Débats autour de l’accord d’association Algérie – UE et de l’OMC

Débats autour de l’accord d’association Algérie – UE et de l’OMC :

argument contre argument

Youcef Salami, La Tribune, 31 Mai 2004

Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), et Janis Sakellariou, porte-parole de la politique étrangère du Parti socialiste au Parlement européen, ont animé samedi 29 mai au siège de la fondation allemande Friedrich Ebert un débat fort intéressant sur l’accord d’association que l’Algérie a signé avec les Quinze et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Ont assisté aux débats des universitaires, des opérateurs économiques, l’ambassadeur de l’Union européenne en Algérie, le représentant de l’ONUDI, entre autres. Tour à tour, les intervenants ont mis en exergue les difficultés à naître de la mise en application de l’accord d’association en cours de ratification par les parlements nationaux européens. De même, ils ont soulevé les conséquences devant découler de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC. L’accord d’association et l’OMC sont indissociables, dit la secrétaire générale du PT. Et d’ajouter que tous deux découlent de la mondialisation, dont elle fustige la teneur.Chitour, universitaire, enseignant à l’Ecole polytechnique d’Alger, met l’accent sur le fait que l’accord n’accorde pas d’importance à une somme de chapitres comme l’énergie, la formation et la circulation des personnes. Dans un style direct, il n’a pas ménagé les Européens qui, à ses yeux, refoulent les immigrés dont ils n’ont pas besoin mais encouragent les compétences à rester, à travailler.

Des compétences dont la formation revient cher à l’Algérie : un cadre universitaire, ça coûte soixante mille dollars en formation. Un simple exercice arithmétique renseigne ainsi sur des milliards de dollars que l’Algérie perd sur les compétences formées dans le pays mais qui ne le servent pas, note-t-il. Chitour donne également une idée sur les facilités accordées aux étudiants désireux faire des études en post-graduation à l’étranger. Il rapporte que des visas leur sont accordés avant qu’ils n’en fassent la demande. Cet universitaire estime ainsi que l’Europe des Vingt-cinq s’intéresse plus aux biens et aux marchandises qu’à la circulation des personnes. Il observe que cet accord n’est pas le Coran et qu’on peut en revoir les termes.

800 milliards de dollars d’IDE dans le monde

Redha Hamiani, chef d’entreprise, rappelle les réserves qu’il a émises et qu’il émet encore autour de cet accord. Il déclare toutefois qu’il faut aller à l’OMC, dans une entreprise d’association avec les Européens, mais qu’il faut, en revanche, s’y préparer. Redha Hamiani estime que s’il y a plus d’inconvénients que d’avantages dans cet accord, ce n’est pas la faute aux Européens. C’est, appuie-t-il, la responsabilité des Algériens. Il avance, dans un tableau chiffré sur l’évolution des IDE dans le monde et la part qui revient à l’Algérie, que sur les huit cent milliards de dollars à l’échelle planétaire, 52% sont absorbés par les Etats-Unis, le Canada et l’UE, 25% par la Chine, 12,5% par les pays de l’Est et 5% par le continent africain moins le Maghreb. Ce dernier ensemble n’en capte que 1%. Et dans cette proportion, l’Algérie ne prend qu’une partie insignifiante. L’ancien ministre des PME sous Chadli souligne que le train de la désindustrialisation dans le monde est en marche. Dans le même style Aït Amara, universitaire, poussé à la porte à l’ère de l’arabisation, rejoint sur l’essentiel l’avis de Redha Hamiani. Il relève que la faute n’est pas à l’UE.

Aït Amara affirme qu’on en arrive à des aberrations quand on parle de l’économie nationale qu’il estime régentée. Et d’expliquer : «Le niveau des salaires des Algériens s’est érodé dans des proportions assez alarmantes», non sans donner de chiffres. Ce niveau, il le compare au seuil des salaires des Marocains et des Tunisiens, des voisons moins lotis que nous en termes de ressources. Le représentant de l’ONUDI à Alger s’est montré violemment critique, lorsqu’il évoque la manière dont est abordé l’accord d’association en Algérie. Il dit, en allusion aux conséquences de cet accord, qu’il y a des sacrifices à faire, en application des réformes. Et de s’interroger : jusqu’à quand le pays continue à remiser les réformes qu’elle est censée mettre en oeuvre ? Il ajoute plus loin, sur un ton incisif, peu attendu : «L’Algérie est un pays inapte à faire évoluer les choses.» La phrase est lâchée. Elle est tellement provocatrice qu’elle a fait réagir Louisa Hanoune. Celle-ci, dans une mise au point élégamment dite, fait remarquer que l’Algérie n’est pas un pays inapte, qu’il a réalisé des usines et créé des entreprises. Et de poursuivre : «Ces usines, laissez-les nous. Maintenant, si vous voulez investir, apportez votre argent.» Le représentant de l’ONUDI, se sentant gêné, veut se rectifier, demandant une prise de parole vers la fin de rencontre.

Des négociations longues

Auparavant, l’ambassadeur de l’Union européenne en Algérie exposait certains aspects de l’accord d’association, s’attardant sur le fait que celui-ci contient des chapitres liés à la formation et à l’éducation, entre autres, en réponse aux remarques faites par Chitour. Il cite en exemple la coopération effective entre des universités algériennes et européennes et des projets culturels. L’accord d’association, objet de débat, a été signé en avril 2002, à Valence, en Espagne. C’est le couronnement d’une série de rounds de négociations entre Alger et Bruxelles. Les négociations algéro-européennes n’ont pas eu la régularité qui devait être la leur, car intervenues dans une conjoncture sécuritaire assez difficile. On s’en souvient, les Européens ont carrément demandé leur interruption, au fort de la crise sécuritaire qui prévalait à l’époque. Les contacts entre Européens et Algériens n’ont repris qu’en 2000, moins d’un an après les élections présidentielles de 1999. Entre autres points qui posaient problème : la spécificité de l’économie algérienne. Expliqué autrement, les négociateurs algériens ne voulaient pas parvenir à un accord calqué sur celui conclu avec les Marocains et les Tunisiens, pour ne citer que ces deux pays-là.

Cette spécificité est liée au tissu industriel national et à des capacités énergétiques importantes, par comparaison à des pays qui n’en disposent pas. L’un des aspects que l’Algérie n’a pas réussi à introduire, comme elle le souhaitait, dans les négociations, est celui du terrorisme dont les Européens ne mesuraient pas l’époque l’ampleur et le caractère international. Dans le cadre de cet accord qui la lie à l’Europe des Vingt-cinq, l’Algérie a bénéficié de peu de soutiens financiers pour se remettre à niveau. Le porte-parole de la politique étrangère du Parti socialiste au Parlement européen estime à ce sujet que l’on ne doit pas juger l’accord en question par rapport à l’accès à l’aide communautaire et aux aspects relatifs à la circulation des personnes. Par rapport à l’OMC, les négociations en sont au septième round programmé pour fin juin. La partie algérienne a l’appui des Etats-Unis dans ce processus de négociations.

Il est attendu qu’elle boucle ses pourparlers avant la fin de l’année, au mieux avant le cycle de Doha dont l’agenda de travail et de négociations a été presque finalisé par les Etats-Unis, l’UE et quelques pays africains. La partie algérienne n’a pas réellement de la marge dans un processus serré. Les membres de l’OMC ne font pas en effet de concessions quand il s’agit des taxes destinées à protéger la production agricole ou industrielle. Deux secteurs pour lesquels l’Algérie a placé la barre haute, mais ce n’est pas évident qu’elle obtienne ce qu’elle veut, au final. Le mémorandum d’adhésion à cette institution multilatérale, l’Algérie l’y a soumis en 1997. Depuis, elle a répondu à plus de mille deux cents questions qui lui ont été posées par des membres de l’OMC. Des questions liées au fonctionnement de l’économie nationale et de la législation qui la sous-tend.