Ce qui a sapé la confiance du citoyen

La campagne électorale a été marquée par la désaffection de la population

Ce qui a sapé la confiance du citoyen

Liberté, 3 mai 2017

Panama Papers, retour de Khelil et Ould Kadour, scandale du RHB, réapparition de l’argent sale…
Autant de mauvais signaux à l’adresse du citoyen, mais qu’on supplie presque d’aller voter.

Tomber de rideau sur la campagne électorale et doigts croisés pour les postulants à la députation dans un scrutin où la population, ciblée par l’opération de charme, a, durant tout cet intermède, quasiment boudé les actions entreprises en sa direction. En plus des partis politiques en lice et des candidats indépendants, engagés dans cette opération de sensibilisation pour tenter d’amener le citoyen à accomplir ce jeudi son devoir électoral, les autorités n’ont pas été en reste.
D’importants moyens ont été mis en branle et tout le gouvernement s’est mobilisé comme un seul homme pour raisonner l’Algérien devenu, au fil des ans, réfractaire à l’acte de voter, car échaudé par les expériences malheureuses du passé. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a même repris, à l’occasion, son bâton de pèlerin pour un périple qui l’a mené dans plusieurs wilayas du pays dans le but de contribuer à dynamiser une campagne électorale d’une morosité sans égale depuis très longtemps.
Mais, visiblement, la tâche paraissait, de prime abord, ardue et le retour attendu de cette action de sensibilisation ne pouvait être garanti. Et pour cause. Pour restaurer la confiance entre l’État et le citoyen, il en faudrait, en effet, beaucoup plus que des promesses électorales et des discours creux. Et c’est sans aucun doute dans ce domaine que les autorités et la classe politique dans son ensemble ont failli. Cela a, ainsi, généré une profonde aversion à l’égard de la chose politique chez l’Algérien. Pour trouver les raisons de cette bouderie citoyenne, il ne faut, donc, pas chercher loin. L’immense et profonde déception ressentie par la population suite à l’incommensurable échec des autorités à mettre en place, au bout de quatre mandats présidentiels, et le déboursement de près de mille milliards de dollars, une assise solide à l’économie nationale, en sont pour quelque chose.
Dépenser autant d’argent pour habituer le citoyen à vivre des années au-dessus de ses moyens et, du jour au lendemain, lui demander de serrer brutalement la ceinture parce que l’État n’a plus de finances pour continuer à fonctionner à ce rythme a provoqué une fracture dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Mais il n’y a pas que ça. Au lieu de messages d’assurance et d’apaisement qui pourraient contribuer à détendre ces rapports, le pouvoir en place s’est plutôt épanché à délivrer les mauvais signaux.
Le règne de l’impunité, cette tare que traîne le système politique algérien et qui, selon toute vraisemblance, a de beaux jours devant elle, perdure. Sinon, comment expliquer tous ces scandales qui se sont accumulés, ces dernières années notamment, sans susciter la moindre réaction des autorités ? Il y a eu, entre autres, ces affaires de Panama Papers et des luxueuses résidences à l’étranger de hauts responsables de l’État sans que le citoyen sache d’où proviennent les sommes ayant servi à les acquérir ou à alimenter les comptes dans les paradis fiscaux.
Ni limogeage ni démission et les institutions sont restées figées devant de tels manquements comme si la couverture assurée aux concernés pouvait leur garantir une immunité totale par rapport à des actes profondément condamnables. Le retour par la grande porte de Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’Énergie, et, par la suite, d’un de ses protégés, à savoir Abdelmoumen Ould Kadour, ancien P-DG de la ténébreuse société algéro-américaine BRC, et rappelé à la tête de Sonatrach, tous deux traînant pourtant des casseroles, n’étaient évidemment pas de nature à restaurer l’image terni de l’État auprès du citoyen lambda.
Loin de là. L’impunité s’étant muée en constante, le scandale du RHB, ce prétendu médicament censé guérir le diabète, venu s’ajouter à la situation de délabrement général dans lequel se trouvent nos infrastructures de santé et la pénurie de médicaments, notamment les anticancéreux, est resté, lui aussi, sans suite. Autant de mauvais signaux à l’adresse du citoyen qu’on supplie presque aujourd’hui d’aller accomplir son devoir électoral, à croire que son opinion sur la gestion des affaires publiques ne compte pas pour autant. Comme si toute cette ambiance exécrable ne suffisait pas, plusieurs évènements ayant eu lieu avant ou durant la campagne électorale ont contribué à saper le moral de la population au moment où les espaces d’expression publique sont fermés à tout débat contradictoire.
L’argent sale, qui a fait une fracassante réapparition à l’occasion de la confection des listes électorales, n’a fait que renforcer chez le simple citoyen le sentiment que le jeu politique et, par-delà les institutions, sont, plus que jamais, otages de forces occultes qui s’en servent à des fins autres que la construction d’un État réellement démocratique. Les syndicalistes, qui voulaient juste faire entendre leur voix à Oran à l’occasion de la Journée internationale du travail, le 1er Mai, l’ont d’ailleurs vérifié à leurs dépens, eux qui ont été bloqués par un cordon de policiers à l’intérieur des bureaux de leur organisation, comme s’il s’agissait de criminels qu’il fallait, coûte que coûte, neutraliser. Comment ose-t-on donc demander à ces citoyens qu’on empêche de s’exprimer d’aller voter ? N’est-ce pas cet arbitraire qui se renforce de jour en jour qui contraint la population à prendre ses distances vis-à-vis de la politique ?

Hamid Saïdani