Rachid Malaoui: «Le pouvoir a sa propre société civile et ne dialogue qu’avec lui-même»

Rachid Malaoui: «Le pouvoir a sa propre société civile et ne dialogue qu’avec lui-même»

Écrit par El Watan 2014, 15 février 2014

Manœuvres de déstabilisation et clonage de syndicats, le président du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, Rachid Malaoui dresse à trois mois de l’élection présidentielle un portrait amer du pouvoir actuel.

Le secrétaire général du Snapap cloné, Belkacem Felfoul, a de son coté déclaré son soutien à Abdelaziz Bouteflika lors d’une conférence tenue la semaine dernière.

Certains syndicalistes ont dénoncé le soutien affiché de Sidi Saïd au président Bouteflika. Quel est votre sentiment ?

La loi interdit à un syndicat d’avoir une position partisane en faveur d’un parti politique. L’UGTA a depuis longtemps soutenu le candidat du pouvoir sans être sanctionnée, car elle est couverte par ce dernier. Le Snapap a de son coté, toujours publiquement affirmé ne soutenir personne, car dans nos rangs les sensibilités politiques sont variées. Cependant, les syndicats qui ne soutiennent pas le pouvoir sont l’objet de clonage et d’accusations diffamatoires. Lorsque nous avons refusé de soutenir le président candidat en 2004, Belkassem Felfoul, élu député à l’époque, a officiellement été chargé par le pouvoir de faire campagne en 2004 pour le président candidat, au nom du Snapap, créé la même année. Le député a reçu un récépissé du ministère du Travail lui conférant le statut de secrétaire général du syndicat et une subvention d’1,8 million de dinars, versé sur un compte bancaire du Snapap, qui n’était pas le compte d’origine. A l’aide de tous ces éléments, il est ensuite allé en justice, non pas pour prouver sa légitimité syndicale mais pour acquérir notre siège à Alger afin de nous priver d’un lieu de travail. Le syndicat algérien est donc à la fois un porte voix des orientations du pouvoir et un outil de déstabilisation.

A trois mois de la Présidentielle, on n’entend pas beaucoup les syndicats autonomes. Les revendications sociales sont pourtant très politiques.

Le Snapap est pourtant sur plusieurs fronts. On soutient en ce moment les manifestations des jeunes contre les contrats de pré-emploi, qui se sont tenues dans 37 départements. Il y a eu plusieurs rassemblements sur l’évolution des statuts et l’augmentation des salaires du corps commun (administration publique). On a aussi fait grève avec certaines APC et les syndicats autonomes de l’éducation. On est donc normalement investi dans l’activité des revendications sociales. Le comité des femmes du Snapap mène également une campagne pour soutenir les syndicalistes femmes suspendues par le ministère de la Justice suite à une grève des greffiers en 2012.

La Coordination nationale pour les droits des chômeurs a déclaré qu’elle voulait «peser» sur cette Présidentielle. Comment comptez-vous vous positionner ? Où en êtes-vous du rapprochement avec le mouvement des chômeurs ?

Le comité des chômeurs a fait une marche importante à Ouargla pour soutenir les chômeurs du Sud. Le gouvernement est parti sur place et a opté pour la suppression du 1% de taux d’intérêt fixé dans le cadre du programme de prêt pour l’investissement l’Ansej. Il a également fait une campagne pour l’intégration de ces travailleurs dans les multinationales, sans résultat. Le comité continue de se mobiliser néanmoins et nous sommes toujours disposés à les soutenir dans l’encadrement et l’organisation d’une action sociale.

Avez-vous été approché par les personnalités qui ont déclaré vouloir être candidates ?

Certaines personnalités nous ont approchés mais je ne citerai pas les noms. On leur a répondu néanmoins qu’on ne prendrait pas position.

La plupart de ces personnalités, quand elles ont un programme, ont surtout mis l’accent sur les questions économiques. Ils se dégagent d’ailleurs déjà des profils très socio-libéraux. Comment analysez-vous cela ?

On ne sait pas si ces candidats sont de gauche ou de droite, ni dans leur programme, ni dans leur parcours politique. Par ailleurs, avant de parler de programme, peut-on parler d’élection présidentielle libre ? On ne peut débattre sur les programmes quand il n’y a pas de transparence électorale, je ne souhaite donc pas me prononcer sur des programmes auxquels je n’ai pas véritablement porté d’attention.

Le dernier rapport annuel sur les libertés syndicales du Comité international de soutien au syndicalisme autonome algérien (CISA) trouve que la situation n’évolue pas. Comment voyez-vous les mois à venir sous un autre (ou pas) président ?
Les rapports du CISA, de l’Organisation internationale du travail et d’autres organisations internationales des droits de l’homme ont affirmé dans leur rapport respectif sur la liberté syndicale en Algérie que les choses n’avaient pas bougé. L’intérêt particulier porté par ces organisations à l’Algérie montre à quel point nos libertés sont bafouées. Les syndicats ont aussi un rôle à jouer dans le changement pour la démocratie et notre situation restera la même si le pouvoir ne va pas vers le changement.

Maître Zahouane, président de la LADDH, a affirmé lors d’une conférence de presse il y a trois mois que le Snapap a reçu des financements étrangers pour créer des conflits sociaux notamment lors des soulèvements du printemps arabe. Quelle est votre réaction ?

Un conflit interne entre Zahouane et les membres de l’équipe de Bouchachi a divisé la ligue en 2009 et nous avons pris position en faveur de Bouchachi et Yahia Abdenour, l’ancien président de la ligue avec qui nous avons travaillé. Nous sommes donc devenu la cible de Zahouane qui nous a ensuite accusé de recevoir des financements étrangers afin de diviser le pays en pleine période de révoltes. Ces propos ont aussi été tenus par le pouvoir, des personnalités politiques et des journalistes et ce, avec la complicité d’un clan du DRS utilisé par le pouvoir pour nous déstabiliser. Il y a toujours, au sein du DRS, un clan très actif qui nous cause de sérieux ennuis. La ligue des droits de l’homme de Zahouane a reçu à plusieurs reprises des financements d’ONG étrangères dont je tairai le nom. Le Snapap ne reçoit de son côté aucune subvention de l’étranger. Les syndicats étrangers forment nos cadres car nous appartenons à une organisation internationale des syndicats la Confédération internationale des syndicats et à d’autres organisations syndicales étrangères à qui nous versons chaque année des cotisations. Cette pratique est autorisée par la loi algérienne qui autorise les syndicats algériens à adhérer à des syndicats régionaux et internationaux.

Quels sont les grands défis sociaux de cette année 2014 ?

Il faut que le pouvoir accepte un changement pacifique et démocratique. On ne peut plus geler les actions de la société civile par la répression des manifestations et l’absence d’un recours à une justice indépendante pour la punir. Sur le plan économique, les facilités de crédit pour l’investissement n’a créé ni emploi, ni production. Une vague d’importations massives provoque en revanche l’augmentation des prix. La dévaluation du dinar et l’augmentation de la valeur de l’euro fragilisent le tissu productif, qui voit ses prix à l’importation augmenter également. Pour augmenter les salaires, l’Etat puise dans la rente pétrolière et le déficit se creuse avec, à terme, le risque de provoquer une cessation de paiement. Une cessation de paiement en 1997 a conduit les autorités à faire ponction sur les salaires. Il faut donc que l’Etat mette en place une politique d’incitation à la production nationale et de gestion des importations afin que des produits locaux moins chers arrivent sur le marché et que le pouvoir d’achat s’équilibre. Il y a aussi le conflit du chômage et celui du pré-emploi. Le gouvernement a affirmé que 40 000 salariés auront un contrat permanent dans la fonction publique mais ce n’est pas assez. Ce travail déguisé concerne aujourd’hui 900 000 jeunes qu’il faudra permaniser et cela demandera un effort économique considérable. Entre temps, le secteur privé ne recrute pas et se sert même de ces pré-emplois. Si l’Algérie perd son pétrole, les autorités ne seront plus en mesure de faire face à la crise.

La prochaine tripartite (patronat, syndicat, gouvernement) est prévu à la fin du mois de février – comptez vous y participer ?

Nous n’y participerons pas car nous n’avons jamais été invités. Quand nous avons fait grève pour l’augmentation des salaires en 2008, le pouvoir a revu la grille des salaires à la hausse sans passer par la tripartite. Nous avons toujours obtenu nos acquis sociaux en dehors de la tripartite car la masse salariale a fait pression et le pouvoir a donc dû répondre en achetant la paix sociale. La tripartite ne reste qu’une directive prescrite par l’OIT que le pouvoir utilise pour faire passer ses décisions. Si le gouvernement décide d’augmenter le salaire minimum, il utilisera la tripartite pour le faire et rien ne sera négocié avec les partenaires sociaux. Le pouvoir a sa propre société civile composé de l’UGTA et des syndicats clonés. Lors des tripartites, il ne dialogue donc qu’avec lui-même. De notre côté, on ne veut pas rester un syndicat de consommation ou se taire après simple augmentation de salaire, les problèmes liés à l’emploi et aux libertés individuelles persistent encore.

Feriel Kolli