Kouchner adore les cadeaux

Kouchner adore les cadeaux

par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 3 mars 2010

La justice en Afrique ? Une fable, dont on peut se passer. Les dirigeants français s’en passent d’ailleurs très bien.

L’Afrique peut attendre. Elle n’a guère de chance de mettre en place une justice crédible, ni des institutions viables. Quand ce n’est pas la pression du pouvoir politique ou la corruption qui empêchent les tribunaux de fonctionner selon la loi, c’est Bernard Kouchner qui débarque pour demander une petite faveur. Ses chers amis africains ne peuvent évidemment lui refuser un tel cadeau, lui qui aime tellement l’Afrique, qui a porté des sacs de riz en Somalie et fourni de remarquables prestations pour améliorer le service de santé au Gabon, longtemps après avoir entamé sa carrière d’humanitaire au Biafra.

Deux grands amis de M. Kouchner se sont ainsi montrés particulièrement sensibles récemment. Le président malien Amadou Toumani Touré n’a pas hésité à remettre en liberté quatre personnes, accusées de terrorisme, pour permettre à Nicolas Sarkozy, nouveau parrain de M. Kouchner, de prendre une photo en pleine nuit avec un otage nouvellement libéré. M. Pierre Camatte, détenu depuis le 26 novembre 2009 par un groupe se réclamant de la célèbre entreprise Al-Qaïda, a ainsi pu regagner la France la semaine dernière après avoir pris une dernière photo souvenir, en plein désert, avec M. Sarkozy.

L’honneur était sauf. Et la France n’a même pas eu besoin de payer une rançon, comme l’assure le secrétaire d’Etat français à la Coopération Alain Joyandet.

«Il n’y a eu absolument aucune contrepartie financière», a-t-il dit, avant de rendre hommage au président malien, qui a permis de «passer à côté d’une catastrophe».

La catastrophe, c’est les autres qui la subissent. Car la libération de M. Camatte a été obtenue en contrepartie de l’élargissement de personnes fichées comme dangereuses en Algérie et en Mauritanie. Et peu importe si ces personnes, dont deux Algériens, risquent de reprendre une activité qui se révèle si lucrative, l’enlèvement d’Occidentaux dans le désert. Des Occidentaux qui aiment d’ailleurs tellement le désert qu’ils y séjournent pour cultiver des plantes destinées, semble-t-il, à guérir le paludisme. Ce sont des officiels français qui ont présenté M. Pierre Camatte sous cette image, quand des informations circulant avec insistance ont fait état de l’appartenance de l’ancien otage à la DST.

Bien avant cette affaire, un autre ami de M. Kouchner, le président tchadien Driss Deby, avait, lui aussi, fait preuve de beaucoup de zèle pour libérer un groupe humanitaire qui avait tout l’air de faire du trafic d’enfants. Les militants humanitaires d’une célèbre association, «l’Arche de Zoé», avaient été pris en flagrant délit de transfert illégal d’enfants. Ils voulaient faire sortir du Tchad plus de cent trois enfants du Darfour, de pauvres orphelins dont les parents étaient des victimes du génocide. Ce n’est pas un hasard s’il s’agit, là aussi, d’un dossier qui tient tellement à cœur à M. Kouchner.

L’opération humanitaire avait échoué parce qu’il s’est avéré que les enfants avaient des parents, certes pauvres, mais il s’agissait bel et bien de leurs parents. Ceux-ci avaient été trompés par des gens qui avaient l’air si convaincants. Aussi convaincants que M. Kouchner quand il parle d’ingérence humanitaire. La justice nigérienne avait condamné les responsables de l’opération à de lourdes peines de prison.

La peine était d’ailleurs trop lourde : huit ans de travaux forcés. Il paraissait inconcevable pour un citoyen français, militant d’une association humanitaire, de la purger. D’autant plus que la détention devait avoir lieu dans l’enfer d’un pays arriéré comme le Niger. Cela facilitait l’intervention de M. Kouchner, qui a obtenu le transfert des prisonniers en France, où ils devaient effectuer leur détention. La très médiatique Rama Yade, alors secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, promettait que les condamnés, auteurs d’une opération «illégale», purgeraient réellement leur peine, après que celle-ci soit convertie en une simple peine de huit ans de prison.

Mais le président tchadien Driss Deby ne pouvait en rester là. Il se sentait dans l’obligation de faire, lui aussi, un geste, un cadeau à son ami Kouchner. Il décida alors de gracier purement et simplement les détenus, en mars 2008, soit moins de quatre mois après les faits. Il exauçait les vœux du président Sarkozy, qui avait affirmé, bien avant le procès, son intention d’aller chercher les prisonniers français «quoi qu’ils aient fait». Et c’est ainsi que l’affaire Zoe fut close.

Dans les deux cas, la justice d’un pays africain a été instrumentée dans une logique précise : obtenir par tous les moyens la libération de citoyens français. Car un citoyen français dans un pays africain bénéficie du même statut qu’un ministre algérien en Algérie : il est au-dessus de la loi. Sa liberté est non négociable. Y compris quand l’enjeu est de détruire le peu de crédibilité dont peuvent encore jouir quelques rares pays africains.

Ainsi, on détruit d’un côté les institutions africaines, dans un comportement typiquement colonial. Et, d’un autre côté, on déplore que cette Afrique patauge encore dans la «mauvaise gouvernance» et ne réussisse pas à établir des institutions crédibles. Et on le fait avec beaucoup de talent et de cynisme, comme M. Sarkozy qui dénonce la fameuse «Françafrique» avant de parrainer Ali Bongo, le fils à son père.