La fronde sociale s’amplifie

Elle implique tous les secteurs professionnels

La fronde sociale s’amplifie

Liberté, 22 janvier 2018

La panique des autorités est matérialisée par la déclaration du Premier ministre pour justifier la répression des manifestants.

La grogne sociale est montée d’un cran et s’est élargie à d’autres secteurs sur fond d’appréhensions des retombées des mesures d’austérité et des dispositions de la loi de finances 2018. Les revendications demeurent les mêmes que celles portées, il y a une dizaine d’années, et qui n’ont pas été prises en charge par les pouvoirs publics. Elles remontent à la surface à la faveur de ces politiques antipopulaires du gouvernement alors que le marasme s’est bien installé depuis bien longtemps dans le pays. Syndicats, chômeurs, souscripteurs AADL, demandeurs de logements, habitants de bidonvilles, étudiants et enseignants… des pans entiers de la société qui investissent la rue font des rassemblements, des sit-in, manifestent, ferment les routes dépassant le seuil des 10 000 émeutes par an, alors que le phénomène de l’immigration clandestine par voie maritime a pris une telle ampleur qu’elle inquiète même les pays d’accueil tant elle rivalise avec les vagues fuyant les zones de conflits. L’investissement de la rue est devenu la seule alternative pour revendiquer des droits les plus élémentaires. Outre que cela est un indicateur de l’habitude de l’Algérien à avoir accès aux services sans contrepartie ; un système façonné et entretenu par le pouvoir qui se justifie par “une justice sociale spécifique”, et depuis l’ouverture d’après les événements d’Octobre 88, pour acheter la paix sociale, il ressort du comportement de la population un sentiment, d’ailleurs largement partagé, d’un mal vivre dans le pays. Devant une telle situation d’effervescence qui perdure, les autorités, en manque de vision et d’anticipation, s’en tiennent aux solutions répressives qui ne font, en définitive, qu’exacerber les tensions. Cela d’autant que leur stratégie d’endiguement que l’on retrouve dans les textes consacrant l’ouverture, notamment le pluralisme syndical, à travers l’atomisation des syndicats autonomes ferrés dans le corporatisme, et l’omission des organes de médiation. Ce qui n’a pas empêché les syndicats de contourner cet obstacle pour s’imposer dans les faits quand bien même ils sont ignorés par les pouvoirs publics. Mais depuis 2011, avec les mouvements de révolte qui ont marqué certains pays arabes et qui ont abouti à la chute de leurs régimes, la crainte s’est installée même en Algérie. Si les mesures improvisées avaient calmé les ardeurs revendicatives de la rue algérienne, les choses se présentent différemment aujourd’hui avec un climat où tous les voyants sont au rouge. Crise économique, malaise social, impasse et instabilité politiques. Et c’est comme toujours la classe moyenne et plus généralement la population qui paie. Et l’environnement immédiat, notamment les événements en Tunisie, laisse planer le risque d’une contagion de la contestation généralisée. Ce qui explique la panique des autorités matérialisée par la déclaration du Premier ministre pour justifier la répression des manifestants.

Djilali B.


L’état ne va plus acheter la paix sociale par les subventions

Vers des difficultés génératrices de mécontentements

Liberté, 22 janvier 2018

L’exercice 2017 l’a déjà prévu, la loi de finances 2018 l’a confirmé. Les prix des carburants et, par ricochet, ceux des transports, du tabac, des appareils électroménagers, d’Internet et des communications téléphoniques… sont révisés à la hausse. Autant de produits que les consommateurs paieront plus cher durant l’année en cours qui s’annonce des plus dures pour le petit peuple, à qui l’on demande de serrer la ceinture. La chute des prix du pétrole aidant, la situation des finances publiques est telle qu’il est aujourd’hui impossible pour l’État de poursuivre sa stratégie d’achat de la paix sociale par le biais des subventions. D’où la contrainte d’élaborer et de mettre en œuvre une politique d’austérité que les pouvoirs publics dictent à la population. Le gouvernement a opté pour le financement non conventionnel appelé communément “planche à billets”. Or, qui dit planche à billets dit aussi dépréciation de la valeur de la monnaie locale et, par conséquent, une inflation certaine. Et c’est la population qui subirait de plein fouet l’impact de cette politique à travers la cherté de la vie et l’appauvrissement des ménages. En choisissant cette option de financement, l’État compromet une partie du pouvoir d’achat et du niveau de vie des citoyens. La planche à billets pourrait entraîner un processus inflationniste difficile à contrôler. Mais elle peut être une solution maîtrisable si elle est destinée à relancer l’économie nationale, quand bien même elle engendre une petite inflation. L’économiste, le Pr Chafir Ahmine, estime que cette démarche nécessite une vision claire de ce que l’État fera de cet argent imprimé suivant des échéances bien précises. Si le financement est injecté dans des secteurs productifs, il y aura l’effet multiplicateur, c’est-à-dire qu’il créera une valeur ajoutée, une richesse et des postes d’emploi, voire une croissance économique à terme. Cependant, “si cet argent est réservé à l’importation, l’Algérie financera indirectement l’économie des autres pays”, déplore cet expert. Pour le Pr Ahmine, toute émission de billet doit être contrôlée, réfléchie et planifiée pour éviter toute inflation continue. L’année 2018 s’annonce difficile pour le citoyen, affirme l’universitaire, d’autant plus que le marché national souffre d’un manque flagrant de régulation, laissant libre champ à la spéculation.

B. K.


Contestations et manifestations publiques

La gestion par la matraque et les poursuites judiciaires

Liberté, 22 janvier 2018

Le dialogue social, idéalisé pendant des années et promu par les gouvernements successifs comme étant la pratique syndicale la plus adéquate et responsable, fait à présent les frais de la politique d’austérité.

Lors de la conférence de presse animée samedi dernier, le secrétaire général du RND et Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a rappelé que les manifestations restaient interdites au niveau de la capitale. “Je suis contre l’anarchie”, a-t-il martelé. Le rappel d’Ouyahia est intervenu au lendemain d’une mobilisation sans précédent pour empêcher une manifestation à Alger d’anciens membres de l’ANP. Les autorités ont, en effet, déployé, avant-hier, un dispositif sécuritaire impressionnant au niveau de l’autoroute Est-Ouest afin de parer à la convergence des militaires retraités vers Alger. Le même jour, un rassemblement auquel a appelé le Syndicat autonome de l’électricité et du gaz a été empêché. Sans oublier les images affligeantes montrant des visages ensanglantés de médecins résidents empêchés par les agents de l’ordre public de franchir les portes du CHU Mustapha pour exprimer pacifiquement leurs revendications. Le discours intransigeant, prôné ostentatoirement depuis quelques mois, n’a pas réduit la propagation de la contestation qui, outre les radiés et les invalides de l’Armée nationale, touche désormais également les secteurs névralgiques de la société tels que l’éducation, l’université, la santé et maintenant les retraités. Avec la chute durable des prix du pétrole, le pays a été contraint d’entamer une phase d’austérité au risque d’exacerber la colère de la rue. Les années fastes avaient, jusque-là, permis de contenir au maximum le mécontentement populaire. Plus d’argent pour acheter la paix sociale, implique-t-il pour autant le recours systématique au bâton et aux poursuites judiciaires pour faire taire les multiples secteurs en ébullition ? Cette option semble privilégiée par les pouvoirs publics. Le dialogue social idéalisé pendant des années et promu par les gouvernements successifs comme étant la pratique syndicale la plus adéquate et responsable, apparaît aujourd’hui comme la victime collatérale de la politique d’austérité. Mais pas seulement, le pouvoir pense à tort qu’il peut attaquer le mal à la racine, en ne fléchissant pas devant les manifestations dans la rue. Pour tempérer ce comportement, il recourt presque systématiquement à l’installation des comités interministériels chargés d’étudier les revendications et leur trouver des solutions.
Or le temps, c’est ce qui manque cruellement à ce pouvoir qui, dans un avenir proche, ne sera plus confronté uniquement aux revendications socioprofessionnelles. Il devra également faire face au mécontentement de la rue, conséquence de l’érosion du pouvoir d’achat des Algériens sous l’effet des mesures édictées par la loi de finances 2018. La réédition du scénario des émeutes de janvier 2011, contre l’augmentation des prix du sucre et de l’huile de table essentiellement, est à redouter. La dernière année du quatrième mandat de Bouteflika s’annonce non seulement mouvementée, mais encore dangereuse en l’absence d’une volonté palpable de dialogue social comme voie de solution des différents conflits. La situation est très critique : on assiste à la dégradation du pouvoir d’achat et à l’accentuation des inégalités sociales, ainsi que le développement de l’informel, la criminalité et la délinquance.
La combinaison de ces facteurs, auxquels s’ajoutent le recours à la violence comme instrument de règlement des conflits, la corruption, l’indifférence et la fatalité, peut conduire à l’embrasement général. Il suffit d’une étincelle.

Nissa H.