Bamako face au sort des 6 otages détenus par Al-Qaida

BAMAKO FACE AU SORT DES 6 OTAGES DÉTENUS PAR AL-QAïDA

Quand touré joue au plus malien

Par : Mounir Boudjema, Liberté, 27 décembre 2009

Avec six otages européens détenus sur son territoire, un discours déficient sur le terrorisme et des prétentions diplomatiques régionales, le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) est dans une position intenable et sous les projecteurs de la communauté internationale.

Le couple d’Italiens kidnappé en Mauritanie vient de rejoindre les otages français et espagnols détenus par une phalange, Tarek Ibn Ziad du sinistre “émir” Abou Zeid. Dans le nord-ouest du Mali, on assiste à un regroupement d’otages sans précédent dans la région du Sahel depuis l’affaire des 31 otages européens kidnappés par l’ancien “émir”, Abderezak El-Para. Une situation exceptionnelle, rendue possible par le laxisme des autorités maliennes qui, face à l’émergence d’Al-Qaïda Maghreb (AQMI) dans cette zone du Sahel, sont demeurées longtemps les bras croisés. Jusqu’à ce que les observateurs, notamment européens, commencent à s’interroger sérieusement sur la réelle détermination de Bamako.

C’est l’heure de vérité pour le président ATT. Longtemps considéré comme le maillon faible de la lutte antiterroriste au Sahel, mais couvé par les puissances occidentales qui voient en lui un “allié” incontournable dans la sous-région, le président malien avait réussi, jusqu’à maintenant, à passer entre les gouttes. Tous les arguments étaient bons pour défendre la passivité d’ATT : s’il freine son armée contre l’AQMI, c’est parce que le Mali n’a pas les moyens militaires de déloger Al-Qaïda du nord du Mali. S’il n’a pas cassé les réseaux de l’AQMI, c’est parce qu’il a su maintenir un canal officieux avec les “émirs” Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeid à travers des intermédiaires de son entourage pour négocier en cas de coup dur. S’il n’a jamais respecté l’accord d’Alger, c’est parce qu’il est confronté à une rébellion touarègue qui menace son autorité.

La patience de Paris et Washington avec ATT
La litanie d’excuses que les Occidentaux, Paris, Berlin et Washington notamment, trouvaient au président malien ne résiste pas à l’analyse froide de la situation au Sahel, devenue explosive et incontrôlable comme le démontre cette prise d’otages collective de six Européens dont la vie est cruellement menacée.
Pour comprendre cette tolérance occidentale, il faut saisir la stratégie du président malien. Depuis des années, se refusant d’appeler les terroristes par leur nom, préférant le terme “salafiste”, le président ATT a fait preuve d’une mansuétude suspecte à l’égard de l’AQMI. Si certains voient dans ce silence face à la prolifération terroriste au Mali les conséquences d’un deal entre Bamako et l’AQMI, d’autres indiquent que si ATT ne se bouge pas, c’est pour la simple raison qu’il n’en a pas les moyens militaires.

Pourtant, selon l’AFP à Gao, citant une source militaire malienne, depuis plusieurs années déjà, des forces spéciales américaines viennent former des soldats de l’armée malienne (qui comptait
7 350 hommes en 2004-2005, selon l’Institut international des études stratégiques). Dans la zone, les Américains ont aussi déployé un dispositif permettant de voir même une fourmi (par satellite) et d’écouter n’importe qui. Des habitants du nord du Mali ont ainsi été récemment recrutés pour traduire des écoutes téléphoniques. si l’on y ajoute les experts militaires expédiés par Paris, Madrid ou Berlin dans cette région et les tonnes de matériel militaire et logistiques déversées par l’armée algérienne au Mali pour renforcer les capacités militaires de Bamako, ATT est loin d’être manchot.
À comparer avec son homologue mauritanien, Abdelaziz, ou nigérian, Tandja, le président malien est le mieux équipé et le mieux armé pour s’attaquer physiquement à l’AQMI. Au lieu de cela, on assiste à un marchandage indécent avec la vie de touristes européens à travers des intermédiaires qui ont fait des négociations sur les rançons un fonds de commerce lucratif. Des commissions sur l’argent versé sont ponctionnées au point que toute la chaîne de négociation est corrompue.

Des tribus acquises à Al-Qaïda
Ensuite, le Mali a tout fait pour précipiter les tribus arabes des Barabiches dans les bras de l’AQMI. Partisan du pacte de non- agression en territoire malien, il est assez troublant de constater que les touristes européens sont tous, intégralement, kidnappés dans les pays voisins du Mali avant d’être transférés dans cette zone grise du Nord malien. Ce sanctuaire, l’AQMI a réussi à l’obtenir grâce à l’argent qu’il déverse sur des chefs de tribus musulmanes qui croient que l’État malien est incapable de les protéger. La question est pourquoi les tribus qui se sont mobilisées contre le terrorisme, comme les Touareg du Mali (Azawed), se sont fait tailler en pièces par le groupe d’Abou Zeid tout comme l’embuscade qui a fait 26 morts dans les rangs des Barabiches. Et pourquoi Bamako insiste sur la nécessité de désarmer et dissuader les Touareg de combattre les salafistes ? Pourquoi les patrouilles militaires conjointes algéro-maliennes n’ont pas encore vu le jour ?
Il semble que toutes ces interrogations n’éveillent en rien les soupçons de capitales comme Paris ou Washington. Les Français, dont c’est le pré-carré politique et diplomatique, doivent se rendre à l’évidence surtout que l’un de leurs compatriotes est actuellement détenu. La clé de voûte qu’est ATT dans la surenchère politique est intimement liée à la résolution de l’équation AQMI dans la région. Paris qui a fait une démonstration de force militaire pour quelques pauvres malheureux pirates somaliens désarmés a-t-il l’intention d’organiser une opération commandos pour libérer son otage ? Paris a-t-il obtenu le feu vert de Bamako pour intervenir au Mali ? Ou est-ce qu’il va payer la rançon comme l’ont fait avant lui Suisses, Autrichiens, Canadiens ou Allemands ? La seule puissance qui s’est abstenue de ne pas entrer dans ce jeu de dupes, en l’occurrence la Grande-Bretagne, s’est vue sanctionnée par la mort brutale de l’otage Dyer, sacrifié par l’AQMI avec une étrange facilité.

Des options qui servent les salafistes
Maintenant qu’il s’est avéré que l’AQMI a la main sur les six otages européens, il serait intéressant d’observer l’attitude de Bamako. Trois scénarios semblent se dessiner. Que l’AQMI engage des négociations avec les intermédiaires habituels de Bamako afin que les pays européens concernés paient la dîme. Dans ce cas, les terroristes auront gagné des millions d’euros, une “crédibilité” renforcée dans la région et la permission tacite de recommencer. Cela en excluant les clauses contraignantes de la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui criminalise tout paiement de rançon.
Que l’AQMI tente de politiser le deal financier accompagné par des demandes de libération de prisonniers salafistes en France, en Espagne ou en Italie. Dans ce cas, Bamako va mettre dans la balance des négociations les quatre prisonniers qu’elle a (deux Algériens, 1 Burkinabé et 1 Mauritanien) afin de se débarrasser de ces détenus gênants et renflouer les effectifs déjà nombreux de la phalange Tarek Ibn Ziad. Les Européens auront ainsi cautionné une opération d’exfiltration terroriste à grande échelle.
Enfin, que l’AQMI fasse fi des recommandations de Bamako, ce qui est loin d‘être évident, et obéisse aux sirènes venues d’Irak, d’Afghanistan ou du Yémen appelant les frères salafistes du Maghreb à exécuter les otages. Dans ce cas, Bamako portera la lourde responsabilité d’avoir de nouveau le sang d’otages sur les mains.
Tous ces aspects éloignent plus que jamais Alger d’une réelle coopération avec un voisin peu crédible dès qu’il s’agit d’évoquer les engagements antiterroristes. La perspective d’une conférence régionale à Bamako est surréaliste dans la conjoncture actuelle. Surtout que les enjeux sur le terrain supplantent de manière dramatique les discours et les théories sur le terrorisme.