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Débrayage des greffiers : La grève se durcit, les avocats désapprouvent

par Houari Saaïdia, Le Quotidien d’Oran, 26 avril 2012

L’action de protestation des greffiers ne s’essouffle pas. Hier, la grève menée par ce corps d’auxiliaires de justice est entrée dans son 17e jour. Si dans certains rares cours et tribunaux, le débrayage a, depuis son déclenchement le 10 avril, progressé plutôt par à-coups, avec un «jeu» d’arrêts momentanés et de reprises, il a été, en revanche, sans répit dans la plupart des juridictions, à travers le pays. La situation va de mal en pis, puisque même le service minimum a été sacrifié. Devant cette tournure inquiétante des évènements, les robes noires, en leur statut de porte-étendards du droit de la défense, ne pouvaient plus rester observateurs passifs. L’Union nationale des barreaux d’Algérie (UNBA) a, en effet, exprimé dans un communiqué, ses vives préoccupations quant à l’évolution de la situation dans les tribunaux. Sans légitimer ni délégitimer le mouvement de grève observé par les fonctionnaires de la justice, l’UNBA a dénoncé en termes exprès l’inobservation du service minimum par les grévistes, qualifiant cette défaillance de «grave atteinte aux droits du justiciable, essentiellement des droits de l’Homme et des droits de défense consacrés par la Constitution.» Le communiqué des avocats, au ton effleurant le réquisitoire, ne fait pas grief qu’aux fonctionnaires de la justice. L’Etat, lui non plus, n’est pas exempt de reproches et a, quelque part, une partie de responsabilité dans le pourrissement de la situation, à lire le communiqué de l’UNBA, rédigé à l’issue de son conseil tenu au siège de la Cour suprême, pour examiner la grève des greffiers et ses répercussions sur les droits de défense. Dans la forme, les avocats s’inscrivent en faux contre la pratique du ministère public, consistant à remplacer les greffiers d’audience par des huissiers de justice et autres substituts parmi les officiers publics. «Les audiences où les greffiers sont substitués par des huissiers de justice ou n’importe quelle personne non habilitée par la loi sont des audiences non légales», lit-on dans le communiqué. Dans le fond, l’UNBA n’est pas d’accord avec la politique de non-dialogue et d’intransigeance absolue, adoptée jusque-là par le ministère de la Justice pour faire face au mouvement de protestation des greffiers et des corps communs de la justice. Appel donc est lancé par le conseil de l’Union à l’endroit du ministère de la Justice pour «trouver une solution adéquate et légale à cette situation, dans les plus brefs délais, pour sortir de la situation de blocage actuelle».

Si, lors de la grève nationale de février 2011, le ministère de la Justice avait opté pour un processus de pourparlers avec les représentants «agréés» du personnel du corps des greffes pour désamorcer la crise, il en est autrement cette fois-ci. La tutelle a, jusqu’ici, ignoré tous les appels à dialoguer émis par les iniateurs de la grève à coups de correspondances avant et après le passage à l’action et de sit-in devant le siège du ministère, et ce, partant de l’idée, -vraie ou fausse- que cette grève n’est pas spontanée, encore moins légale, mais qu’elle est le fait d’une manipulation politicienne anti-élections, menée par des tireurs de ficelles, sans rapport avec la profession. Un autre argument -assez contradictoire avec la thèse de la manip- est brandi par la tutelle pour justifier le refus de relancer le dialogue avec son «partenaire et interlocuteur légal», la Coordination nationale des fonctionnaires des greffes de la justice, composée des représentant des 36 cours, celui de la vacance temporaire du poste de décideur, dans le secteur de la Justice depuis le départ de Tayeb Belaïz, nommé président du Conseil constitutionnel, et son remplacement, à titre de simple intérimaire -et donc sans aucun pouvoir décisionnel-, en attendant la désignation d’un nouveau ministre au prochain gourvernement post-législatives.

Sur le terrain, la grève se durcit malgré la reprise partielle du travail de certaines cours, à l’exemple de celle d’Oran. Dernière parade mise en œuvre par la «Chancellerie» pour casser la grève, une instruction qui a été adressée aux chefs des 36 cours pour exiger des grévistes, tous grades confondus (aide-commis greffier, commis greffier, greffier, divisionnaire, greffier en chef) de restituer les clés de bureaux et d’armoires avec PV, de se déclarer en cessation de travail sur une liste officielle, et d’exprimer sa grève hors de l’enceinte de l’établissement. Autant dire dans la rue. La démarche a eu un effet dissuasif immédiat, dans plus d’un tribunal selon nos informations, d’autant plus que les greffiers récalcitrants ont compris qu’ils risqueront non seulement des sanctions disciplinaires assorties de ponctions sur salaire sur les jours non travaillés mais, bien plus, leur licenciement et leur remplacement par de nouveaux agents parmi un contingent de 8.000 greffiers issus de concours à l’échelle nationale.

Le Syndicat national des fonctionnaires de l’administration de la Justice (SNFAJ) vient de se mêler de l’affaire, après 17 jours du début de la grève. Par le biais d’un communiqué intitulé «un syndicat du dialogue», le SNFAJ tient à se démarquer en des termes à peine voilés, du débrayage lancé à l’appel du Conseil national des fonctionnaires de la justice -qui s’est rebaptisé «Fédération» entre-temps- affilié au syndicat autonome Snapap. Trois messages sont émis par ce syndicat, en crise de représentativité et de crédit dans le mileu corporatiste depuis la grève de février 2011.

«1. La tutelle doit continuer le dialogue avec tous les acteurs légitimes. 2. Nos collègues greffiers doivent s’organiser autour de leur syndicat légitime, le SNFAJ. 3. Tous les grévistes rejoigent leur travail au service de notre pays», lit-on dans le communiqué du SNFAJ.

Parmi les revendications des greffiers, l’annulation pure et simple de l’actuelle loi régissant le corps de greffe judiciaire, texte assimilé à un «code pénal», le transfert de leur corps de la Fonction publique à la Justice au même titre que les magistrats, la mise en place d’un plan de gestion de carrière, ainsi que l’instauration de nouvelles primes ou la généralisation d’autres (primes de caisse, de robe, de responsabilités judiciaires, entre autres.)