Les médecins spécialistes ne veulent plus assurer les gardes

Leurs collègues généralistes organisent un sit-in au CHU de Tizi Ouzou

Les médecins spécialistes ne veulent plus assurer les gardes

El Watan, 8 mai 2018

C’est le pourrissement dans les établissements de santé publique. Les médecins spécialistes appelés à la rescousse après l’arrêt des gardes par les résidents, le 29 avril dernier, ont décidé de ne plus assurer le service.

«A compter du mercredi 9 mai 2018, il nous sera impossible physiquement, mentalement, humainement, mais aussi légalement de répondre au mieux aux besoins des patients et nous dégageons toute responsabilité quant aux risques et dérapages qui peuvent survenir à cette situation», met en garde le collectif des médecins spécialistes du CHU Mustapha Pacha (Alger) dans un courrier adressé au directeur général de l’hôpital.

Réuni dimanche, le collectif précise dans le document adressé au ministre de la Santé que depuis l’arrêt des gardes par les résidents aux pavillons des urgences médicales et chirurgicales, les équipes de médecins spécialistes «se sont vu amputées d’une grande partie de leurs effectifs». Les spécialistes exigent de la direction du plus grand CHU du pays des «solutions appropriées» afin que les équipes médicales puissent continuer le travail dans «des conditions normales». La situation dans les services des urgences s’est tellement dégradée que les médecins (spécialistes et généralistes) réquisitionnés ont décidé de protester.

Le bureau local du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) de Tizi Ouzou appelle à un sit-in de protestation ce mercredi pour rejeter les réquisitions «infondées et non justifiées» des médecins généralistes exerçant dans les établissements de santé périphériques et dénoncer les «basses manœuvres de mise sous pression des médecins généralistes».

Le bureau SNPSP a dénoncé dans son communiqué rendu public, le samedi 5 mai, «l’évolution grave et dangereuse de la situation conflictuelle qui oppose nos confrères résidents avec le ministère de la Santé et les pouvoirs publics», ce qui a mis à nu la gestion des gardes au niveau du CHU Nedir Mohamed de Tizi Ouzou en faisant appel aux médecins généralistes des autres établissements (EPSP et EPH) afin de remplacer les résidents durant les gardes.

Pour le bureau du SNPSP, la tutelle ne pense pas aux conséquences ni aux risques encourus en réquisitionnant les médecins généralistes : absence de couverture de l’assurance en cas d’accidents du travail, absence de couverture juridique en cas de dépôt de plainte par les patients (responsabilité médico-légale).

Une marche des médecins spécialistes a été organisée, la semaine dernière, dans l’enceinte du même CHU pour protester contre le «pourrissement de la situation» dans cet établissement où le service du SAMU s’est vu dégarnir de ses dix médecins pour pallier l’absence des résidents (700, selon le Camra de Tizi Ouzou).

La protestation touche également des internes dont le collectif a décidé de refuser de répondre aux sollicitations du ministère qui veut les contraindre à «remplacer» leurs camarades en post-graduation.

«Mutisme de la tutelle »

La décision de ne plus assurer les gardes, effective depuis le 29 avril dernier, a été prise par les résidents après l’échec des négociations avec la tutelle (ministère de la Santé) et la violente répression policière de la dernière marche à laquelle a appelé leur collectif autonome (Camra) à Alger. «La décision a été prise à contrecœur», déplore dans une déclaration à El Watan Mohamed Taileb, porte-parole du Camra, qui a regretté le «mutisme» du département du Pr Hasbellaoui qui s’est contenté d’inviter les délégués à une rencontre, «sans préciser l’ordre du jour ni la composante de l’autre partie».

Devant l’absence de réaction des représentants, le ministère de la Santé a ordonné la réquisition des grévistes et des autres médecins en application de la loi 90-02 portant sur le service minimum.

Pour les délégués grévistes, le résident n’est pas un fonctionnaire et n’est donc pas astreint aux gardes et au service minimum, mais reste un étudiant en post-graduation, aux termes de l’ordonnance n° 06-03 portant statut général de la Fonction publique et le décret exécutif n°13-195 relatif à l’indemnité de garde au profit des personnels des établissements publics de santé.

Dans une réponse aux propositions du ministère, publié sur son site (camra-online.org), le collectif démontre la détermination des résidents à poursuivre la lutte. «Cela fait 6 mois que nous sommes ballottés de réunion en réunion et que nous sommes matraqués et déportés dans des fourgons insalubres sans trouver de réponses concrètes à nos revendications pourtant si simples !», précise le document qui détaille les «solutions» du ministre et les réponses du Camra.

Le document précise, par ailleurs, que les résidents sont plus que jamais ouverts aux négociations sérieuses, responsables et honnêtes, sans langue de bois, «car il est plus qu’urgent, vu le degré jamais égalé de bricolage au niveau de nos hôpitaux, de trouver une sortie honorable à ce conflit.»

Nadir Iddir