Bouteflika imposteur ?

Bouteflika imposteur ?

Par El-Kadi Ihsane, Le Quotidien d’Oran, 4 mars 2004

Le président Bouteflika est-il un imposteur ? Difficile de trancher dans la durée. Par contre quelques-uns de ses «succès» de mandat, comme l’économie et la diplomatie, méritent qu’on y traque un relent d’imposture. Explications.

Le livre de Mohamed Benchicou «Abdelaziz Bouteflika, une imposture algérienne» défraye la chronique glaciale de cette fin d’hiver. Il a précipité l’assaut impitoyable de l’administration «présidentielle» contre le journal «Le Matin», mis à l’épreuve la solidarité entre éditeurs et fourni en munitions les adversaires du président, essoufflés depuis quelque temps. Suffira-t-il pour changer la donne de la campagne électorale ? Sans doute pas, car le pamphlet arrive un peu sur le tard, et surtout monte seul à l’assaut loin devant tous les autres sur la ligne de front. Bravo pour le panache tout de même.

Il reste que l’idée de l’imposture est une filière féconde lorsqu’il faut traiter non plus tout à fait du personnage de Bouteflika mais de son action à la tête de l’Etat. Deux thèmes essentiels illustrent le contre-emploi durant le mandat présidentiel. L’économie et la politique extérieure. Sur le premier sujet, les convictions de l’écurie de course Bouteflika étaient ultra-libérales. Sur le second, elles s’affichaient avec des relents Boumediénistes avec notamment le slogan de la «izza et la karama». C’est à un contre-pied complet que les Algériens ont été conviés. Le bilan économique auquel s’est adonné le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, vendredi dernier, est, de ce point de vue, totalement renversant. On aurait dit un cacique du politburo de l’ex-URSS qui rapporte la dernière publication du Gosplan. Tout ou presque est décliné en volume. Tout ou presque est réalisé par les moyens, au moins financiers, de l’Etat.

Nous sommes à mille lieues des élans «Temmariens» du début du mandat présidentiel qui promettaient de faire passer par le jeu libre du marché la moindre tentative de bouger en Algérie. Les entreprises publiques ? Tout privatiser. L’investissement ? Appeler surtout le capital étranger. Les infrastructures ? Lancer des appels d’offre et attendre. C’est exactement l’inverse de ce qui s’est produit et qui fait aujourd’hui la «fierté» des ultra-libéraux de la mouvance Bouteflika. La dynamique de la croissance est largement portée par les dépenses publiques, l’emploi est sauvé par la préservation de l’activité dans le secteur public et l’investissement est surtout le fait du privé national si l’on omet les factures d’hôtel payées par les successives missions de prospections des grands patrons étrangers.

L’imposture est intégrale. On se bat pour la libéralisation brutale et on est content de remettre la machine en marche grâce aux vieilles recettes de l’Etat comme premier levier de l’activité. Même Ahmed Ouyahia, qui pourtant dédaigne rarement jouer au gentil cynique, a été gêné par l’énumération frénétique des «réalisations de l’Etat» et a furtivement ajouté, sous la pression du scrupule pourquoi pas, «nous attendons de tout cela qu’il soit prolongé par une dynamique de marché». Bel aveu. La dynamique de marché n’est pas encore là. Mais quelle importance si le budget de l’Etat assure croissance et réélection.

L’imposture dans la relation avec le reste du monde est moins sympathique. L’Algérie était censée redevenir la voix des peuples opprimés qu’elle était avant… Respectée et écoutée justement pour cela. Le contre-pied est disloquant. L’affaire de Sfax résume toute la déchéance. La diplomatie algérienne de 2004 est beaucoup plus faible que deux membres du CCE du FLN de fin 1956 obtenant, dans le bras de force, à Tunis de Bourguiba qu’il facilite l’acheminement des armes vers l’intérieur. Tout chauvinisme mis à part, peu approprié en particulier lorsqu’il s’agit de défendre des supporters algériens massivement «insortables», la bastonnade meurtrière de Sfax méritait une vive réaction solennelle de l’Algérie officielle.

L’Algérie de la «izza et de la karama» triomphe donc dans les courbettes devant les plus puissants. Tant pis pour la Palestine et l’Irak… et pour l’îlot de Persil. Et pourtant, la fréquentation de Bush et de Chirac est versée aujourd’hui à la colonne des actifs. L’Algérie était isolée avant. Elle se serait donc désenclavée au prix d’un reniement sans équivalent s’il n’y avait eu, entre-temps, l’obséquieuse «ouverture» de Kadhafi. Ainsi va la vie de la realpolitik.

Imposture ou pas, le bilan économique de Bouteflika et son bilan de politique extérieure – mis en vitrine de sa campagne – sont de parfaits détournements de casting. Là où l’on attendait du Mohamed Mahatir – créateur habile du capitalisme malaysien -, on a vu du Boumediène de la période des «tedchinates». Et là où l’on espérait des relents de Boumediène de la période des «principes», on a vu du Hussein de Jordanie frisant à peine le septembre noir.

Abdelaziz Bouteflika a peut-être tout compris avant les autres. Il faudrait le lui accorder cela. Sauf peut-être dans le cas Khalifa. Utiliser l’argent des autres pour arroser le pays entier et devenir populaire, c’est tout de même une invention brevetée chez la maison de Rafik Moumène. Bouteflika l’a reprise à son compte en 2003. Juste après avoir poussé l’illustre «homme d’affaires» dans la fosse aux lions. Etait-ce là aussi une imposture ? La télévision de Khalifa, K-News, qui revient cette semaine, va peut-être, comme le livre de Benchicou, essayer de nous en convaincre.