-vous lu nos rapports annuels ? Nous sommes critiqués pour ces rapports. Nous essayons d’être objectifs et mesurés. Nous essayons de faire des critiques honnêtes (…). Nous croyons que pour le long terme, pour atteindre la stabilité, il faut que les gouvernements de la région s’adressent et répondent aux aspirations politiques et économiques des peuples.

Quelle sera la contribution américaine pour aider à régler le problème du Sahara-Occidental ?

Nous essayons d’encourager le dialogue entre les gouvernements dans la région afin de créer un climat régional propice au règlement du conflit. Nous avons constaté de votre politique qu’il s’agit d’un problème de décolonisation. Il faut une solution à ce problème dans le cadre de l’ONU à la lumière du plan Baker avec un processus d’autodétermination. Il faut des conditions de confiance dans la région. Il faut que tout le monde soit réaliste.

Les Etats-Unis ont un traité d’amitié avec le Maroc. Ce genre de traité est-il possible avec l’Algérie ?

Personnellement, je n’accorde pas beaucoup d’importance aux traités officiels et formels. Ce qui est important, c’est le contenu. Nos relations avec l’Algérie sont fortes et croissantes. Nous, Américains, sommes pragmatiques. Pas de documents, pas de traités… les faits, la réalité !

Il est question d’établir un accord Open Sky entre les Etats-Unis et l’Algérie. Peut-on imaginer la venue d’une compagnie aérienne US pour assurer une liaison Washington- Alger ?

C’est au marché de décider. Mais après la conclusion d’un tel accord, et j’espère qu’on pourra en faire annonce dans les semaines qui viennent, n’importe quelle firme américaine peut entrer dans le marché. Il y a de l’intérêt, mais c’est limité pour le moment. Il n’y a pas beaucoup de touristes. Il y a surtout des travailleurs des bases pétrolières du Sud. Il faut faire une bonne analyse du marché. Aux entreprises de le faire.

Un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Algérie est-il envisageable ?

Pour le long terme, oui. Nous croyons qu’il faut avancer pas à pas. Le premier pas, comme l’a fait la Jordanie, est d’adhérer à l’OMC. A chaque phase, il y a des obligations. Si vous allez trop vite, vous aurez des problèmes. L’ouverture du marché est une chose sérieuse. Les Etats-Unis veulent établir des accords de libre-échange partout au Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’horizon 2012.

N’y a-t-il pas possibilité de « conflit » d’intérêt avec l’Union européenne, d’autant plus que des accords d’association sont signés avec des pays de cette région ?

En fin de compte, tout le monde profite de ces accords par la croissance du commerce. Si l’Algérie gagne, elle aura plus d’argent. Elle va donc importer plus.

Les Etats-Unis veulent améliorer leur image dans le monde musulman et arabe. L’entreprise semble difficile à cause, notamment, du problème irakien…

Je suis un peu déçu par ceux dans la presse, y compris en Algérie, qui, quelquefois, présentent la lutte en Irak comme une lutte contre une occupation par des groupes qui kidnappent les innocents et qui violent le caractère sacré des mosquées et qui rejettent le processus politique au profit de la violence. La situation en Irak est complexe et difficile, mais le choix, pour nous et pour les Irakiens, est simple. C’est un choix entre ceux qui utilisent la terreur pour déstabiliser la situation et bloquer les élections et ceux qui veulent établir un Etat démocratique à travers un scrutin libre. Il faut souligner que les forces des 30 pays de la coalition sont présentes en Irak sous l’égide d’une résolution de l’ONU. Résolution soutenue par les Etats-Unis, la France, la Chine, la Russie, l’Algérie et par les autres membres du Conseil de sécurité. L’émergence d’un Irak stable et démocratique est dans l’intérêt du peuple irakien et de ceux qui dans la région soutiennent l’expansion de la démocratie.

Les musulmans des Etats-Unis pensent qu’ils font l’objet de campagne de haine et de xénophobie. Ne craignez-vous pas que cette islamophobie va alimenter l’extrémisme ?

Qui a sauvé les musulmans de Bosnie ? Les Etats-Unis. Qui a mené l’effort militaire contre les taliban en Afghanistan ?Les Etats-Unis. Je peux continuer. Ce fléau du terrorisme est dirigé par ceux qui se proclament des musulmans et qui agissent au nom de l’Islam. Ce qu’ils font est contraire aux valeurs de l’Islam, d’harmonie sociale, de tolérance et de respect pour l’individu en tant que création de Dieu. Ces gens ont desservi l’Islam.

L’arrivée de Condoleeza Rice, en remplacement de Colin Powell, à la tête du département d’Etat suscite des craintes. La politique extérieure des Etats-Unis ira-t-elle vers le durcissement ?

L’intérêt des Etats-Unis ne change pas d’une Administration à une autre. Seuls changent le ton et le style. Le président Bush, dans l’une de ses premières déclarations après sa réélection, a réaffirmé son soutien pour la création d’un Etat indépendant palestinien. Il a dit qu’il avait l’intention d’utiliser son capital politique pendant son second mandat pour faire avancer le processus. Nous cherchons toujours la coopération. Nous aidons les réformes. ll faut aller vers un monde plus démocratique et plus tolérant.

Faycal Metaoui