Assassinat de l’opposant Mohamed Brahmi : Les Tunisiens, sous le choc, réclament le départ du gouvernement

Assassinat de l’opposant Mohamed Brahmi : Les Tunisiens, sous le choc, réclament le départ du gouvernement

par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 27 juillet 2013

L’assassinat jeudi en plein jour et devant son domicile, par deux terroristes, de l’opposant tunisien Mohamed Brahmi a de nouveau plongé le pays dans l’expectative et l’inquiétude d’une sournoise menace terroriste, un peu plus de cinq mois après l’»assassinat d’un autre opposant et militant de la gauche tunisienne, Chokri Belaïd. Selon des témoignages, Brahmi a été tué par deux hommes à moto devant chez lui, alors qu’il descendait de sa voiture. Il a reçu quatorze balles, tirées à bout portant, selon le bureau du procureur chargé de l’enquête. «Son corps a été criblé de balles devant son épouse et ses enfants», a déclaré, en pleurs, Mohsen Nabti, membre du bureau politique du Courant populaire, petit parti de gauche dont Brahmi était le fondateur. La famille de Mohamed Brahmi a accusé Ennahda d’être responsable. «Notre famille avait le sentiment que Mohamed allait connaître le même sort que Chokri Belaïd», a lancé Chhiba Brahmi, la sœur du défunt. Hier, la Tunisie était paralysée, la présidence ayant décrété vendredi jour de deuil national. Des milliers de personnes sont sorties jeudi dans les rues de grandes villes du pays pour dénoncer cet acte terroriste. Jeudi en fin de journée, la police a tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants qui ont bloqué l’avenue centrale Habib Bourguiba pour y observer un sit-in nocturne devant le ministère de l’Intérieur». Dans la soirée, les partis d’opposition se sont réunis au siège du Front populaire, qui a appelé à la désobéissance civile, à la chute du gouvernement, à la dissolution de l’Assemblée constituante, à la création d’un gouvernement de salut public et à la grève générale le jour de l’enterrement de M. Brahmi.

COLERE A SIDI BOUZID

Par ailleurs, des manifestations ont éclaté à Sidi Bouzid, ville natale de Brahmi, où des centaines de personnes ont laissé éclater leur colère, avant de mettre le feu au siège local du parti Ennahda. Ils ont également mis le feu à des bâtiments publics. Dans la même région, à Menzel Bouzaïane, les manifestants ont saccagé les locaux d’Ennahda en criant «A bas les obscurantistes, Ennahda et salafistes», en référence aux groupes islamistes radicaux. Des manifestants de Sidi Bouzid, Sfax et d’autres villes devaient rallier Tunis pour répondre à un appel lancé pour réclamer le départ d’Ennahda du pouvoir. A Tunis, une imposante marche populaire se dirigeait hier du siège de l’UGTT vers l’avenue Bourguiba pour demander le départ du gouvernement. La révolte semble gagner tous les courants politiques de l’opposition tunisienne, avec l’annonce de la création d’un front de salut national pour sauver la Tunisie. Pour le président tunisien Moncef Marzouki, il n’y a pas de doute: les commanditaires et les assassins de Mohamed Brahmi, également député, sont les mêmes qui ont tué Chokri Belaïd, pour déstabiliser le pays et l’»empêcher de mettre en place les institutions de la nouvelle république». Dans un entretien au quotidien français «Le Monde», il a déclaré que «les assassins commencent à paniquer. Ils voulaient faire diversion avec une autre affaire». Pour le président tunisien, «la date du 25 juillet n’a pas été choisie par hasard. C’est l’anniversaire de la République tunisienne, mais ce n’est pas tout».

CREATION D’UN FRONT DE SALUT NATIONAL

La Tunisie, selon Marzouki, est dans «la dernière ligne droite de l’élaboration de la nouvelle Constitution. La date des élections législatives et présidentielle sera bientôt annoncée. On vit le dernier quart d’heure de la période intérimaire». Dès lors, pour lui, l’assassinat de Brahmi «n’est donc pas un hasard, je vous le répète, si cet assassinat a eu lieu aujourd’hui. Il est important pour certaines personnes de montrer que le Printemps arabe est en panne partout, alors que justement en Tunisie, le consensus national est extrêmement fort et que règne la paix civile. C’est tout cela qu’on veut détruire». Marzouki devait s’adresser hier soir aux Tunisiens. L’UGTT, principale centrale syndicale tunisienne, a décrété une grève générale vendredi dans tout le pays pour également dénoncer «le terrorisme, la violence et les meurtres». Dénonçant un «crime odieux», la centrale syndicale a annoncé également «l’organisation de funérailles nationales pour le martyr».

LE PRESUME ASSASSIN IDENTIFIE

L’un des assassins de Mohamed Brahmi aurait été identifié, et serait également le tueur de Chorki Belaïd. Dans une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou a indiqué que Mohamed Brahmi avait été tué avec la même arme que celle utilisée pour l’assassinat, le 6 février, de l’opposant Chokri Belaïd. Le ministre de l’Intérieur tunisien a accusé M. Boubaker Hakim, un salafiste, d’implication dans cet assassinat. Cet homme est déjà recherché pour contrebande d’armes venant de la Libye, et était le principal suspect dans l’assassinat, ces cinq derniers mois, de deux opposants de premier plan. «Les premiers éléments de l’enquête ont montré l’implication de Boubaker Hakim, un élément salafiste extrémiste», ajoute le ministre tunisien, qui a révélé que «l’arme utilisée pour abattre Mohamed Brahmi est la même qui a servi à tuer Chokri Belaïd». Plus globalement, les soupçons se concentrent sur le groupe salafiste Ansar El Charia.