Dérives de la démocratie et confort des régimes autoritaires

Dérives de la démocratie et confort des régimes autoritaires

par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 10 mai 2007

La cote de popularité du président américain George Bush est au plus bas. Seuls 28 pour cent des Américains gardent une image du chef de la Maison-Blanche, un chiffre que les Etats-Unis n’avaient pas connu depuis un quart de siècle.

En Grande-Bretagne, Tony Blair a subi une défaite historique, que n’explique pas la seule usure du pouvoir. En Ecosse, un parti indépendantiste a devancé le Parti de Tony Blair, une grande première dans le pays. George Bush et Tony Blair ont été aussi accusés d’avoir sciemment menti à leurs concitoyens pour justifier la guerre contre l’Irak.

Les plus récentes révélations, notamment celles de l’ancien directeur de la CIA Trenet, ont confirmé cet état de fait, confirmant que les deux dirigeants ont, au moins, fortement manipulé leurs opinions publiques, en déformant sciemment les informations en leur possession. Cela ne les a pas empêchés d’être réélus, leur donnant une sorte de chèque à blanc pour détruire l’Irak.

En Israël, Ehud Olmert a réussi un exploit rarement égalé. Un récent sondage a révélé que seuls deux pour cent des Israéliens seraient disposés à voter pour lui ! Pourtant, l’homme s’est engagé il y a un peu moins d’un an dans l’aventure libanaise, qui l’a détruit. Au Mexique, le candidat de la gauche aux présidentielles de 2006, Obrador, a été battu par 200.000 voix d’écart, ce qui posait légitimement la question de l’honnêteté des élections dans un pays où la transparence n’est pas la règle.

Ce qui n’a pas empêché son concurrent, proclamé président, d’envoyer la troupe dans la province d’Oxaca, où la répression a fait de nombreux de morts.

Au Liban, le système démocratique, en vigueur depuis des décennies, n’a pas réussi à éviter au pays la guerre civile, ni à éliminer le système confessionnel. Plus grave encore, il a permis au système communautaire de s’installer définitivement dans le pays, d’ériger des barrières politiques et psychologiques insurmontables, et de ramener le débat politique dans ce pays à des conceptions primaires alors que Beyrouth avait été le principal pôle de la pensée arabe pendant la première moitié du siècle passé.

En France, un fils de légionnaire, que la presse de son pays qualifie de coléreux, mégalomane, et arrogant, à la limite du racisme et de la xénophobie, utilisant un discours d’extrême droite sur de nombreux thèmes, mettant en valeur des thèmes franchement réactionnaires, est arrivé au pouvoir à la faveur d’élections libres.

Il a réussi à se faire élire en ayant recours aux mêmes méthodes que George Bush, et aux mêmes recettes qui ont longtemps fait le bonheur de l’extrême droite française : brandir la peur d’une main, et les illusions de l’autre.

Et puis, en cette semaine de commémoration du douloureux anniversaire du 8 Mai 1945, on ne peut passer sous silence cet autre constat : la répression coloniale qui s’est exercée sur de très nombreux pays, et notamment en Algérie, était le fait de systèmes réputés démocratiques, pratiquant un véritable multipartisme.

La colonisation, qui est une négation de l’humanité de l’autre, a été même l’oeuvre du pays des Lumières et de la Liberté. Ces dérives, parfois criminelles, de systèmes réputés ouverts, respectant la liberté de pensée et d’expression, ainsi que les Droits de l’Homme, pourraient suffire pour élaborer un réquisitoire contre la démocratie, telle que pratiquée par les pays occidentaux. Nombre de dirigeants arabes, et de penseurs à leurs services, ne s’en sont d’ailleurs pas privés. Un haut responsable du FLN déclarait récemment qu’il n’était pas convaincu des vertus de la démocratie, et affirmait qu’à son avis, rien ne prouvait qu’un système démocratique pourrait sortir l’Algérie de la crise.

Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue, s’est de son côté inspiré de ces faits pour s’en prendre durement à l’ancien ministre britannique Jacques Straw. Celui-ci avait déclaré, lors de la conférence sur la démocratie, organisée fin avril à Doha, que jamais deux pays démocratiques ne s’étaient fait la guerre. Ce qui est vrai. Mais Amr Moussa lui a répliqué vertement : si ces régimes démocratiques étaient si justes, pourquoi agressent-ils alors d’autres pays ? Pour une fois qu’un dirigeant arabe lançait une belle réflexion, cela méritait d’être signalé…

Commentant les élections présidentielles de mars dernier en Mauritanie, le dirigeant libyen Maammar Kadhafi est allé encore plus loin. Organiser des élections pour choisir les dirigeants relève d’une méthode de gestion étrangère à nos valeurs et à nos moeurs, a-t-il dit. En cela, il ne diffère guère du discours arabe traditionnel de refus de la liberté. Nationalistes, Nassériens et Islamistes ont souvent recours à cet argumentaire. Que la démocratie soit un produit d’importation inadapté, ou qu’elle soit kofr, le résultat est le même.

Pour couronner le tout, c’est George Bush lui-même qui menace les pays arabes de les démocratiser, avec son projet de Grand Moyen-Orient ! Quelle menace ! Et maintenant que George Bush est traîné vers les sous-sols de l’histoire, c’est Nicolas Sarkozy qui prend le relais, avec son projet d’union méditerranéenne !

Ceci ne doit cependant pas faire illusion. D’un côté, les pays arabes continuent à insister sur les défaillances des systèmes démocratiques, comme ces guérisseurs traditionnels qui s’en prennent à la médecine parce qu’elle n’a pas réussi à soigner certaines maladies. D’un autre côté, les pays les plus prospères et les plus puissants sont tous des pays démocratiques. Dans le monde arabe, il y a quelques îlots de prospérité, mais pas de puissance.

Ils refusent la démocratie, qui a assuré la puissance des autres, sous prétexte qu’elle leur aurait causé des torts. Ils ne se rendent pas compte que le système démocratique porte une vertu essentielle : il est le seul à offrir les mécanismes nécessaires pour corriger ses propres dérives.