Les archs à la croisée des chemins

Alors qu’une reprise du dialogue est annoncée

Les archs à la croisée des chemins

Par : Samia Lokmane, Liberté, 22 janvier 2007

La relance du dialogue archs-gouvernement permettra, à la faveur des échéances électorales à venir, de remettre sur pied un mouvement en perte de vitesse ces derniers temps. Le mouvement des archs en questions.

Le dialogue entre le gouvernement et les archs, en panne depuis quelques mois, sera-t-il relancé ? Tout porte à le croire si l’on se fie aux récentes déclarations de Belaïd Abrika et Bezza Benmansour, deux figures du mouvement. Il faut néanmoins attendre la confirmation officielle de la part du Chef du gouvernement qui, pour mémoire, s’est engagé, au lendemain de son arrivée à la tête de l’exécutif, à respecter les engagements de l’État pris par son prédécesseur, dont il faut reconnaître l’apport dans le dénouement de la crise en Kabylie. Toujours est-il que cette relance du dialogue, surtout pour la mise en œuvre de tous les restes à réaliser de la plate-forme d’El-Kseur, ne manquerait pas d’avoir un impact positif sur la population en proie au scepticisme. Et en prévision des prochaines échéances électorales, le retour à la table du dialogue entre le gouvernement et les archs constituera une opportunité pour ces derniers de reprendre pied, en tant qu’acteurs, sur la scène politique locale.
« Depuis une année, nous n’avons pas enregistré d’avancées de grande importance après l’enthousiasme affiché, durant l’année 2005, qui a suivi la signature de l’accord global État-archs. Nous avons relevé des lacunes et déclaré publiquement notre inquiétude quant au retard et au rythme très faible dans l’exécution des questions tranchées durant le processus du dialogue. » La déclaration a été faite par Belaïd Abrika, porte-parole de la délégation en charge du dialogue avec l’ex-Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, sur la mise en œuvre des revendications contenues dans la plate-forme d’El-Kseur. À travers un tel constat, Belaïd Abrika reconnaît de manière, on ne peut plus claire, l’échec d’un dialogue qui a suscité, en Kabylie, les espoirs les plus fous à ses débuts mais qui, après avoir traîné en longueur, s’est achevé en queue de poisson, laissant une population profondément déçue et un mouvement dans une impasse sinon fragilisé davantage dans sa position. À vrai dire, cette fragilisation avait déjà débuté en 2003, lorsque les représentants de l’État avaient lancé, en direction des délégués des archs, une invitation au dialogue qui a été suivie par l’éclatement du mouvement citoyen, jusque-là uni, en deux tendances, « dialoguiste » et « anti-dialoguiste », qui s’entre-déchiraient et se disputaient le terrain, tout en se discréditant aux yeux d’une population qui assistait impuissante à l’effritement d’un mouvement dans lequel elle s’était engagée corps et âme à sa naissance. La confrontation avec le FFS, puis avec le RCD, lors des élections présidentielles d’avril 2004, puis le retour des partis politiques sur le terrain et dans les assemblées locales à l’occasion des élections partielles de novembre 2005 sont, entre autres, des évènements qui n’ont pas été de nature à conforter le mouvement des archs dans sa position d' »unique force présente sur le terrain ». En dépit de ces déboires accumulées, une bonne partie de la population locale continuait à croire au mouvement citoyen à travers le dialogue au cours duquel de nombreux acquis ont été arrachés. Mais, une année plus tard, après avoir attendu vainement une mise en application de ces « acquis » annoncés, la population finira par ne plus y croire. Les délégués aussi. « Depuis la nomination de Belkhadem, le processus de mise en œuvre de la plate-forme d’El Kseur semble piétiner, pour ne pas dire carrément qu’il est à l’arrêt. Aujourd’hui, force est de reconnaître que le constat est négatif concernant beaucoup de questions, notamment le jugement des assassins et la concrétisation du plan d’urgence socioéconomique », dira à ce sujet le délégué et membre de la délégation en charge des négociations, Mohand Amara, qualifiant l’attitude des représentants de l’État de « volte-face » qui sous-tend, selon lui, « une absence de volonté politique pour résoudre, non pas la crise de Kabylie, mais la crise potentielle qui couve dans tout le pays ». Interrogé également sur le même sujet, le délégué de Béjaïa, Bezza Benmansour, expliquera que « la seule et dernière rencontre avec l’actuel Chef du gouvernement remonte au 22 juillet. Lors de cette réunion, le chef de l’Exécutif s’est engagé, au nom de l’État, à honorer les engagements pris par son prédécesseur et à finaliser avec la délégation du mouvement le document de mise en œuvre de la plate-forme d’El-Kseur. Mais, depuis, c’est la troisième fois que M. Belkhadem s’exprime sur le dossier des engagements et, à chaque fois, il ne fait que réitérer les engagements sans aucune suite au niveau de l’application ».
Avec un bilan aussi « négatif » du dialogue, la démobilisation, déjà apparente au sein de la population depuis plus de deux années, a fini par affecter la structure du mouvement citoyen. Ses activités se font de plus en plus rares et ses réunions, qui attirent de moins en moins de délégués, prennent des allures de simples rencontres sans grande importance. Pour Belaïd Abrika, « la frustration est légitime mais les délégués considèrent le dialogue comme un moyen et non pas comme une fin ». « Nous nous battons pour l’idéal démocratique, la promotion de la citoyenneté, des droits et des libertés, cela nécessite un engagement, des sacrifices et une résistance implacable ; le combat est long et semé d’épines », dira-t-il encore. Pour Abrika et ses camarades, bien que peu nombreux à s’inspirer de cette philosophie, il est hors de question de déserter le terrain, même avec une aussi inconfortable position.

Quel rôle désormais pour les archs ?

« La situation actuelle présente tous les ingrédients ayant prévalu avant la violente explosion d’avril 2001. Outre la précarité sociale qui touche de larges pans de la société, les passe-droits, la hogra et la corruption sur fond d’une bureaucratie de plus en plus insupportable sont autant d’indices qui laissent entendre que les conditions objectives d’une explosion sont encore potentiellement présentes », expliquent les animateurs du mouvement citoyen, à leur tête Belaïd Abrika. Ce dernier estime qu’une telle situation appelle « à prendre des mesures d’urgence si l’on veut éviter une nouvelle catastrophe et ce, évidemment en mettant en application les engagements pris dans le cadre du processus du dialogue ». Et tant que cette mise en application tarde à venir, les délégués des archs estiment que le mouvement citoyen doit continuer encore à s’impliquer et à lutter sur plusieurs fronts. « Notre mouvement, qui incarne l’ambition citoyenne, demeurera à l’avant-garde du combat pour la défense et la promotion des valeurs de liberté, de justice sociale et de démocratie en impulsant et catalysant la dynamique d’une citoyenneté agissante », dira, optimiste, le délégué de Béjaïa, Bezza Benmansour.

Avec quels moyens poursuivre la lutte ?

Dans leur quête d’un nouveau souffle, les délégués du mouvement citoyen ont engagé, depuis plus d’une année déjà, une réflexion profonde sur le fonctionnement, l’organisation et les perspectives du mouvement citoyen. Dans un document soumis à l’approbation de l’interwilayas, il est question de doter le mouvement de nouvelles structures permanentes, telles que le conseil régional, le conseil de wilaya et le conseil de l’interwilayas qui peut se réunir et prendre des décisions à la place des conclaves qui ont de plus en plus de mal à être organisés. La réflexion a touché également la stratégie de lutte, les voies et moyens ainsi que les perspectives qui devaient être adaptées à la conjoncture politique.
Parallèlement, les animateurs du mouvement tentent également de se mobiliser, mais sans grand succès, autour de certaines questions considérées sensibles, telles que la situation sécuritaire et le retour de la gendarmerie sur le terrain, le dossier de la corruption et encore celui des fléaux sociaux. Récemment encore, dans une ultime tentative de remobilisation, une commission a été installée pour prendre contact avec les anciens délégués qui ont quitté le mouvement citoyen et organiser un conclave dit rassembleur.
Mais, du côté de ces anciens délégués, l’on se veut trop hésitant. L’un d’entre eux, Arezki Hamoudi, dira : « Prétendre aujourd’hui à la remobilisation de la Kabylie relève de la pure illusion. » « De tout l’espoir véhiculé par le projet de société qu’est la plate-forme d’El- Kseur, de la forte mobilisation populaire d’un certain 14 juin 2001, ne reste, malheureusement, que des germes de haine et de division entre les frères d’hier qui se tenaient par l’épaule face aux coups de la répression », ajoutera-t-il encore.

Pourquoi la quête d’un nouveau souffle ?

À vrai dire, les élections législatives, qui devront avoir lieu au courant de l’année 2007, ne sont pas du tout perdues de vue par les délégués des archs. Elles représentent un enjeu de taille, voire le plus important pour eux. « Dans le document de réflexion sur l’organisation et les perspectives récemment adoptées par les structures du mouvement, il est préconisé que ce dernier pèse lourdement sur les prochaines élections », nous dit Farès Oudjedi, délégué de la Coordination intercommunale de Béjaïa. La résolution est amplement partagée par les coordinations de Tizi Ouzou et de Bouira. Elle a été adoptée en réunion, et aujourd’hui encore Belaïd Abrika l’a réaffirmé. « Le mouvement pèsera de tout son poids lors des prochaines échéances électorales, en mobilisant ses forces, ses cadres, ses sympathisants, afin de prendre la mesure de la situation et d’arrêter la position adéquate à même de faire aboutir nos revendications », explique-t-il. Il est à souligner que si cette décision de « peser lourdement sur les élections » fait l’unanimité au sein des archs, la question de comment participer semble, elle, rencontrer des divergences profondes qui commencent déjà à apparaître.

Les archs participeront-ils aux élections législatives de 2007 ?

« Au niveau de la coordination de Tizi Ouzou, la réflexion est déjà lancée, en concertation avec la base citoyenne, pour définir la position qui s’impose. C’est une responsabilité lourde qui doit impliquer le maximum de personnalités politiques et d’acteurs de la société civile », répond Belaïd Abrika à la question de la participation ou non des archs aux prochaines élections législatives. « Nous allons agir dans le cadre des principes fondateurs du mouvement citoyen en ratissant large et en préservant le consensus, indispensable pour la cohésion de nos rangs » , insiste-t-il toutefois. Se voulant plus clair, Mohand Amara, dit : « La participation aux élections ne peut pas être l’apanage d’une catégorie de personnes. Et puis, le rejet des élections n’a pas été adopté par le mouvement comme une ceinture de chasteté mais comme une arme stratégique afin de faire pression sur le pouvoir. La position du mouvement doit alors être dictée par l’impératif d’exercer des pressions sur le pouvoir pour aboutir à la concrétisation des revendications contenues dans la plateforme d’El-Kseur. » Pour lui, cet avis, qui signifie qu’une participation aux élections peut être envisagée, est personnel et n’engage en rien le mouvement citoyen puisque, selon lui, « à présent, les textes du mouvement citoyen, notamment ceux du code d’honneur et des principes directeurs, n’ont pas été modifiés pour permettre cette éventualité ». Au niveau de la coordination de Béjaïa, la démarche semble plus claire. La réflexion sur leur participation a déjà mûri. Sur ce sujet, Bezza Benmansour dit, à propos des principes directeurs et du code d’honneur qui interdisent toute participation aux échéances électorales, que « la vie politique étant dynamique, il faut savoir garder le cap quant à l’objectif à atteindre et adapter sa stratégie en fonction des développements de la scène politique ». Pour lui, « une réglementation statique et figée qui ne tient pas compte des évolutions politiques naturelles sert les conservatismes et les réactionnaires ». Dans cette même logique, Farès Oudjedi rappelle que « depuis le conclave d’Aït Ourtilane en septembre 2005, le mouvement est dans une position de libre choix concernant les élections et, par conséquent, le rejet de toute échéance électorale est levé ». Plus explicite, le même délégué ajoute : « Cette décision est prise au motif que le mouvement citoyen poursuivait encore le dialogue direct avec les pouvoirs publics. Plus encore, l’accord global du 15 janvier 2005 annule de fait la disposition de rejet de toute échéance électorale, dès lors que ledit accord garantit la satisfaction de la plate-forme d’El-Kseur. » Pour la coordination de Béjaïa, même le comment de la participation semble être déjà bien réfléchi. Sur ce point, Farès Oudjedi indique que le mouvement citoyen pourra y participer, soit directement, soit indirectement. « D’une manière directe, en établissant des listes communes de délégués et d’acteurs de la société civile en vue d’aller à la conquête des assemblées élues, ou d’une manière indirecte, dans la perspective d’un vaste rassemblement des forces démocratiques contre les islamo-conservateurs. Il s’agira là de listes combinées avec d’autres structures, à l’image des partis politiques démocratiques et des associations s’inscrivant dans le même combat », explique-t-il à ce sujet.

Quelle force pour s’imposer et avec qui composer ?

Si l’option de la participation des archs aux prochaines élections législatives se dessine et se confirme de plus en plus, les acteurs politiques et ceux de la société civile avec lesquels le mouvement composera, notamment s’ils venaient à opter pour la participation indirecte, sont encore à identifier, à contacter et surtout à convaincre. La tâche ne sera sans doute pas facile sachant que les archs, qui ont fait du FFS et du RCD leurs ennemis numéro un dans la région, n’iront probablement pas, suivant leur logique, jusqu’à composer, du moins officiellement, avec les partis au pouvoir, notamment le FLN, dont le chef de fil, Abdelaziz Belkhadem, est considéré comme responsable de l’échec du dialogue. Sur ce point précis d’ailleurs, certains délégués rappellent qu’il y a au moins un article qui dit de « ne mener aucune activité et action qui visent à nouer des liens directs ou indirects avec le pouvoir et ses relais ». Un article qui paraît, cependant, dépassé aux yeux de certains autres délégués. En attendant les résolutions de la réunion interwilayas, prévue pour le 25 janvier prochain à Béjaïa, qui aura à trancher toutes ces questions liées aux élections, les animateurs du mouvement citoyen tentent, tant bien que mal, de se déployer sur le terrain.