Pourquoi la tripartite n’apaisera pas la colère sociale

Pourquoi la tripartite n’apaisera pas la colère sociale

EL Watan 2014, 21 février 2014

La tripartite, rencontre entre les syndicats, le patronat et le gouvernement, se tiendra à Alger les 23 et 24 février. Le haut sommet des négociations sociales et économiques exclut cependant les principaux acteurs sociaux.

«L’Etat est préoccupé par la paix sociale et injecte l’argent qui ne sert à rien. Le problème de la tripartite, c’ est qu’elle est dominée dans sa totalité par la distribution de la rente. Elle doit sortir de cet engrenage.» En d’autres termes, pour Noureddine Hakiki, professeur en sociologie à l’université d’Alger, la tripartite sociale qui se tiendra dimanche entre l’UGTA, le patronat et le gouvernement, ne réglera aucun des problèmes à l’ordre du jour (voir encadré). D’autant, que contrairement à ce qu’avait promis le Premier ministre Abdelmalek Sellal fin 2013, la réunion se tiendra sans les syndicats autonomes. Le Snapap (Fonction publique), le Cnapest (éducation) et l’Unpef (éducation) sont tenus à l’écart des discussions. Zenati Benyoucef se réfère à l’événement avec une certaine distance et lève les yeux vers le haut.

Le représentant de la Fédération du textile à l’UGTA avoue : «La tripartite, c’est l’affaire de notre secrétaire national avant tout. Mais les travailleurs en attendent beaucoup.» Dans son secteur, des conflits sociaux, récurrents, ont à nouveau éclaté la semaine dernière. A Larbaâ Nath Irathen (Tizi Ouzou), quatre employées syndicalistes du textile ont été suspendues le 9 février, après avoir émis plusieurs revendications, entre autres la fin des retenues sur salaires et la titularisation des travailleuses précaires. «Des malentendus ont débordé et les conflits ont mis en péril l’entreprise. Il faut la préserver, tout comme l’emploi. Nous avons finalement signé un accord de principe pour la levée de la suspension», assure Zenati Benyoucef, de l’UGTA.

PAS d’efforts

Le secrétaire général de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, a affirmé de son côté que la réunion serait «porteuse de bonnes nouvelles pour les travailleurs. La tripartie fait des propositions et c’est au Président de trancher». Or, les conflits sociaux importants de ces derniers mois n’ont pas pour acteurs les participants à cette réunion. Depuis la rentrée scolaire, les mouvements de grève dans les écoles se sont multipliés dans tout le pays, à l’appel de l’Unpef et du Snapest. Les enseignants revendiquent le droit à une promotion dans le cadre du statut particulier. «On doit avant tout changer le statut imposé par la tutelle et se mettre à table avec tous les syndicats pour prendre en considération les revendications. La Fonction publique ne fait pas d’efforts et se cache derrière la tutelle», regrette Samia Aït Mesbah, membre du CLA et professeur de français. Selon elle, les dossiers de la tripartite ne correspondent pas à la réalité de la lutte sociale.

Les syndicats autonomes, dont le CLA, ont décidé de protester en parallèle de la tripartite le 23 février. «La mobilisation, au moment de la tripartite, est essentielle pour porter nos revendications. De toute façon, on ne peut pas toucher à la liberté syndicale, parce que dans ce cas-là, c’est tout le pays qui risque de s’arrêter», ajoute la syndicaliste. Certains comités de l’UGTA n’arrivent plus à contenir le mécontentement. La semaine du 11 février, les dockers du port d’Alger ont observé une grève de cinq jours. Des travailleurs vacataires réclamaient le rappel des indemnités d’expérience professionnelle (IEP) et le paiement du 13e mois.

«L’initiative a été lancée par les travailleurs eux-mêmes et non par le conseil syndical», précise Bourouba Derradji, responsable de l’UGTA du port. Il dit «privilégier les négociations car la grève est illégale». A contrario, la grève est pour les syndicats autonomes la seule «arme», car «l’Etat ne discute pas», déplore Samia Aït Mesbah. Rachid Malaoui, président du Snapap, confirme : «Le pouvoir ne négocie jamais, même pas avec les syndicats officiels. Il donne ce qu’il a décidé qu’il donnerait. Il utilise les grèves pour donner l’impression de répondre, d’être à l’écoute. Mais discuter, négocier ? Jamais».

L’actu :

La question des salaires sera au cœur de la tripartite (gouvernement-syndicat-patronat) prévue le 23 février et qui examinera plusieurs dossiers socioéconomiques, a indiqué, hier à Alger, Mohamed Benmeradi, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité sociale. Il sera question également, lors de cette réunion, d’évoquer les décisions prises dernièrement par les cinq commissions installées après la précédente tripartite et d’examiner les méthodes de leur concrétisation, dont la redynamisation des crédits à la consommation destinés à la production nationale. Concernant la possibilité d’introduire le code du travail en cours d’amendement, à l’ordre du jour de la tripartite, le ministre a affirmé qu’il n’est pas prévu dans la rencontre de dimanche, mais le projet, a-t-il dit, fait objet de débats au niveau des parties concernées pour son enrichissement. Dans ce contexte, il a rappelé que le projet de loi amendé sur le travail «sera fin prêt après la prochaine élection présidentielle», pour qu’il soit soumis au gouvernement pour approbation puis aux deux Chambres du Parlement (APS)

-Samia Aït Mesbah, membre du Collectif des lycées d’Algérie (CLA) :

Je trouve aberrant qu’avec tout ce qui se passe, le CLA ne soit pas invité à la tripartite. On ne peut pas établir un statut concernant les enseignants sans les syndicats, tous les syndicats ! Nous voudrions que nos revendications soient prises en considération concernant le salaire, les promotions et les conditions de vie des enseignants, qui sont anéantis. La grève est le meilleur moyen d’action, nous n’avons pas d’autres armes. On nous accuse de prendre les élèves en otages, mais c’est plutôt une façon de nous culpabiliser. La seule issue pour améliorer nos conditions de vie est de s’ériger en protestataire.

-Zenati Benyoucef, représentant de la Fédération textile de l’UGTA :

La suspension des syndicalistes est un comportement regrettable, mais certains responsables agissent de la sorte et c’est un comportement que nous dénonçons. On préfère privilégier le dialogue et la concertation, il n’y a pas mieux. La grève est un droit constitutionnel et le droit au travail aussi. On essaye de mesurer les deux. Au lieu de suspendre, il faut se mettre autour d’une table.

-Bourouba Derradji, responsable du syndicat UGTA du port d’’Alger :

Nous n’avons jamais utilisé la grève. C’est une grande perte pour l’entreprise et elle est illégale. On arrive à négocier sans, avec le directeur général, le conseil syndical représentant des travailleurs et l’employeur. Notre bilan depuis 2010 est très positif. Nous avons supprimé le statut de journalier et de contractuel grâce à nos négociations et nous avons évolué en matière de salaire, de matériel de travail, d’hygiène et de sécurité. Malheureusement, le travailleur est ingrat.

-Rachid Malaoui, président du Snapap :

Le pouvoir n’a jamais négocié avec les syndicats. Il a sa propre société civile. Créer une tripartite permet normalement de faciliter le dialogue, mais en Algérie, elle est utilisée depuis les années 1990 pour faire passer des messages. C’est l’occasion d’annoncer une augmentation des salaires ou un crédit pour le privé. Les meilleurs résultats intersyndicaux que nous avons obtenus ont été acquis grâce à des mobilisations que nous avons menées hors tripartite. C’est une façade et nous n’y croyons plus. Le pouvoir ne déroge pas, mais ordonne. Il annonce sans négocier les grilles de salaire et les statuts particuliers.

Salsabil Chellali et Leïla Beratto