Ancrage

ANCRAGE

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 10 mars 2011

Le Rassemblement constitutionnel dé-mocratique (RCD) de Ben Ali a été dissous par voie de justice. C’est plus qu’un symbole. C’est le signe que les Tunisiens, qui ont fait une révolution dont les répliques continuent de secouer le monde arabe, ont de la suite dans les idées.

Ils ont fait dégager Ben Ali et sa clique mais ils savaient que son système pouvait lui survivre. Ils n’ont pas voulu que les hommes du RCD, même s’ils ont officiellement démissionné, soient en charge de la transition. Ils ont continué à exercer une pression forte aboutissant graduellement à démettre les ministres RCD et à contraindre, par la suite, le chef du gouvernement Mohamed Ghannouchi à se démettre. Les Tunisiens avaient déjà enterré politiquement et moralement le parti de Ben Ali, la justice vient de donner l’onction légale à ce rejet radical d’un parti de flics et de haggarine.

La révolution tunisienne commence à porter la marque des forces sociales populaires qui l’ont faite et qui a trouvé une jonction avec les classes aisées du pays. Ces dernières, au nom du besoin d’ordre, semblaient prêtes à s’accommoder avec un aggiornamento du régime et de la transition, «légaliste», qu’il a concoctée.

Le régime ou ses restes a réagi brutalement à l’arrivée, il y a quelques semaines, de la Tunisie profonde près de la Kasbah où siège le gouvernement. C’était bien plus qu’un symbole. C’était bien le face-à-face entre les classes populaires – qui ont le plus souffert des 23 ans de Ben Ali – et un régime qui tente d’opérer une mue et, surtout, de circonscrire la révolution.

La question sociale, catalyseur de la révolution, a continué à marquer politiquement la transition tunisienne. Preuve aussi qu’il est vain de séparer une question sociale des aspects politiques. A plus forte raison dans un pays en transition où une société, bâillonnée pendant des décennies, cherche à se donner les moyens politiques et juridiques d’une émancipation sans retour d’un régime qui cherche à sauver ce qu’il peut.

C’est cet aiguillon social qui pousse les Tunisiens à être dans un radicalisme politique déterminé – qu’il ne faut pas confondre avec l’extrémisme – dans l’impératif de démanteler le régime honni. Certaines forces politiques, expression des classes moyennes, voire de la bourgeoise, n’auraient pas adopté ces positions politiques sans concession en la matière sans cette pression constante de la Tunisie des Bouazizi.

Expulsée une première fois de Tunis, sous le silence un peu gêné mais non indigné des Tunisois, cette Tunisie-là n’a pas désarmé. Sa révolution ne s’arrêtera pas à mi-chemin et ne sera pas confisquée par l’establishment. L’actualité terrible de la Libye a quelque peu détourné l’attention des grands combats politiques de la transition qui se mènent avec une abnégation et un sérieux remarquables en Tunisie et en Egypte.

Ce combat est d’une importance primordiale. Certains affirment que la révolution tunisienne est un Octobre 88 algérien qui aurait réussi. La comparaison offusquera peut-être. Mais il est certain que les progrès et l’ancrage de la démocratie en Tunisie – qui va vers une Constituante – et en Egypte sont d’une grande importance pour l’ensemble des sociétés arabes.

La liquidation judiciaire du RCD n’est donc pas un simple symbole. Elle est aussi le symbolique d’un radicalisme politique non violent qui n’entend accorder aucun répit à un régime dictatorial calamiteux pour le pays.