Un ballet diplomatique

TROIS MINISTRES FRANÇAIS, UN PREMIER MINISTRE ESPAGNOL ET UN SECRETAIRE D’ETAT AMERICAIN

Un ballet diplomatique

Le Quotidien d’Oran, 12 juillet 2004

La France et l’Espagne semblent se mettre à l’heure algérienne en décidant d’envoyer à Alger les grosses pointures de leurs gouvernements respectifs. Washington se met de la partie avec, en toile de fond, des discussions sur le règlement de la question sahraouie.

José Luis Rodriguez Zapatero qui vient de succéder à José Maria Aznar, à la tête du gouvernement espagnol, a choisi de marquer le début de son mandat par trois faits importants. Le premier est sa décision de retirer les troupes espagnoles de l’Irak, le second est d’avoir fait de sa visite à Rabat, son premier voyage officiel et enfin le troisième, son arrivée à Alger, ce mercredi 14 juillet. Fait du hasard ou pure coïncidence de calendrier, Zapatero visitera Alger au même moment où le feront deux importants ministres français. Il s’agit des ministres de la Défense et des Affaires étrangères.

Il est clair que le ballet diplomatique que vit, ces jours-ci, l’Algérie, n’a rien de fortuit. Il s’annonce d’abord au lendemain de l’élection présidentielle du 8 avril dernier qui a consacré, aux yeux des Occidentaux, Abdelaziz Bouteflika comme premier homme du pouvoir algérien à détenir une véritable légitimité populaire. Ce qui, à leurs yeux, garantit la stabilité politique du pays. Il intervient en outre, au moment où les Américains déclenchent une grande offensive pour accaparer les marchés mondiaux les plus porteurs notamment ceux de l’énergie à l’image de celui de l’Irak ou de l’Afghanistan. Celui algérien peut se targuer d’avoir le même poids dans une région où les visées stratégiques prennent, de plus en plus, d’épaisseur. L’après-11 septembre aussi, donne carte blanche aux Etats-Unis pour se redéployer là où ils pensent qu’il y a menace sur la sécurité et la paix. D’où leur réunion de Stuttgart des chefs d’état-major du pays du Sahel et du Maghreb.

Au nom de la lutte antiterroriste, l’Amérique de Bush fait son intrusion là où l’on s’y attend le moins. L’Afrique du Nord avec comme pays pivot l’Algérie, figure parmi les espaces à conquérir. L’Europe vient de se voir doubler par Washington alors qu’historiquement elle est la plus indiquée pour sévir dans les marchés africains pour les avoir connus pendant les longues années de la colonisation. La France s’en est, en tout cas, rendu compte. Elle tient aujourd’hui à s’allier à l’Algérie, le pays autour duquel les stratégies des puissants s’articulent. Etant un pays aux ressources importantes, à l’emplacement géostratégique fort intéressant pour constituer la passerelle idéale entre l’Afrique et l’Europe et de surcroît à la grande expérience en matière de lutte antiterroriste mais aussi dans la pratique démocratique, l’Algérie attire de fait, l’attention. Du côté de la diplomatie algérienne, l’on ne s’émeuve pas outre mesure de l’arrivée d’importants représentants de gouvernements de pays occidentaux. L’on est persuadé qu’ils développent un intérêt de plus en plus grand à l’égard de l’Algérie, la France étant le premier pays à l’avoir manifester clairement après le 8 avril.

Il faut reconnaître, cependant, que la visite à Alger du Président du gouvernement espagnol ainsi que celle d’importants ministres français coïncident, curieusement, avec les déclarations de la Maison Blanche sur le règlement de la question sahraouie. Son porte-parole, Richard Boucher en a précisé la position d’une manière très claire. Ses propos sont d’autant plus significatifs qu’ils ont été prononcés au lendemain de la visite du roi Mohamed VI aux Etats-Unis. Boucher a fait savoir que Bush a demandé au roi du Maroc de se rapprocher du Président algérien pour créer un environnement propice à la solution du problème sahraoui. Il est utile de rappeler que Madrid avait initié, il y a quelque temps, avec l’appui de Paris, une rencontre qui devait se tenir entre elle, Rabat et Alger aux fins d’ouvrir le dossier sahraoui à la discussion. Initiative qui n’a pas été du goût de l’Algérie puisqu’elle l’a rejetée. Mais l’idée d’un rapprochement entre Alger et Rabat qui anime Madrid et Paris semble, en tout cas, faire son chemin. Elle vient de figurer surtout parmi les préoccupations de Washington puisqu’elle vient d’être évoquée à la Maison Blanche. Les deux capitales européennes attendaient justement que Washington se mette de la partie pour être sûres d’en convaincre Alger. Même si l’on ne s’empêche pas de rappeler que la campagne électorale aux Etats-Unis est un élément dont l’on se doit de tenir compte pour commenter toute nouvelle position de l’administration Bush.

Pour l’instant, Alger se garde de commenter les propos émanant de la Maison Blanche mais tient à rappeler la position de ses décideurs à ce propos. Pour nos diplomates, les déclarations à Rabat de Michel Barnier, le chef de la diplomatie française sur la question «ont créé une ambiance nouvelle» à savoir celle d’un appel à un rapprochement entre Alger et Rabat. Barnier, pour rappel, a été le premier représentant d’un Etat occidental à avoir évoqué publiquement cette idée. En attendant, l’Algérie insiste sur le fait qu’elle tient à ce que le problème soit résolu conformément au plan Baker et aux résolutions onusiennes. C’est justement ces références que Washington a réitéré à Mohamed VI tout en lui demandant de se rapprocher de Bouteflika. Au rythme où vont les choses, des concessions devront absolument être faites du côté marocain comme du côté algérien. L’entrée des Etats-Unis dans cette logique bousculera, à l’évidence, les choses et amènera les deux parties à se rencontrer autour d’une même table. Paris sera cette troisième partie qui devra réorienter sa position pour la rééquilibrer quelque peu. L’Elysée devra ainsi demander à Rabat qu’il a fortement soutenu, à devenir un peu plus raisonnable au regard des dernières évolutions du dossier, aux Etats-Unis.

Bush a d’ailleurs pris la précaution de contenter, en même temps, l’Algérie et le Maroc. En effet, il a fait plaisir au Maroc en appelant à traiter la question à un niveau bilatéral algéro-marocain et à l’Algérie en se référant au plan Baker. Pour mettre le tout au point, Bush a décidé d’envoyer comme premier émissaire à Alger, sa sous-secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires du Moyen Orient, le 14 juillet prochain, c’est-à-dire au lendemain de la visite du MAE français et le jour même de l’arrivée de Zapatero, le Président du gouvernement espagnol.

Ghania Oukazi