Du clan aux… clans

ENTOURAGE DU PRÉSIDENT

Du clan aux… clans

Le Soir d’Algérie, 14 avril 2004

Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, vient d’être réélu le 8 avril dernier avec un score gigantiste de 84,99% des suffrages. Une réélection dans laquelle l’entourage présidentiel, constitué notamment du frère du chef de l’Etat, Saïd Bouteflika, du directeur de cabinet du président de la République, Larbi Belkheir et du ministre de l’Intérieur, Noureddine Zerhouni, a joué un rôle crucial durant les cinq dernières années.
En effet, ils ont exercé une mainmise sur les rouages de décision, aidé à la mise en place de réseaux d’influence fort efficaces et encouragé de diverses manières l’adhésion de pans entiers du monde politique, économique et de la société civile et du mouvement associatif à cette démarche. Cependant, se pose la question de la prééminence de ce clan dont l’action a été très décisive quoique discrète et subtile, par rapport aux autres soutiens électoraux du chef de l’Etat. En effet, comment le président réélu agira-t-il avec ceux qui l’ont soutenu depuis longtemps et ont œuvré à plaider ses mérites, à l’instar du conseiller économique et ancien ministre de la Participation, Abdelhamid Temmar, le ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou et le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil? Avec pour ce dernier, une implication plus forte à travers l’instrumentation subtile quoique démentie de l’entreprise Sonatrach dans le financement et la promotion des comités de soutien et la prestation d’allégeance des zaouias et ce, au-delà de la controverse sur le projet de loi sur les hydrocarbures, dont il a été le principal promoteur et lequel certes gelé officiellement, sera cependant certainement relancé à court ou à moyen terme. Appelés communément «les hommes du président» et qui ont œuvré à plaider ses mérites, ces derniers seront-ils maintenus dans le prochain gouvernement aux postes clés qu’ils détiennent pour les deux derniers ou seront-ils marginalisés au profit d’autres partisans du chef de l’Etat ? A ce propos, l’éventuelle reconduction d’Ahmed Ouyahia, en tant que chef de gouvernement impliquerait nécessairement une volonté de sa part de renforcer la présence des têtes influentes du RND et notamment Abdesslam Bouchouareb, Abdelkrim Harchaoui et Seddik Chiheb pour ne citer que les plus en vue et les plus actifs lors de cette campagne électorale, dans la nouvelle équipe ministérielle et dans des postes de premier plan. Ahmed Ouyahia qui dirige le gouvernement depuis mai 2003, personnification du véritable commis de l’Etat et qui a amené sa formation politique, le RND, à soutenir la candidature du chef de l’Etat, tentera sans aucun doute de provoquer un rééquilibrage inéluctable des positions en faveur de son parti dans le cadre de la recomposition institutionnelle à venir. Néanmoins, une volonté qui risque d’être contrariée par celle des animateurs du mouvement de redressement du FLN, tels Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires étrangères, Saïd Barkat, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelkader Messahel, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Affaires maghrébines et africaines, Tayeb Louh, ministre de la Sécurité sociale et du Travail et Amar Tou, ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la Communication, mais aussi Abdelhamid Si-Affif et Abdelkader Hadjar. Ces derniers qui ont servi d’instrument principal efficace à la stratégie de dislocation du FLN et aidé à développer la suspicion dans les rangs de ses militants et sympathisants, voudront certainement un retour d’ascenseur de la part du président reconduit pour leurs services rendus et ambitionneront la place prééminente au sein du futur gouvernement. Soit en se prévalant de la défaite du secrétaire général du FLN, Ali Benflis, dans cette compétition électorale et ce qui en ressort comme modifications de la configuration interne de ce parti au profit du mouvement de redressement. Un mouvement qui verra certainement des militants et élus du FLN quitter leur formation et venir grossir ses rangs. Autre variable de cette équation, celle du MSP, membre actuel de la coalition gouvernementale au sein de laquelle il compte trois ministres, Ammar Ghoul, Mustapha Benbada et El-Hachemi Djaâboub et qui, obéissant à la logique de l’entrisme institutionnel et du sens de l’opportunisme politique, a privilégié le soutien au chef de l’Etat plutôt que de présenter son propre compétiteur à cette élection. Le MSP, qui s’est impliqué de manière efficace dans cette campagne électorale sous la férule de son leader Aboudjerra Soltani, voudra supplanter son principal rival, le mouvement El-Islah, au sein de la mouvance islamiste maintenant que ce dernier est réduit à jouer un rôle similaire à celui d’Ennahda, Abdellah Djaballah, le président du MRN ayant été quasiment laminé lors de ce scrutin présidentiel. Ceci en prenant en considération un autre paramètre, à avoir l’alliance stratégique qui a été scellée à long terme entre le RND, le MSP et les redresseurs du FLN et qui déterminera sans être une lapalissade, le positionnement de chacun dans la recomposition annoncée de la scène politique. Ces différents clans qui ont concouru, à des degrés divers, à rendre possible cette réélection, n’entreront-ils pas, de ce fait, dans une guerre de positions entre eux, chacun d’eux ayant la prétention, justifiée au demeurant d’affirmer qu’il a été le principal ou l’unique facteur de cette réussite éclatante ? Une question qui s’avère pertinente sans être toutefois une énième spéculation ou interprétation. Il s’agit en somme de savoir qui aura le dernier mot ou sera, contre toute attente, marginalisé d’entre ces clans, les hommes du président, ceux supposés être proches de l’éventuel prochain chef de gouvernement, le MSP ou les animateurs du mouvement de redressement ? Allons-nous assister à une autre guerre de clans après la mainmise d’un seul clan pendant la mandature écoulée? De même, la question est de savoir comment le président réélu compte-t-il récompenser, si toutefois il en a l’intention, ce groupe hétéroclite de soutiens ? Et sur la base de quels critères ? Soit, quels rôles joueront ces soutiens au sein du futur gouvernement et dans la recomposition de la scène politique ?
Chérif Bennaceur