La population en a ras-le-bol du régime Ben Ali

Les émeutes se poursuivent en Tunisie

La population en a ras-le-bol du régime Ben Ali

El Watan, 29 décembre 2010

Aucun peuple ne peut accepter le règne de maquignons et de malfrats. Face à un Etat policier, la population n’a comme alternative que la révolte et l’explosion. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie.»

C’est là l’avis des avocats, écrivains et journalistes tunisiens qui ont, de tout temps, dénoncé la politique prônée par le président Ben Ali. D’aucuns pensent que les prémices d’une révolte étaient visibles dans ce pays assoiffé de liberté d’expression et où la corruption gangrène toutes les institutions étatiques. Nombreux sont les Tunisiens, notamment ceux de Sidi Bouzid, qui vivent un grand malaise social et économique. Si par le passé, les citoyens occupaient, difficilement, la rue pour exprimer leur ras-le bol, en 2010 ils tentent de s’immoler pour attirer l’attention des dirigeants. «Hormis l’immolation par le feu, les Tunisiens n’ont pas d’autre arme pour exprimer leur désarroi. Hier encore, dans une région située à 30 km de Sidi Bouzid, un autre jeune homme de 20 ans s’est immolé par le feu. C’est le désespoir qui pousse les gens au suicide», nous a révélé Radiah Nasraoui, avocate et militante des droits de l’homme.

Faut-il rappeler qu’à l’origine des émeutes qui se sont déclenchées le 17 décembre, la tentative de suicide de Mohammed Bouazizi, un diplômé de 26 ans, vendeur ambulant de fruits et légumes, qui s’est fait confisquer sa marchandise par la police municipale car n’ayant pas d’autorisation pour l’exercice de cette activité. Le jeune homme, ne pouvant contenir sa colère, avait décidé de s’asperger d’essence pour s’immoler par le feu. Cet incident dramatique avait suscité un vif émoi parmi la population, qui est alors sortie dans la rue.
Pour Toufik Ben Brik, journaliste et écrivain, la population s’est révoltée pour la liberté et non pas pour le pain. «Nous vivons dans un immense camp de concentration ; la révolte et l’insurrection demeurent l’unique solution pour s’opposer au régime en place. Ben Ali a muselé les Tunisiens ; il a coupé leur langue. Aujourd’hui, ces opprimés se sont révoltés. Il s’agit d’une révolution et non d’émeutes», dit un avocat, qui souligne que le peuple tunisien veut être «libre». Il revendique la justice sociale, la démocratie, la liberté d’expression… Il ne veut plus d’un régime qui écrase toute voix de contestation.

Mais à ces cris de détresse, le régime tunisien réagit par la répression en sortant toute la panoplie du ministère de la Sécurité, comme il a fait appel à l’armée pour barricader toute les villes où il y a risque d’explosion. «Sidi Bouzid est aujourd’hui ville interdite. Aucun journaliste, ni étranger ne peuvent entrer dans cette région», note notre interlocuteur qui estime qu’il y a, certes, une prise de conscience chez le peuple tunisien, mais il ne peut rien faire contre un régime armé jusqu’aux dents et soutenu dans sa politique par l’Europe et les pays voisins.
Les opposants au régime tunisien font remarquer que Sidi Bouzid est le gouvernorat le plus pauvre de Tunisie, alors qu’il est le fief des grandes tribunes : «Les habitants de Sidi Bouzid sont qualifiés de damnés de la terre. Ils se sont révoltés car ils ne veulent vivre dignement, comme des êtres humains qui se respectent», relève Radiah Nasraoui, qui revient sur les revendications sociales et politiques des manifestants : «Les jeunes demandent le droit au travail, dans certaines régions. Ils revendiquent le départ de Ben Ali et son épouse. Ils exigent le respect des libertés. En somme, c’est là l’échec de la politique du régime.»

M. Cherbib, vice-président du comité de soutien à la population de Sidi Bouzid, note que la révolte de ces habitants est la constance de la fermeture totale, de l’absence de liberté d’expression ; c’est le mal qui ronge les sociétés maghrébines. «Après cinq ou six ans d’études, les diplômés se retrouvent sans aucune perspective d’emploi, au chômage alors qu’on parle dans les sondages d’embellie économique tunisienne. De cette façon, on pousse non seulement les jeunes à la révolte, mais carrément au suicide», observe M. Cherbib.
Nabila Amir


Appel au contact avec la société civile

La situation sécuritaire à la suite des événements de Sidi Bouzid a été hier au menu d’un entretien entre le président Zine
El Abidine Ben Ali et le ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem.

«Le chef de l’Etat s’est intéressé à la situation sécuritaire suite aux évènements survenus à Sidi Bouzid et dans certaines localités de la région», a rapporté l’agence gouvernementale TAP. Il a souligné «son souci d’accorder au volet social tout l’intérêt requis, tout en veillant à faire respecter la loi et à dissuader tout éventuel dépassement de manière à consacrer les attributs de la paix, de la quiétude et la sécurité de tous les citoyens et à préserver les acquis et réalisations de la communauté nationale», selon la même source. Dans un autre entretien avec le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, M. Ben Ali a ordonné l’augmentation des crédits consacrés au Fonds national de l’emploi qui atteindront 225 millions de dinars (116,6 millions d’euros) en 2011, a indiqué la TAP. Cette mesure devrait «renforcer les efforts déployés pour intégrer dans la vie professionnelle les demandeurs d’emploi, notamment les diplômés du supérieur et de la formation professionnelle», a-t-on ajouté. Le président Ben Ali a ordonné aussi le renforcement du «contact avec les compétences et composantes de la société civile dans les différentes régions aux fins d’être à l’écoute de leurs préoccupations et aspirations et de s’inspirer de leurs points de vue et propositions», selon la TAP.


L’informel absorbe le chômage

Le marché informel demeure une «bouffée d’oxygène sociale pour les sans-statut, les commerçants non patentés, les industriels non agréés et les salariés sans ressources fixes», a indiqué Mondher Benarous (université de Limoges, centre d’économie régional du Limousin) dans son article sur l’économie informelle en Tunisie : «Le secteur informel en Tunisie, répression ou organisation ?»

 

Bien qu’il ne soit pas mesuré de manière précise, ce secteur de l’informel dans l’économie tunisienne contribue à 20% du PIB, d’après les estimations de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat ainsi que l’évaluation de certains hommes d’affaires. Selon ces sources, ce secteur emploie au moins 31,4% de la population active non agricole.
De l’avis de cet universitaire, l’informel assure un rôle social et de survie que le secteur structuré est incapable de remplir. La politique de mise à niveau de l’industrie tunisienne n’est pas sans conséquences sur le plan social. Cette politique est lourde de «menaces pour l’emploi et les salaires», a démontré Mondher Benarous.

De nombreux secteurs n’ont pas été préparés à l’ouverture. Le textile, la principale industrie, représentant près de 50% des exportations tunisiennes en 2004, a été fragilisée par ce processus d’ouverture, ce qui a conduit au maintien d’un niveau de chômage élevé. Celui-ci varie, selon les sources, de 13 à 20%. La population active augmente chaque année de 85 000 nouveaux travailleurs pour 65 000 emplois créés. Le chômage a touché surtout les universitaires. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est en augmentation depuis plusieurs années. En revanche, l’économie n’évolue pas au rythme de la formation. Entre 1997 et 2007, le nombre de chômeurs ayant le diplôme universitaire a été multiplié par trois, passant ainsi de 121 000 à 336 000.
L’ouverture du marché tunisien a remis en cause les bases fixées par le régime politique. Les différences entre les régions et les catégories socioprofessionnelles ont tendance à s’accroître. Les difficultés liées à la lente refonte du secteur économique n’ont pas profité à la population dont la majorité est restée à l’écart du développement économique.

Au début des années 2000, les Tunisiens commençaient à changer leur culture de consommation. Les citoyens tunisiens ont adopté un mode de consommation basé sur le crédit.
Le logement représente, ainsi, la principale source de leur endettement. Le remboursement des crédits immobiliers pèserait pour près de 40% sur les revenus des ménages, selon la presse tunisienne.
Selon des chiffres de la Banque centrale de Tunisie, publiés en 2006, le total de la population active endettée atteint 668 000 personnes pour une population d’environ 10 millions d’habitants.
Djedjiga Rahmani