Interview de Rachid Malaoui, Président du Snapap

Interview de Rachid Malaoui, Président du Snapap

De passage à Paris, Rachid Malaoui, le combattif président du Syndicat Autonome des Personnels de l’Administration Publique (SNAPAP) a accepté de répondre aux questions de notre camarade Andrée Philippe

Par Andrée Philippe (CISA), CISA, 22 septembre 2011

Quel est l’état des luttes sociales en Algérie depuis les émeutes du début de l’année 2011 ?
Les mouvements du 5 janvier en Algérie ont été des émeutes de quartiers qui se sont déroulées sur tout le territoire national. Ces émeutes se sont déclenchées en même temps que le soulèvement populaire en Tunisie. Dans le pays voisin, les fédérations syndicales UGTT ont appuyé la révolte populaire à la différence de la Centrale. En Algérie, il s’agissait bien d’un mouvement fondé sur des revendications sociales et nous en tant que syndicat autonome nous avons appelé à ce que ces manifestations prennent un tour politique et se déroulent de manière pacifique. Il fallait sortir de l’émeute que le régime sait utiliser pour justifier la répression. Nous avons donc créé une Coordination Nationale qui a appelé à une mobilisation sur trois points : libération des détenus, levée de l’état d’urgence et le changement de régime. Ces appels ont été suivi le 12 et le 19 février et ont permis de lever le tabou de l’expression de la protestation populaire. C’est ainsi que différentes catégories se sont mises à manifester : les chômeurs, les gardes communaux, les militaires handicapés mis à la retraite, les étudiants, les médecins résidents….etc. Le pouvoir a répondu à plusieurs revendications pour calmer la situation : il a libéré les émeutiers du 5 janvier, permanisé 25 000 contractuels de l’enseignement et pris un certain nombre de mesures sociales. Au plan politique, il a décidé la levée – formelle – de l’état d’urgence et promis l’introduction de réformes politiques. Le président de la République s’est adressé pour la première fois au peuple depuis son élection en 1999. Le discours télévisé à la nation d’Abdelaziz Bouteflika est une initiative sans précédent. L’Union Européenne a soutenu ses annonces de réformes et nous en tant qu’acteurs sociaux nous avons décidé de laisser un peu de temps au pouvoir même si nous ne nous faisons aucune illusion sur la validité de ces engagements. La population souhaitait bénéficier des mesures socio-économiques promises par le gouvernement. Mais les manifestations continuaient à se dérouler un peu partout, notamment dans le sud du pays ou on observe un mouvement continuel de contestation des populations de ces régions jusqu’alors extrêmement calmes.

On vous a reproché de vous être associé dans la CNCD à des partis politiques de l’opposition autorisée ?
Nous ne nous sommes pas associés à qui que ce soit. Nous SNAPAP en concertation avec la LADDH et d’autres syndicats autonomes avons appelé à une réunion ouverte dans nos locaux de la Maison des Syndicats pour prendre position face aux développements de la situation politique sociale. Ces partis sont venus d’eux-mêmes participer à cette réunion. Ces partis ont accepté de participer à la manifestation pacifique du 12 février et ont souscrit aux principes d’un changement radical du système tel qu’énoncé dans notre appel initial. A l’exception du FFS qui a rapidement quitté la CNCD, les autres partis ont essayé de s’imposer en tant que moteur de la coordination. Ces partis ont suivi le mouvement et n’ont à aucun moment piloté ou dirigé la Coordination Nationale malgré les tentatives de certains de récupérer médiatiquement le mouvement. D’ailleurs assez vite, ces partis ont tenté de noyauter le mouvement ce qui nous a conduit à décider qu’il était nécessaire de scinder cette CNCD en deux structures distinctes, l’une animée par les organisations de la société civile et l’autre par les partis politiques. Ces partis ont refusé cette option en demandant à ce que les manifestations se déroulent chaque samedi. Devant cette situation nous avons pris l’initiative de nommer notre coordination CNCD-Société Civile et d’entamer un dialogue avec la population en vue d’un changement pacifique.

LA CNCD – Société Civile existe-t-elle encore ?
Oui elle existe mais nous avons décidé de ralentir le rythme de nos activités compte-tenu de la situation régionale et pour donner à tous le temps d’observer la réalité des engagements sociaux et politiques du pouvoir. Je pense que cette structure reprendra pleinement ses activités dans les semaines à venir. Comme tous ont pu le constater, les promesses du régime en termes d’avancées démocratiques ne se sont pas concrétisées le moins du monde. La soi-disant ouverture claironnée par les porte-voix du système se révèle comme une évolution encore plus répressive du cadre légal et réglementaire actuel. Mais le problème n’est pas au niveau des textes, des lois etc.…Le problème central se situe au niveau de la non application par le régime des lois qu’il édicte lui-même. La réalité du pouvoir est hors de tout texte et de toute règle. Quand de surcroit la justice est toujours soumise et que ces pseudo-réformes ne prévoient pas de mécanismes garantissant des élections transparentes, sincères et réellement démocratiques on a quelques raisons de s’inquiéter. En n’envisageant que la répression et la corruption pour gérer la société, ce régime prend la responsabilité des tragédies à venir. De grands dangers menacent la cohésion sociale et nationale.

Quel est l’impact des évolutions au Maghreb, notamment de la chute du régime de Kadhafi sur la situation en Algérie ?
Dès le début des événements en Libye, le SNAPAP et la CNCD-Société Civile ont manifesté devant l’ambassade de Tripoli à Alger et nous avons soutenu résolument l’opposition populaire libyenne. Je vous signale d’ailleurs que notre position est la même en ce qui concerne la Syrie. Nous avons constitué des comités de soutien aux peuples libyen et syrien, nous condamnons sans réserve les méthodes criminelles utilisées par des régimes barbares contre des manifestants civils désarmés. Nous sommes de tout cœur avec ces peuples opprimés qui secouent leurs chaines et aspirent à vivre dans la dignité et le droit. Nous nous réjouissons bien entendu du départ du dictateur Kadhafi et nous invitons le régime algérien à quitter le pouvoir avant qu’il connaisse le même sort. La démocratie est inscrite dans le futur de nos pays et tous les éléments qui contribuent à retarder l’évolution normale de nos sociétés seront balayés par l’Histoire.

Le mouvement de révolte du peuple algérien semble suspendu et ne s’exprime que sous la forme d’émeutes à répétition, souhaitées et facilement gérables par le régime. Pensez vous qu’un soulèvement généralisé est envisageable ?
Le peuple algérien est le premier peuple dans le monde arabe a s’être dressé contre la tyrannie, pour la justice et la démocratie en octobre 1988. Le soulèvement populaire a été noyé dans le sang mais a permis une brève parenthèse démocratique qui s’est refermée en janvier 1992. La révolte algérienne n’a été suivie par aucun mouvement de solidarité maghrébine et arabe, tous les régimes se sont ligués contre le peuple algérien et ses légitimes aspirations. Les grandes démocraties du nord ont soutenu la dictature à bout de bras et ont encouragé les franges les plus autoritaires et les plus brutales du régime. Les donneurs de leçon sont invités à revisiter leur histoire récente avant de porter des jugements hâtifs. Ceux qui déplorent la soi-disant passivité du peuple algérien ne savent pas de quoi ils parlent…Où alors ils feignent d’oublier le cout atroce d’une guerre civile, 200 000 morts et plus de dix mille disparus, au cours de laquelle nous n’avons pas vu beaucoup de manifestations de soutien à la paix et à la démocratie en Algérie.
Mais l’image du régime algérien est durablement atteinte à l’étranger. L’immobilisme et la stérilité qui le caractérisent apparaissent au grand jour. Le combat citoyen des forces sociales en Algérie, de mieux en mieux connu, est aujourd’hui relayé par des amis syndicalistes à travers le monde. La solidarité et la sympathie de nos collègues à travers le monde est un acquis précieux dans cette période particulièrement difficile.

Quelles sont les perspectives des luttes sociales et politiques en Algérie ?
Aucun problème réel ne peut être régler avec le pouvoir actuel. Le régime quand il est acculé ne consent à distribuer des miettes que pour anesthésier les mouvements sociaux et gagner du temps. L’essentiel pour lui est de continuer à empêcher toute dynamique de changement. Ces gens veulent continuer à détourner les ressources du peuple algérien, à accumuler des fortunes colossales à l’étranger, à corrompre pour fabriquer des clientèles d’affairistes sans scrupules. Aucune négociation sociale, syndicale ou de quelque nature qu’elle soit n’est possible avec le régime qui n’a aucun souci de l’intérêt général. Le changement de système est donc un préalable à toute évolution vers une société apaisée et l’édification d’un Etat digne de ce nom soucieux du développement et respectueux du droit. Construire une économie productive qui offre des chances à tous les enfants d’Algérie, utiliser les ressources financières pour l’amélioration des conditions du plus grand nombre ne pourra être envisageable sans l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit. Le changement est inéluctable d’autant que le potentiel révolutionnaire du peuple algérien n’est pas mort. La lutte continue !