Migrants : la solution passe-t-elle par Abidjan ?

La question est au menu du 5e sommet Afrique-Europe aujourd’hui en côte d’ivoire

Migrants : la solution passe-t-elle par Abidjan ?

Liberté, 29 novembre 2017

La vision que l’Europe se fait de la crise migratoire élude les causes politiques du problème, ne retenant que sa seule dimension économique.

La capitale ivoirienne Abidjan accueille, aujourd’hui et demain, le 5e sommet Union africaine-Union européenne, qui a principalement pour ordre du jour la problématique sécuritaire et le drame migratoire. Cet important rendez-vous réunit 55 pays africains et 28 pays européens, ainsi que des organisations régionales et continentales.
En tout, il y aura 300 participants, dont 83 chefs d’État, selon les organisateurs du sommet. La jeunesse, devenue un slogan électoral pour certains dirigeants africains surtout, occupera aussi une place centrale dans les échanges entre les participants qui ont fait le déplacement à Abidjan. Le contexte s’y prête d’ailleurs.
Hier, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a publié son bilan qui a fait état de 3 033 disparus en mer Méditerranée depuis le début de l’année. L’OIM a indiqué aussi que près de 164 000 migrants et réfugiés sont arrivés en Europe, durant la même période. Le sommet intervient aussi quelques jours seulement après la diffusion par la chaîne américaine CNN d’un reportage révélant le commerce de migrants africains comme esclaves en Libye.
Cette affaire a suscité de nombreuses réactions à l’échelle internationale. “La situation des migrants surtout en Libye lors de ces derniers mois et années est une source d’immense préoccupation pour nos deux continents. Les révélations d’esclavage et de traite d’êtres humains sont insupportables pour nous, des deux côtés — européen et africain”, a déclaré la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, devant le Parlement européen. “Du côté européen, du côté africain, nous partageons le même objectif : celui de protéger les personnes et de démanteler les réseaux criminels. Finalement, je pense que dans les derniers dix, douze mois, nous avons trouvé la façon de travailler ensemble, avec un partenariat réel, profond qui, je pense, peut arriver à avoir des résultats importants”, a-t-elle estimé.
Mais elle consiste en quoi cette façon de travailler de l’UE et de l’Afrique pour lutter contre la crise des réfugiés et des migrants ? Pour les politiques européens, les choses semblent simples : on donne de l’argent aux Africains pour installer des centres de rétention dans certains pays, comme la Libye, on renforce le dispositif répressif en Méditerranée et on ferme les yeux sur la situation politique et les droits de l’Homme dans les pays pourvoyeurs de migrants et de réfugiés. En résumé, pour mettre fin à l’arrivée massive de ces milliers de jeunes Africains désespérés, l’Europe se transforme en forteresse.
Pourtant, la réponse à cette crise est plutôt d’ordre politique. Mais l’Europe voit l’Afrique plutôt comme un marché porteur et une source intarissable de matières premières qu’un continent dont la jeunesse souffre d’un manque flagrant de liberté et qui réclame, depuis des décennies, un renouvellement politique qui tarde à venir, en raison justement du silence de certains pays membres de l’UE.
La déclaration d’une diplomate européenne, dont l’AFP ne cite pas le nom, se passe d’ailleurs de tout commentaire. “L’Europe est le premier partenaire commercial, le premier investisseur, le premier bailleur de fonds en Afrique”, a déclaré cette source diplomatique à l’AFP. Du côté africain, on se montre peu enthousiaste sur ce présumé partenariat. Le diplomate algérien et commissaire de l’Union africaine à la paix et à la sécurité, Smaïl Chergui, évoque l’existence de “difficultés” à concrétiser cela.
L’Afrique est dans “le besoin de concrétiser ce qui a été décidé auparavant”, ce qui n’est, semble-t-il, pas le cas. “Il n’est pas possible de parler de jeunesse tout en ayant à l’esprit ce qui s’est passé en Libye, notamment les images choquantes diffusées par plusieurs chaînes de télévision”, en référence au reportage diffusé sur CNN. “Ces images exercent une forte pression sur les participants au sommet d’Abidjan, lesquels doivent réagir afin de donner espoir aux jeunes Africains à travers des décisions qui seront surtout appliquées sur le terrain”, a-t-il dit.
Cesser de soutenir les dictatures locales constitue, en définitive, un des premiers pas que certains membres de l’UE devraient franchir, avant de parler développement économique et emploi.

Lyès Menacer