Les aveux de Hamrouche

Conférence-débat organisée par « Le Quotidien d’Oran»

Les aveux de Hamrouche

par Kamel Daoud, Le Quotidien d’Oran, 25 mai 2014

Armée, consensus, histoire, réformes, Constitution, élections et menaces sur la nation. Mouloud Hamrouche a fait salle comble, hier à Oran, sur invitation du «Quotidien d’Oran». Pédagogie d’une vision qu’il essaye de prêcher dans un environnement politique algérien surinterprété, frappé de suspicion, de logiques d’allégeances ou de stratégies de démission.

Dans le paysage politique algérien, Mouloud Hamrouche, ex-Chef de gouvernement algérien et Père de ses réformes inabouties, mène une étrange campagne qui n’a pas pour but l’élection mais le consensus. «Quelque chose de difficile à faire comprendre», confiera-t-il en aparté la veille. La salle regroupait beaucoup de monde représentant de ces générations en manque de confiance et de visions: ceux qui ont connu Hamrouche et ceux qui sont venus l’écouter. Mais tous marqués par ce traumatisme de l’assistanat politique qui empêche de comprendre le plaidoyer de cet homme: construire un Etat et pas uniquement consolider le Pouvoir, définir un consensus national pour permettre les engagements futurs et la sécurité du pays et sa force, aller au-delà des procès de générations et d’équipe et guérir la culture de la méfiance. «Un Etat qui garantisse la sécurité des intérêts de la collectivité et pas seulement ceux d’un clan ou d’un groupe». Pour l’ex-Chef de gouvernement de la fin des années 80, la menace est réelle avec l’échec de cette construction en Algérie et le basculement des groupes dans les logiques primaires du tribal, régional et de clans. «Quand on n’a pas un Etat fort, les gens reviennent vers ce qui les sécurise ou leur permet l’accès à la rente: la tribu ou la région», dira-t-il.

Ce plaidoyer, Hamrouche semble s’en faire l’avocat depuis ses dernières sorties médiatiques, à la veille des dernières présidentielles dans lesquelles il a refusé de voir un enjeu vital pour le pays face à l’enjeu de l’édification d’une vision de sortie de crise. Sa proposition impliquant un appel à la responsabilité de l’armée, une vision transcendante de l’intérêt national et un refus des logiques de procès d’équipes et de personnes, avait surpris et un peu déçu les habitués de l’opposition ou les fervents du changement. Il s’en expliquera par sa volonté de pousser au débat et à la formulation d’un consensus national nouveau.

«Ce consensus, j’appelle à le définir, je ne l’ai pas», répondra-t-il plusieurs fois aux assistants qui ne s’expliquaient pas la vision de cet homme sans le pendant traditionnel d’une ambition politique personnelle et sans la culture de «l’homme providentiel».

Pour Hamrouche, il y a urgence à se concerter. «Je ne suis pas pour le procès des gens et je m’interdis de manquer de respect à quiconque, ce n’est pas l’éducation de ma génération», expliquera-t-il à ceux qui attendaient un verdict sur les dernières élections. «Je regrette seulement que ces élections aient un peu, presque gravement, consacré des comportements régionalistes» qui, selon lui, menacent aujourd’hui l’intégrité du pays. «Mon appel et ma comparaison entre les 3B (Krim Belkacem, Abdelhamid Boussouf, Bentobal) et à certains aujourd’hui n’est pas à interpréter comme une comparaison entre hommes mais entre situations». L’Algérie est aujourd’hui en crise et cela impose que certains prennent l’initiative et assument des responsabilités. «Le système politique algérien aujourd’hui est bâti sur la coercition et la neutralisation de la société». Et l’Algérie ne peut plus payer le coût d’un effondrement tragique, selon lui. «La société algérienne ne doit plus supporter le coût d’une crise qui dure depuis un demi-siècle». Avec un mode politique qui «empêche la représentation sociale légitime et accentue le fonctionnement clanique».

Etat fort et moderne par nécessité de «protéger les intérêts de tous», administration libérée des logiques d’allégeances et d’injonctions, ordre politique bâti sur la représentativité de l’ordre social, gouvernance au-delà des logiques équipes de ministres de gouvernement et, surtout, obligation d’un nouveau consensus. «Cela ne veut pas dire que tout ce qui a été fait est un échec, mais seulement que l’on est arrivé à une limite et qu’il faut penser à d’autres solutions», expliquera-t-il. La vision de Hamrouche, même si l’homme intéresse vivement certains avec le bénéfice humain d’un politique resté propre et sans engagements désastreux, ne semblait pas bien claire pour l’assistance, dans sa majorité. Venus écouter un procès de l’actuelle présidence ou d’une époque, certains seront déçus de la réponse du conférencier : «Mon éducation m’interdit le manque de respect et la crise n’est pas celle des hommes mais des visions». La déception sera aussi chez ceux qui sont venus chercher un procès de l’armée. «L’armée ? On parle d’un putsch en 91 alors que ce n’est pas vrai. L’armée est au pouvoir depuis 58 et elle ne fait pas de putsch contre elle-même», s’amusera même l’intervenant. Brisant un tabou de commodité qui impute à l’armée la responsabilité du désastre politique algérien, l’ex-Chef de gouvernement s’interrogera : «L’armée est devenue, par la force de l’histoire, l’architecte de l’édification de l’Etat algérien. L’armée doit quitter le champ politique ? Oui, mais on n’a pas encore réussi à construire une alternative à cette armée». Rappelant, du coup, que «les Algériens n’écoutent pas le pouvoir et écoutent encore moins les partis. Il y a un bilan à faire du multipartisme algérien et avec une interrogation légitime sur ses modes de fonctionnement. A part l’armée, quelle force politique peut aujourd’hui encadrer un débat ? Il n’y aucune force aujourd’hui qui sera capable de dire aux militaires revenez dans les casernes et laissez-nous le terrain». Pour Mouloud Hamrouche, «l’armée ne peut pas servir toujours de base sociale à la gouvernance mais, mis à part l’armée, qui le pourra aujourd’hui ?»

La conférence sera suivie par un vif débat et des interrogations en série, de celles qui agitent les élites algériennes depuis une décennie. Légitimité, rente, pétrole, etc. «Il faut cesser de parler uniquement d’économie informelle», répondra-t-il à un intervenant. «L’informel est aussi dans la culture, la justice, l’administration, la nomination, etc.». La rente pétrolière et son impact sur la construction de l’Etat ? «Oui et cet impact est direct : un gouvernement qui n’a pas besoin de lever l’impôt n’a pas besoin de consulter ses citoyens». Créer un parti politique ? «Il faut d’abord faire le bilan du multipartisme algérien et sortir de sa bulle pour voir ce qui se passe dans le monde réel». La Constitution et les consultations entamées ? «Je suis un peu dans la gêne. Je ne peux à la fois me récuser et récuser la Constitution de 89 qui était une avancée en m’associant aux consultations, et je ne refuse pas en même temps. Mais moralement, je n’ai pas accepté. Si j’y vais, cela veut dire que j’ai menti en 89 ou que je suis en train de mentir maintenant».

Le choix des hommes pour la gouvernance ? «Mettre en place des mécanismes qui aident à réduire le facteur humain et subjectif dans le choix des hommes», répondra Hamrouche.

Analyse sur la crise politique mais pas seulement. Le plaidoyer de Hamrouche semble proposer une vision de réconciliation mais aussi de responsabilité qui va au-delà du procès des noms et des équipes. « On a un pays depuis si peu et nous avons des héritages lourds qui viennent du passé qui va au-delà de la période coloniale ». Mettre la main dans la main ? Oui, mais vers quel but ? Que contient l’autre main ?», nuancera le conférencier. Le tableau est celui d’une crise qui peut, selon le conférencier, accoucher de la solution mais aussi être un moment difficile propice à la désintégration et recul vers les structures primaires avec, en sus, des menaces régionales : «On répète souvent que, face aux derniers bouleversements dans le monde arabe, l’Algérie est à l’abri. On répète que cela ne se passera pas chez nous et que c’est le fait de la main étrangère ». Réserve du conférencier : la main étrangère ne peut pas agir que si on lui prête le terrain et avec des populations opprimées en quête de liberté et de justice.

« Comment achever le processus d’établissement d’un Etat moderne, c’est cela notre problème aujourd’hui. Et on ne pourra pas le faire avec cette culture de la méfiance et du soupçon », conclura Hamrouche. Quand aux islamistes ? « Ils ne peuvent pas venir au pouvoir avec l’idée de détruire l’Etat au nom d’un mode de gouvernance. Ils finiront pas créer des tensions, des oppositions et donc à conduire à la crise ». Dans l’assistance, certains émettront le souhait de voir ce genre de rencontres se multiplier pour servir de pédagogie politique aux Algériens.


Amendements de la Constitution : Pas de participation aux consultations

par Mokhtaria Bensaâd

Dans un discours, tantôt rassembleur, tantôt de mise en garde, l’ex chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, invité, à Oran, pour une conférence sur l’Etat moderne, a appelé à tourner la page du passé pour avancer sans «sous-estimer les facteurs de division, les facteurs d’instabilité, dans le pays et dans la région, qui peuvent se répercuter, à tout moment, sur notre pays», dira-t-il, «sur la société et sur nos structures officielles ou pas. Sur les structures administratives, les structures de l’Armée, les structures de sécurité, sur les structures gouvernementales». «Je ne veux pas faire peur, la peur n’a jamais été une bonne conseillère», a lancé l’ex chef de gouvernement, à l’assistance, venue écouter sa conférence. Une conférence qui s’est voulue plus explicative sur la situation du pays, les échecs accumulés, durant un quart de siècle et la nécessité et même l’urgence d’arriver à un consensus national qui soit en mesure de construire un Etat moderne.

Pour l’ex chef de gouvernement, il n y a pas de recette miracle ni de solutions à présenter sur un plateau en argent.

La réflexion est ouverte à tous les niveaux pour redresser le pays. Même si l’assistance a insisté, à plusieurs reprises, sur l’urgence de proposer des solutions concrètes qui soient appliquées sur le terrain, Mouloud Hamrouche a été franc sur ce point, en déclarant, «je n’ai pas de solution à proposer.

Je ne suis qu’un Algérien, parmi tant d’autres, qui ont essayé de faire quelque chose pour ce pays». Sur le consensus, M. Hamrouche a rebondi, «Je n’ai pas de consensus à offrir. J’ai une idée qu’il faut, peut-être, commencer à se concerter sur quel type de consensus, on a besoin aujourd’hui ? Je ne suis pas sûr qu’on va être tous d’accord, tout de suite, sur la nature de ce consensus».

«JE SUIS PRISONNIER DE LA CONSTITUTION DE 89»

Sur la révision de la constitution et l’invitation du gouvernement, à toutes les forces politiques et sociales pour une contribution à travers des propositions, M. Mouloud Hamrouche s’est montré nostalgique en déclarant, «je suis prisonnier de la constitution de 89». Pour l’ex-chef de gouvernement, cette première initiative représentait «un progrès, une projection et une tentative de séparation du pouvoir, partage du pouvoir et des missions et contrôle de ces pouvoirs». Et l’invitation subite du gouvernement pour une consultation, est qualifiée par le conférencier de «projet qui nous ramène en arrière», «je suis désolé de le dire», dira-t-il, «Moralement, je n’ai pas accepté». Plus explicatif sur les raisons de son refus de participer à cette consultation, M. Mouloud Hamrouche a souligné, «j’étais devant une interrogation. Est-ce que je me suis trompé ou j’ai menti en 1989 ? Et qu’aujourd’hui, je reviens à la réalité. Ou bien suis-je, en train de mentir, maintenant, parce que mes convictions, c’est en 1989. Mettez-vous à ma place, je suis vraiment gêné. De l’autre côté, il est clair que dans le projet, il y a une urgence pour le pouvoir. C’est au gouvernement de régler, au minimum, une disposition dont on aura besoin pour faire fonctionner l’ensemble des rouages. Evidemment, cette disposition est là, apparemment, on n’a pas voulu focaliser les gens sur cette disposition. On a élargi, pour faire semblant d’élargir, l’amendement sur d’autres dispositions».

Avant de clore ce sujet, l’ex chef de gouvernement a annoncé «qu’une fois que ce texte a été rendu public, une information a circulé. Je ne sais pas si elle est vraie ou fausse. Disant qu’un autre projet est en élaboration plus détaillée et qui va être soumis. Je ne sais pas s’il le sera, au moment des consultations ou après». Il conclut : «Je suis gêné, je n’ai pas de réponse concrète».


Plaidoyer pour un consensus national

par Ziad Salah

Mouloud Hamrouche ne participera pas aux consultations portant sur la Constitution. Sa réponse attendue depuis quelques jours est tombée suite à une question d’une consœur. Il considère que la nouvelle Constitution en discussion constitue un recul par rapport à celle de 1989 à laquelle il a pris part dans son élaboration.

La rencontre avec Mouloud Hamrouche, organisée à l’hôtel Liberté par Le Quotidien d’Oran, a été un franc succès. Pour preuve, l’assistance, estimée à plus de cent personnes, est sortie, au bout de quatre heures de débats, un peu frustrée. Tout le monde voulait émettre son point de vue ou poser une question à l’invité, attendu au moins sur deux questions de l’heure. Avec la diplomatie qui lui est connue, l’ex-chef de gouvernement devait consacrer son intervention «à l’émergence de l’Etat moderne». Il commencera par des sortes de mise au point «mon propos ne concerne pas une personne précise ou un gouvernement donné». Pour lui, la question est récurrente depuis la naissance du mouvement national et du projet de libération nationale. S’ensuit une introduction, longue, sur l’Etat moderne en Occident. Il faut dire que certaines de ses assertions méritent davantage de clarification. On retiendra de ses propos, son affirmation puisée dans toutes les théories de Sciences Politiques que «L’Etat moderne fonctionne avec des contre-pouvoirs» et que l’émergence et la consolidation «des contre-pouvoirs permet à l’Etat de se prémunir contre des dévoiements».

Concernant l’Algérie, il soulignera que «la société a toujours refusé de se soumettre à un ordre qui n’est pas le sien». Il évoquera les retards et les échecs qui ont «empêché» l’émergence d’un Etat moderne. Estimant que «la gouvernance fondée sur la coercition» est une des raisons principales de ces échecs. Et de tonner que «L’Algérie est mal préparée pour affronter l’avenir». Il citera des exemples frappants motivant son appréhension ou sa peur plus exactement. Il parlera «de la négation de la citoyenneté» , «la faiblesse de la souveraineté nationale», de «rupture de liens entre société et gouvernement» et enfin «de la perte de confiance». Il invitera à l’entreprise «de repenser l’édification de l’Etat». Par qui ? Mouloud Hamrouche ne se limite pas à mettre la responsabilité, toute la responsabilité sur «le pouvoir en place» ou sur «le gouvernement». Cette œuvre salutaire et urgente, à ses yeux, est de la responsabilité de tout le monde : ceux qui contrôlent les rênes du pays, les partis politiques, les citoyens, les élites intellectuelles, les élites économiques. Sans verser dans le catastrophisme, l’ex-chef de gouvernement croit savoir qu’il y a danger dans la demeure. Il le dira clairement «si la crise persiste, on aura moins d’opportunité à mener des combats collectifs» ; ou formulé autrement, il parlera d’un «surcoût» au cas où on laisse traîner les choses en l’état.

Pour sortir de la crise, il préconise «un nouveau consensus national». Dans son développement de ce point, il dira «je n’ai pas de réponse toute faite à proposer». Parce qu’il s’agit d’associer tout le monde à cette quête de ce consensus. Aussi bien les tenants actuels du pouvoir que les partis politiques existants. Sur ce registre, le point de vue de Hamrouche tranche par rapport à ce qui circule comme écrits et déclarations sur la scène politico-médiatique. Il se présente comme «rassembleur». Pour lui, l’armée «exerçant le pouvoir depuis 1958» peut prendre part à ce débat. D’ailleurs, il expliquera dans un autre lieu la pertinence de la participation de «la grande muette» à l’élaboration de ce consensus par «la faiblesse de la classe politique».

Il le formulera clairement en parlant de «l’échec de l’ouverture politique initiée au lendemain des événements d’Octobre 1988». Sans le dire clairement, il s’est montré sceptique à propos de la démarche de la Coordination pour le changement, un agglomérat de partis qui préparent une initiative politique pour les jours à venir et qui l’ont invité à des discussions.

Avant de laisser la parole à son hôte, Abdou Benabbou, directeur du Quotidien d’Oran, modérateur, a déclaré à propos de Hamrouche «je dois tout à ce Monsieur».