À Tamanrasset, il n’y a que le tourisme exotique

À Tamanrasset, il n’y a que le tourisme exotique

Larmes tranchantes au quartier Sourrou

El Watan, 16 juillet 2005

A l’école, on mange à la cantine… » Pendant les vacances, c’est moins évident pour Abbes et Salah, respectivement en sixième et en cinquième année d’enseignement fondamental.

Du coup, les deux enfants du quartier précaire de Sourrou, à la sortie est de Tamanrasset, à 2000 kilomètres au sud d’Alger, rôdent autour des clients attablés aux terrasses des restaurants du centre-ville en quête d’une générosité et d’un quignon de pain. « Salah est toujours premier de la classe, moi souvent troisième », raconte Abbes. Salah, fils unique, a perdu son père et vit chez son oncle maternel, gardien de son état et père de quatre enfants. Ils vivent entassés entre quatre murs en toub sous un fragile toit en zinc, menacés par l’hiver, les scorpions et la permanente malnutrition. « Quand le vent frappe violemment nos maisons, quand la pluie détruit nos murs, on ne reçoit même pas un sac de ciment. » Adossés à un mur impossible à dater, un groupe d’habitants de Sourrou El Maâlmin (il existe deux autres quartiers adjacents : Sourrou El Djamaâ et Sourrou Essahel) détaille les précarités sous l’œil des femmes voilées d’étoffes à la targuie qui nous rejoignent. « Pas de travail ici. On est collés aux murs de nos maisons, sans avenir », dit un homme drapé d’un chèche noir. « Si tu n’as pas de piston, tu ne travailleras jamais dans le tourisme… De notre vie, nous n’avons bénéficié de rien ! », s’insurge son voisin entouré par des enfants en guenilles, pieds nus et yeux rieurs. L’homme en blanc raconte la réaction des forces antiémeute lundi dernier. « Au début, la manifestation était pacifiste, puis des gens ont profité de la tension née de l’intransigeance des autorités. Nous sommes contre la casse et le vol… Deux bombes lacrymogènes sont tombées au milieu des maisons. Pourquoi ? » L’homme en large abaya blanche nous guide à travers des dédales de venelles gardées par des chèvres enfoncées dans le sable et l’écrasante chaleur vers une maison de deux pièces avec une cour.

Recrutement discriminatoire

Une porte qui ne protège de rien s’ouvre sur une vieille drapée de noir assise par terre devant un antique four à gaz. Autour d’elle, une galaxie d’enfants, issus des deux familles qui se partagent l’exiguïté de l’habitation, aux cheveux rebelles et aux gestes déjà incroyablement las, remue l’espace. Une partie de la cour est recouverte par une bâche en nylon miraculeusement soutenue par des troncs tordus d’acacias. Dans une pièce tapissée d’articles en cuir targuis, vestiges de la vie en kheyma des seigneurs déchus par la sédentarisation et l’Etat central, est étendue Khadidja, 14 ans, victime des gaz lacrymogènes. « On l’a emmenée à l’hôpital, elle doit se reposer… », dit le père. Un étroit passage s’ouvre sur une pièce qui fait office de cuisine. Dans un coin, une fillette lave des assiettes assise par terre devant une bassine jaune. Elle sourit. Entre temps, le vent de sable se lève et la vision du pic de l’Adriane au loin se dilue dans les tonnes de poussières violemment soulevées. Soleil pâle et ciel ocre. Les enfants nagent dans ce vent de sable et gesticulent pour s’amuser. Les adultes, eux, sourient. Un court moment. Un homme ramène sa fillette de 9 mois, yeux gonflées et rouges, visage pâle et habits jaunes salis par la bave. « Elle aussi a subi les gaz. Le médecin a prescrit une pommade. » L’homme en blanc montre une femme debout devant l’assemblée accroupie. « Elle a eu un malaise suite aux tirs de bombes lacrymogènes. » L’homme parle. Elle, dans son étoffe qui la drape des pieds à la tête, découvrant seulement les yeux (le vent de sable redouble de férocité), reste voilée de mutisme. Mais les yeux amendes disent toute la colère du monde. Plus jeune, une Targuie aux traits fins s’emporte en tamahaq avant d’évoquer l’arrestation de plus de cinquante jeunes dans son seul quartier. « Personne ne travaille ici. Pourtant, tous nos jeunes ont passé leur service militaire », s’insurge la jeune fille. Les hommes acquiescent en silence. « Impossible de se taire s’ils n’obtiennent pas gain de cause. Ils revendiquent leur droit. La société de lutte contre les acridiens a embauché des chauffeurs du Nord malgré les promesses du wali », poursuit-elle, encouragée semble-t-il par l’approbation des siens. « Nous, les filles, nous avons étudié, nous avons nos diplômes et lorsqu’on passe les concours on nous dit : désolé, on ne vous prend pas. Nous avons déposé des dossiers de demande d’emploi à l’Enor (société des mines d’or). Quelque temps après, on a trouvé nos documents dehors, broutés par les chèvres », raconte l’homme en chèche noir, le plus âgé de l’assemblée, qui tient une fillette tout sourire. « Je ne te parles pas des dossiers de logement déposés depuis 1987… Tous les quartiers sont concernés : Aknouf, Tabrakt, Imechwen… » « Des associations de quartier ? On en a, bien sûr, et on a déposé plusieurs fois nos revendications, mais les autorités ne nous reçoivent qu’à l’approche d’élections. Akhamoukh ne reçoit pas, le maire non plus, la wilaya dit recevoir les gens le mercredi, en vain. Le bureau de main-d’œuvre et les sociétés se jouent de nous… On dit que Tamanrasset est calme, mais nous en avons assez de la patience. » Le vent ne se calme pas. Difficile d’ouvrir les yeux. Les enfants jouent encore à des jeux imaginaires et rudimentaires. Peut-on voir les bombes lacrymogènes tombées dans les maisons ? « Les enfants jouent avec… », dit, avec un sourire, l’homme en blanc. Au centre-ville, Abbes et Salah terminent un minisandwich à la viande et se partagent un verre de limonade nationale vert pomme. Ils repartent en disant merci et promettent d’être les premiers de la classe. Quoi qu’il en soit.

Adlène Meddi
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« L’état a consenti beaucoup d’efforts »

Dans son bureau à la direction du plan de la wilaya de Tamanrasset, la première responsable ne comprend pas les émeutes, la colère. « C’est vrai que les conditions de vie sont difficiles ici », dit-elle.

« Mais Tam a changé, au moins depuis que je la connais, l’Etat a consenti beaucoup d’efforts », poursuit-elle. « En 1998, le taux de chômage était de 36%, il est de 26% aujourd’hui. Le taux d’assainissement plafonnait à 15%, il y a huit ans, il est de 80%. L’électrification en 1998 couvrait 58% des besoins, en deçà de la norme nationale, le taux de couverture est de 84%. Et pour le réseau d’eau potable, il couvrait seulement 51% de la demande en 1998, il est de 90% aujourd’hui », énumère-t-elle. « Depuis 1999, la ville s’est agrandie, on trouve des produits dans ses marchés qu’on cherchait ailleurs dans le Nord. Les façades, l’urbanisme, le bitume… se sont des acquis quand même », dit-elle. Son administration emploie vingt personnes originaires de Tam sur les vingt cinq qui forment le personnel de la direction du plan, atteste la dame. « Le problème, ici, reste le manque de cadres techniques. Ce n’est que ces dernières années que les filières bac technique intéressent », témoigne-t-elle. Les emplois créés depuis les huit dernières années, selon la directrice du plan, concernent surtout le bâtiment, l’administration et les services, particulièrement le commerce. Et l’habitat précaire ? « Souvent, on a du mal à appliquer les standards conventionnels pour définir l’habitat précaire dans la région. Est-ce qu’une construction en toub est automatiquement considérée comme précaire vu les spécificités culturelles de la région ? », indique la fonctionnaire. En tout cas, le programme quinquennal 2005-2009 prévoit, selon la direction du plan, 4700 logements, dont 1500 ruraux, 1200 sociaux locatifs et 2000 participatifs. Selon la directrice, 246 logements sont déjà en construction. « Et cela, malgré les problèmes d’approvisionnement en matériaux et le manque d’entreprises dans la région capables de tenir de tels chantiers », précise-t-elle. Elle indique que la wilaya a demandé aux pouvoirs publics centraux d’inscrire le réseau routier en priorité. « La route nationale 1 (RN1) est le seul axe d’approvisionnement de Tam. Nous avons également demandé d’inscrire dans le programme 2005-2009 la réhabilitation de la route Tam-Timiaouin et Tam-Tinzaouatin », ajoute-t-elle. D’après la responsable, les secteurs de l’hydraulique et de l’éducation figurent également parmi les priorités.

Adlène Meddi
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Des chefs Touareg s’expriment

« Libérer d’abord les détenus »

Ici, tu es chez les Kel Ahaggar, les véritables fils de l’Ahaggar », introduit solennellement notre accompagnateur en entrant, hier, vendredi, dans une pièce d’une maison à Tamanrasset.

Tasses de thé chauds et assemblée de trois chefs de tribu touareg avec leurs accompagnateurs, grands gaillards vénérables et âgés en abaya et chèche enveloppant la tête et le visage. « Nos jeunes, les enfants des Touareg ont exigé leur droit au travail, et ce n’est pas la première fois qu’ils s’adressent à la wilaya. Samedi dernier, ils se sont présentés à la wilaya en paix, mais on leur a dit : vous n’allez rien faire. Les policiers les ont aussi provoqués. Alors ils se sont soulevés. Mais d’autres ont profité pour s’attaquer aux propriétés de l’Etat et à des privés », raconte le plus ancien. « Nous n’étions au courant de rien, le conseil de sécurité de la wilaya nous a demandé assistance lorsque les choses ont dérapé. Alors on a rassemblé les jeunes au quartier Sersouf et on leur a déconseillé de casser et de brûler », poursuit le vieil homme. « Depuis, les jeunes exigent que les autorités relâchent les personnes arrêtées durant les troubles, car souvent des innocents ont été raflés sans raison. La police en a relâché onze, mais le reste, une cinquantaine, est aux mains de la justice. Là, les autorités, à commencer par le wali, nous ont informés qu’ils ne pouvaient rien faire », explique un autre dignitaire, qui ajoute que le wali a promis d’étudier les revendications des manifestants « point par point ».

marginalisation

Les revendications s’articulent autour de la libération des détenus et des problèmes de chômage des jeunes de la région. « S’ils ne les relâchent pas, chacun prendra ses responsabilités », dit un homme, la quarantaine. « En tant que Touareg, nous avons un Etat qu’on respecte. L’Etat algérien. Un chef, hadj Moussa Akhamokh, qu’on respecte aussi. C’est grâce à sa sagesse que nous nous sommes tus depuis des dizaines d’années, malgré notre marginalisation par les autorités locales et la sourde oreille des élus locaux », dit un homme drapé dans une abaya bleue. « Mais l’Etat doit respecter les efforts d’Akhamokh qui ont permis que la région soit toujours calme. Or là, c’en est beaucoup ! Nos jeunes sont diplômés, mais restent collés aux murs. La société de mine d’or recrute ailleurs. Pour la lutte antiacridienne, on a ramené des chauffeurs d’ailleurs qui ne connaissent même pas le désert… » L’homme contrôle difficilement une colère séculaire et signale que c’est la première fois que Tam laisse exploser sa colère depuis l’indépendance. « Combien de rapports et de dossiers avions-nous envoyés au gouvernement depuis des années, notamment sur la question du trafic de papiers de l’état civil au profit des ressortissants de pays voisins (missive datée du 23 avril 2005). Mais rien. Personne ne nous entend. » « Nous ne voulons pas suivre le cas des Touareg du Mali et du Niger qui ont combattu par les armes leurs gouvernements. Nous sommes algériens. Qu’ils respectent notre longue patience ! Il faut que le président de la République soit informé de nos problèmes de chômage, d’eau, d’enseignement, de la culture targuie qu’on néglige… », dit l’homme en bleu. L’ancien reprend la parole pour démentir les allégations de menaces contre les Nordistes résidant à Tam. « Les gens du Nord nous ramènent plus d’approvisionnement que l’Etat lui-même. Nous leur louons nos maisons, ils nous apportent des citernes d’eau que l’Etat n’apporte pas. Dis-le à Alger et ailleurs, nous n’avons rien contre nos frères du Tell ou du Nord. J’ai participé à l’organisation du référendum sur l’indépendance en 1962, nous avons combattu ensemble, hommes du Sud et hommes du Nord. Et nous avons refusé la cession du Sahara au profit de la France », lance le vénérable Targui avec de grands gestes des mains. « Ou on nous considère comme des Algériens et on nous traite comme tel, ou on nous dit que nous sommes des étrangers et on rend nos papiers à l’état civil », dit l’homme à la abaya bleue. « Au moins, on sera fixés sur qui nous sommes ! »

Adlène Meddi
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Le wali est rentré après une absence de cinq jours

Le wali de Tamanrasset, Djari Messoud, est rentré, mercredi soir, regagnant son poste après une absence, due officiellement à un congé, depuis samedi 9 juillet, jour qui coïncida avec un sit-in de protestation devant le siège de la wilaya.

Manifestation qui se transforma, pendant les journées de samedi à mardi matin, en émeutes et attaques contre des édifices publics et des biens privés. Une soixantaine de personnes seront présentées devant la justice, mardi 19 juillet, selon une source judiciaire, après la vague d’arrestations opérées par les forces de l’ordre, venues en renfort et réquisitionnées par la wilaya. Mardi a connu un retour au calme, qui perdure jusqu’à hier après-midi. Le wali a passé la journée de jeudi en réunion avec l’exécutif de wilaya, les élus locaux et des représentants de la « société civile ». « L’impression générale qui se dégage de ses consultations est que tout sera fait pour calmer les esprits », a indiqué, jeudi soir, un député RND. « Pour l’instant, nous en sommes aux constats de ces derniers jours », a commenté, pour sa part, un élu FLN. Le même jour, hadj Moussa Akhamokh, autorité morale des Touareg, a reçu plusieurs notables et personnalités de la ville pour des consultations. Il a également rencontré les autorités locales, selon un proche d’Akhamokh. Rien n’a filtré sur ces rencontres Jeudi soir, les policiers gardaient encore les positions stratégiques : centrale satellitaire d’Algérie Télécom, sièges de la wilaya, de l’APC et de la daïra, direction des impôts et les trois places du centre-ville. L’ambiance se résout au calme. En témoignent les cortèges de mariage et les soirées qui s’en suivent de groupes de musique « t’bel » jusqu’à une heure du matin. Pendant la grande prière, hier, du vendredi, l’imam de la mosquée El Kser, du centre-ville, a appelé au calme et à la sagesse, et a souhaité « courage et patience » aux commerçants qui ont subi les attaques des derniers jours. Une pluie fine caresse la capitale de l’Ahaggar en fin d’après-midi d’un tranquille vendredi. « Mais tout risque de basculer, les gens réclament la libération des détenus », indique un commerçant de la ville. Les chefs touareg contactés exigent également leur libération. Nos tentatives de contacter le wali ont été vaines.

Adlène Meddi