Théatralisation politicienne
par K.Selim, Le Quotidien d’Oran, 10 février 2010
La décision de l’Iran de procéder à l’en richissement à 20% de son stock d’uranium a provoqué, comme on pouvait s’y attendre, une levée de boucliers de la part des Américains, des Français et bien sûr d’Israël. Dans un élan unanime, qui contredit encore une fois le pluralisme dont se targuent les démocraties avancées, les médias sonnent le tocsin. Dans l’escalade de la théâtralisation politicienne à laquelle l’opinion est désormais habituée, l’initiative iranienne est présentée comme une «plongée dans l’inconnu», une étape «irréversible» vers la production imminente d’un arsenal nucléaire. La nécessité d’un enrichissement autrement plus significatif – à 90% – du combustible nucléaire pour la fabrication effective d’une arme atomique est à peine évoquée. La matière enrichie par les Iraniens ne peut en aucun cas servir à fabriquer une bombe, l’uranium enrichi à 20% ne peut être utilisé que pour le fonctionnement de réacteurs de centrale nucléaire, ou pour la propulsion de navires équipés de moteur atomique. A l’exception de ceux qui tentent de se faire peur en poussant des cris d’orfraie, personne n’adhère à cette excessive dramatisation.
En réalité, les Américains, les Français et les Israéliens s’indignent du refus de l’Iran de transférer vers la France et la Russie en une seule expédition de l’essentiel de son stock d’uranium pour y subir un enrichissement à 20%. L’Iran qui avait donné son accord sur le principe, n’accepte pas de transférer en une seule fois la quasi-totalité de son stock d’uranium. Cette modalité d’expédition en un lot unique des réserves d’uranium vers des pays dont certains ne cachent même pas leur hostilité est un risque que la direction iranienne n’a pas voulu prendre. Pour beaucoup de dirigeants du premier cercle, la restitution de l’uranium une fois l’opération d’enrichissement effectuée n’est pas vraiment garantie. La menace de sanctions renforcées est donc à nouveau brandie, le trio de pays qui sert de fer de lance contre Téhéran peut compter sur l’appui des autres occidentaux membres permanents du Conseil de sécurité et probablement de la Russie, un partenaire traditionnel de l’Iran mais à la fiabilité douteuse.
Il y a peu de chance cependant que la Chine accepte un rehaussement des sanctions en direction du seul pays de la région qui échappe à la mainmise américaine. De fait, l’Iran est le seul grand producteur d’hydrocarbures au Moyen-Orient avec lequel Pékin entretient des relations commerciales et politiques soutenues. Devant l’hypothèse d’un veto chinois, les milieux bellicistes, qui dominent les establishments politiques occidentaux, n’hésitent pas à évoquer la possibilité de sanctions hors du cadre des Nations Unies. Ce discours est lourd de menaces, nul n’ignore, l’expérience irakienne n’est pas si lointaine, que le contournement des instances onusiennes est en général le préalable à un conflit.
En dépit des propos lénifiants de la Maison-Blanche, jamais l’escalade militaire américaine à travers le monde n’a été aussi nette. C’est en particulier vérifiable dans la région, où tous les pays voisins de l’Iran abritent des bases américaines ou d’alliés de Washington. Derrière la déploration du refus iranien d’accepter de coopérer avec l’Ouest se profile le refus israélo-américain d’accepter l’émergence d’une puissance autonome au Moyen-Orient. La montée en puissance de la présence navale américaine depuis la fin de l’année dernière et le déploiement continu de bases de missiles dans le Golfe sont les indications claires des vraies intentions occidentales.