Libye – « Tuer Kadhafi », un raccourci tentant pour l’Otan

Libye – « Tuer Kadhafi », un raccourci tentant pour l’Otan

Salim Rabia, Maghreb Emergent, 01 Mai 2011

Le plus jeune des fils de Mouammar Kadhafi, Saif al-Arab, son épouse et trois de ses enfants ont été tués samedi dans un raid de l’Otan. En dépit des affirmations de l’alliance militaire occidentale selon laquelle elle ne cible pas les « individus », tout indique que le guide libyen est considéré comme une cible « militaire » de choix. Sa liquidation est souhaitée en public sur des chaines de télévision par des hommes politiques occidentaux.

Le raid est intervenu au lendemain d’un discours de Mouammar Kadhafi affirmant qu’il ne quitterait jamais la Libye – et donc le pouvoir – et demandant l’ouverture de négociations pour une sortie de crise. Appel rejeté simultanément par le Conseil national de transition (CNT) installé à Benghazi et par l’Otan qui mène les opérations contre les forces loyalistes. L’OTAN « doit abandonner tout espoir d’un départ de Mouammar Kadhafi. Je n’ai pas de fonction officielle pour y renoncer. Je ne quitterai pas mon pays et je m’y battrai jusqu’à la mort », avait déclaré M. Kadhafi dans l’allocution marquant le centenaire d’une bataille contre les forces d’occupation italiennes en Libye. Le message de Kadhafi était sans équivoque. L’idée d’un départ organisé du dirigeant libyen vers un pays non signataire du traité de Rome était, selon le New York Times, dans les tablettes de l’administration de Barack Obama. Un tel départ avait l’avantage d’accélérer l’issue du conflit, les fils de Kadhafi, dont certains cordialement détestés dans les arcanes du régime, ne pouvant escompter obtenir la même fidélité des acteurs politiques et notamment des chefs de tribus qui ont permis à Kadhafi de tenir. Un départ de Kadhafi serait clairement la fin de son régime. Le fait qu’il soit toujours vivant a permis de minimiser les défections enregistrées au début de la rébellion dans les cercles des diplomates et des militaires. Le discours de la soirée du vendredi à samedi de Kadhafi fermait totalement l’option d’un départ négocié, la seule chose envisagée par les occidentaux.

« Couper la tête du serpent »

La rébellion libyenne ayant montré qu’elle n’est pas capable, dans l’immédiat au moins, d’aller plus loin que l’actuelle ligne de front qui coupe la Libye entre l’Est rebelle et l’Ouest sous emprise de Kadhafi, la possibilité d’éviter une intervention terrestre qui serait manifestement une violation claire de la résolution 1973 du Conseil de sécurité devenait mince. Si les raids aériens affaiblissent les capacités militaires du régime libyen, ils ne sont pas décisifs. Les forces loyales à Kadhafi se sont plus ou moins adaptées en menant, avec une meilleure efficacité, la même guerre des pick-up que celle de la rébellion. L’intervention militaire directe étant politiquement délicate à gérer, l’option de la liquidation de Mouammar Kadhafi tend à devenir la « meilleure option » des occidentaux. La mort du « guide » libyen entrainera, selon toute probabilité, un mouvement de décomposition rapide du régime. Le raid sur Bab Al Aziiziya qui a entrainé la mort du fils du dirigeant libyen est une « opération visant à assassiner directement le dirigeant de ce pays », déclaré Moussa Ibrahim, porte-parole du gouvernement libyen. « C’est désormais la loi de la jungle », a-t-il ajouté. « Il est clair pour tout le monde aujourd’hui que ce qui se passe en Libye n’a rien à voir avec la protection des civils. ». L’assertion de vouloir tuer Kadhafi n’est pas que de la propagande. L’assassinat de Kadhafi est une option qui n’est plus discutée en cercle fermé. Il y a quelques jours sur CNN, le sénateur républicain américain déclarait : « En ce moment précis, il n’y a vraiment pas une dynamique suffisante chez les rebelles… Donc ma recommandation à l’OTAN et au gouvernement c’est de couper la tête du serpent. Il faut aller à Tripoli, se mettre à bombarder le cercle proche de Kadhafi, leurs résidences- casernes, leurs QG militaires ». Un autre sénateur, Joseph Lieberman a estimé, lui aussi que l’Otan « doit se mettre à réfléchir et se demander s’ils veulent plus directement cibler Kadhafi et sa famille. » en ajoutant que la résolution de l’ONU justifiait une telle option car « cela protègerait la population civile. ». C’est très précisément ce qui se passe.

Une liquidation qui résoudrait bien des problèmes

Le général Charles Bouchard, commandant en chef de l’opération de l’Otan affirme que «toutes les cibles de l’OTAN sont de nature militaire et ont été clairement liées aux attaques systématiques du régime Kadhafi sur la population libyenne et les zones peuplées. Nous ne visons pas les individus ». Mais l’Otan considère-t-elle que Kadhafi n’est qu’un «individu » quand manifestement il est celui qui maintient vaille que vaille la cohérence politico-militaire du régime libyen ? Les régimes occidentaux ont décidé d’aller, au-delà de la résolution 1973, en exigeant le départ Kadhafi et en décrétant qu’il ne fait pas partir de l’avenir de la Libye. Cela signifie que son départ, y compris par la liquidation physique, est devenu l’objectif politico-militaire par excellence de l’Otan. En vie, le colonel Kadhafi préserve cohésion militaro-tribale à l’ouest qui fait durer le conflit et peut entrainer l’Otan dans une intervention terrestre qui a peu de chance d’être appréciée par les opinions arabes dont le soutien aux insurgés s’est quelque peu refroidi avec l’intrusion des occidentaux. Tuer Kadhafi est donc un raccourci militaire qui résoudrait bien des problèmes.