Passage en force

Passage en force

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 22 décembre 2007

Au niveau du discours, et après les vives objections de la chancelière allemande, des efforts ont été faits pour que le projet d’Union méditerranéenne n’apparaisse plus comme étant le fait d’un seul pays ou d’une fraction de l’Europe.

On retrouve cette même précaution dans «l’appel de Rome» lancé, jeudi, par José Luis Rodriguez Zapatero, Romano Prodi et Nicolas Sarkozy. Le texte prend en effet soin de préciser que l’union projetée n’a pas vocation à se substituer aux cadres de coopération existants.

Mais si Nicolas Sarkozy a reçu l’appui de l’Italie et de l’Espagne, deux pays très concernés, il n’a pas pour autant rendu son projet totalement européen. Le fait que cette impulsion vienne des seuls trois grands pays du sud de l’Europe n’est pas de nature à le confirmer. Il serait utile de surveiller les commentaires des autres pays européens, qui se voient en quelque sorte mis devant le fait accompli, puisque les «trois» se sont mis d’accord pour convoquer un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée, le 13 juillet prochain, pour les réunir le lendemain avec les pays de l’Union européenne.

L’européanisation du projet a tout l’air d’être une sommation aux pays européens rétifs à suivre, ou à tout le moins à ne pas faire d’objection. Paris, qui assurera la présidence de l’Union européenne à partir du 1er juillet, entend donc bien mettre les bouchées doubles autour d’un projet qui laisse sceptiques des européens de poids comme l’Allemagne. C’est en quelque sorte dans le style du président Nicolas Sarkozy de faire dans le passage en force, sans tenir compte des avertissements exprimés en termes sans équivoques par la chancelière allemande.

C’est sans nul doute pour prévenir les objections que l’Italien Prodi se veut rassurant en indiquant que la nouvelle union se fera avec l’Union européenne, son homologue espagnol, Zapatero, précisant que «cette initiative naît au sein même de l’Europe et sera utile à l’Europe».

Il restera justement à l’Europe du Sud d’en convaincre le reste, toute l’Europe. «L’appel de Rome» n’est, pour l’instant, que celui d’une Europe méditerranéenne dont l’intérêt économique, politique et sécuritaire pour la rive sud n’a guère besoin d’être expliqué ni justifié. Ce sont les trois pays qui se chargent des travaux préparatoires pour identifier les domaines de coopération prioritaires, les projets et la liste des acteurs qui veulent s’engager dans chaque projet.

Indéniablement, le président français vient de recevoir de l’Espagne et de l’Italie un appui de poids pour mener à bout son projet. Ce n’est pas toute l’Europe, mais c’est apparemment suffisant pour le président français. Celui-ci, quitte à aménager légèrement son discours, ne semble pas vouloir trop s’arrêter sur les réserves qui sont exprimées par les autres partenaires européens. En somme, il leur explique que son projet sera mené, avec ou sans eux.

Le président français fait preuve d’une grande détermination, mais le pari n’est jouable que si l’Union méditerranéenne sert réellement à lancer des projets «concrets». C’est sur le terrain, et uniquement celui-là, que cette union pourrait l’emporter. Et que le passage en force annoncé à Rome aura une chance d’avoir une suite…