La lutte antiterroriste et la crise sociale, un lourd fardeau pour les jeunes

LES ÉVÈNEMENTS DE ZEMMOURI

La lutte antiterroriste et la crise sociale, un lourd fardeau pour les jeunes

Le Soir d’Algérie, 26 avril 2010

Le calme est enfin revenu à Zemmouri. La localité a, rappelons-le, vécu un week-end peu enviable. Durant trois jours, depuis mercredi, les jeunes de la localité ont investi la rue. Les deux derniers jours ont été marqués par des affrontements d’une rare violence entre les manifestants et les forces de police.
La ville a subi d’importants dégâts matériels. Un grand nombre de blessés a été déploré des deux côtés. Fort heureusement, la situation n’a pas dégénéré. Les étudiants de la cité universitaire, implantée non loin d’une cité populaire, n’ont pas manqué de dénoncer, lors d’une marche suivie d’un rassemblement, ce samedi, devant le siège de la wilaya de Boumerdès, les dépassements des forces anti-émeutes dépêchées sur les lieux. Des accusations appuyées par les témoignages des émeutiers. Pour rappel, la colère des habitants de Zemmouri a été provoquée par la mort du jeune B. Hamza, tué de plusieurs balles par un policier. «Pour nous, cette mort signifie que les jeunes de Zemmouri sont taxés de terroristes et qu’ils peuvent être abattus à tout moment. Nous en avons plus qu’assez d’être montrés du doigt systématiquement. Nous ne sommes pas des terroristes. Nous sommes, au contraire, leurs victimes. Notre ville ne fait que subir les conséquences de la mauvaise réputation qu’on lui a collée. Elle n’a aucun projet sérieux et toute la jeunesse de la localité est au chômage, vivant dans la misère. Les policiers ont peur des terroristes ? C’est normal. Mais eux au moins, ils ont des moyens pour se défendre. Nous, nous sommes livrés à nous-mêmes. Nous avons plus peur qu’eux !» C’est, en substance, ce que nous ont confié certains émeutiers que nous avions rencontrés ce samedi. Ces aveux sont malheureusement beaucoup plus un cri de détresse que l’expression d’une colère. En mourant violemment à la fleur de l’âge, Hamza aura mis à nu tous les malheurs de Zemmouri, qui peuvent également illustrer les conditions de vie dans d’autres localités. Pourtant, cette ville est si paisible et si accueillante, que sans aucun doute, plus d’un touriste, d’un campeur ou d’un pêcheur confirmeraient ces qualificatifs.

Les silences pesants
A l’enterrement de Hamza, ce jeudi, la foule était immense. Les présents étaient de tous âges. Lorsque la dépouille a été mise en terre, il y avait un silence sidérant. Un silence qui en disait long sur ce que pensaient les citoyens de cet acte qui a coûté la vie à l’un des leurs, sa condamnation était sans équivoque. Celle du silence des pouvoirs publics tout autant. Il leur est reproché de ne pas avoir réagi avec célérité suite à ce drame, pour rassurer les habitants, déjà très traumatisés par de longues années de terrorisme. Une population qui a vécu trop d’attentats, de tueries sauvages et de bavures. Les islamistes armés, fort heureusement, ne sont plus ce qu’ils étaient pour pouvoir récupérer la colère des jeunes. Des jeunes dont il faut louer la maturité politique.«Nous ne sommes pas des terroristes ! Nous sommes leurs victimes !» ne cessaient-ils, en effet, de clamer. Les autres grands «silencieux» de Zemmouri et d’autres localités, à l’instar de Laâzib, dans cette même wilaya qui a vu ses jeunes vivre, il y a quelques semaines, des faits similaires à la suite de la mort de l’un des leurs, ce sont les élus. Le commun des administrés ne peut que se demander à quoi servent les mandatures des 2 sénateurs, des 8 députés et des 35 élus à l’APW quand leurs électeurs sont en difficulté. Pourtant, ces jeunes qu’on taxe de violents, on peut leur arracher des concessions si l’on consent à les laisser parler, à les écouter attentivement.

Les risques de la lutte antiterroriste
«Cela fait une année que la situation sécuritaire s’est améliorée. Il ne reste aucun terroriste originaire de Zemmouri. Nous nous préparions à une saison estivale meilleure que celles d’avant. Et voilà que ces événements sont venus tout gâcher !», nous dira un quadragénaire. Faut-il rappeler que les islamistes armés agissaient sans aucune rahma, contre d’abord les plus vulnérables : les paisibles citoyens. Faut-il aussi rappeler que des hommes venus de toute l’Algérie sont morts à Zemmouri, en luttant contre ces hordes d’assassins, pour que justement cette localité, cette région de Boumerdès et tout le pays, tant martyrisés, reprennent leur souffle, retrouvent leurs espérances ? Les jeunes de Zemmouri en sont conscients. Et ils l’affirment : «Nous n’avons aucun problème avec l’ANP, bien que des erreurs aient été commises. Des erreurs pardonnables. Nous n’avons pas, non plus, de problèmes avec la gendarmerie.» Les problèmes avec la police sont-ils nés de la promiscuité urbaine, de mauvais choix tactiques dans la lutte contre le terrorisme urbain ? Il est évident que le volet communication, axe essentiel de toute bataille, a été délaissé. Ces dernières années, les Algériens n’ont pas l’impression de participer à un effort de guerre pour sauver le pays. Ils se sentent exclus, voire soupçonnés de connivence avec l’ennemi. Ce qui ne fait qu’attiser le stress somme toute humain, des forces de l’ordre. Ils se battent contre un ennemi qui n’a pas de visage et capable de toutes les lâchetés possibles. Certains agents de police, paradoxalement les moins âgés, comme probablement ce policier qui a tiré sur le jeune Hamza, n’ont sans doute plus les ressources mentales nécessaires pour continuer le combat. Une période de recul leur serait certainement utile. Les forces de l’ordre doivent savoir que leur travail est particulièrement suivi par les citoyens. Et cela est normal, puisque ce sont elles qui sont chargées de veiller sur leur sécurité. Et partant, leur stress est transmis aux habitants. Lorsqu’on y ajoute le manque de communication, alors le lien de confiance est nécessairement rompu. C’est peut-être ce qui a coûté la vie à Hamza. Notre pays aborde sûrement la dernière ligne droite dans sa lutte contre les phalanges d’assassins.

L’échec pathétique des politiques
Tout le monde s’accorde à dire que le combat contre l’intégrisme religieux sous toutes ses formes se mène sur plusieurs fronts : politique, économique, social et culturel. Le sécuritaire n’intervient qu’en dernier recours. C’est le dernier maillon de la chaîne, disent les spécialistes. Dans notre pays, c’est malheureusement tout le contraire. Le commun des Algériens a la nette impression que les services de sécurité sont seuls devant l’ennemi. Pis, le politique semble avoir perverti le combat. Les jeunes de Zemmouri ou d’ailleurs vivent cette situation comme une frustration. «Le gouvernement a donné des appartements aux terroristes. Il leur octroie des salaires et leur accorde des privilèges. Les jeunes qui vivent dans la misère sont réprimés». C’est ce que nous avons entendu de la bouche des émeutiers, à l’évocation de la nécessité de la poursuite de la lutte contre le terrorisme. Ce qu’ils disent, ils le constatent, tous les jours que Dieu fait, dans leur commune. Les jeunes suivent l’actualité et assistent, impuissants, à la dilapidation des richesses du pays. Ce qui ne fait qu’attiser leur sentiment de colère. L’échec économique est, en outre, subi de plein fouet par cette frange. Lorsque les jeunes de la cité populaire Sider de Zemmouri nous ont entourés pour crier leur désarroi, l’image d’un document affichant des statistiques sur l’emploi dans la wilaya de Boumerdès, cautionné par l’APW dans un rapport établi novembre 2008, ne cessait de hanter nos esprits. Et pour cause. Il était question d’un taux de chômage de 11,63 % seulement dans cette wilaya. On aurait aimé voir le fonctionnaire qui a confectionné ces statistiques et ces élus qui les ont cautionnées, pour tenter d’expliquer aux jeunes comment il a été possible d’en arriver à ces chiffres. Tous les P/APC de la wilaya de Boumerdès le disent à qui veut bien les entendre : ce taux dépasse largement les 50 %. S’agissant des activités socio-culturelles, elle sont réduites à néant. «Les jeunes de Zemmouri passent leurs journées à tripoter leur portable. Les cafés sont les seuls endroits qui leur sont ouverts. La Maison de la culture a été transformée en siège de l’APC qui, depuis 2003, n’a toujours pas construit le sien. Les trois clubs sportifs, complètement délaissés, ne tarderont pas à disparaître», a résumé pour nous un confrère qui habite la localité. Zemmouri est comme l’Algérie et son pétrole. Elle a tout pour être une grande. Cette commune balnéaire a son propre pétrole. Elle possède de grandes plages magnifiques, des forêts immenses, un port de pêche, des terres agricoles à haut potentiel de rendement, et bien d’autres atouts. Elle peut faire vivre ses jeunes dans l’opulence. Mais elle a fini par les répudier et les réduire à la misère. C’est un échec à imputer à la commune, à la wilaya, à tout le pays.
Abachi L.