La maladie de Bouteflika fragilise les institutions

Ambiguïté sur le mode de prise de décision

La maladie de Bouteflika fragilise les institutions

El Watan, 20 juin 2013

L’absence du président de la République pèse lourdement sur la vie institutionnelle du pays qui semble de plus en plus livré à l’improvisation.L’ambiguïté s’installe sur les vrais centres de décision du moment et sur d’éventuelles prérogatives déléguées par le Président. L’armée, sollicitée par certaines voix à «prendre ses responsabilités», réaffirme son caractère républicain et se refuse à tout rôle politique en la conjoncture.

Qui gouverne en Algérie ? Qui prend les décisions, au nom de qui et de quoi ? Ces questions s’imposent et sont déjà posées. Alors que le président Abdelaziz Bouteflika est absent depuis près de deux mois, des décisions que l’on peut qualifier d’importantes ont été prises ces derniers jours.

La dernière en date est celle du rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris (France), Missoum Sbih, un fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat. L’information est confirmée officiellement et son remplaçant devrait être Amar Bendjemaâ, actuel ambassadeur à Bruxelles (Belgique).
Les sources diplomatiques, citées hier par la presse, ne donnent aucune précision sur l’autorité qui a mis fin aux fonctions de Missoum Sbih. A ce sujet, la Constitution est claire : seul le président de la République nomme et rappelle les ambassadeurs. «Le président de la République nomme et rappelle les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République à l’étranger.

Il reçoit les lettres de créance et de rappel des représentants diplomatiques étrangers», stipule l’article 78 de la Loi fondamentale du pays. Le chef de l’Etat est-il l’auteur de la décision ? A-t-il délégué ses pouvoirs à une autre institution ? En tout cas, la Constitution ne prévoit pas une délégation des pouvoirs du Président à une quelconque institution. Ni le Premier ministre ni le ministre des Affaires étrangères ne sont, selon la Constitution, habilités à prendre une telle décision. C’est ce que pense Ali Rachedi, président du parti non agréé Essabil. «Le Premier ministre n’a pas le droit constitutionnel de décider à la place du président de la République. En tout cas, nous n’en sommes pas à la première entorse à la Constitution. Nous ne sommes pas dans un Etat de droit», lance-t-il, rappelant que l’ancien président de la LADDH, Ali Yahia Abdennour, avait recensé «80 violations de la Constitution». «De plus, on ne dit pas qui a rappelé l’ambassadeur», ajoute-t-il.

La Constitution interdit la délégation des pouvoirs

Toujours dans la Constitution, le premier magistrat du pays ne peut pas déléguer ses pouvoirs. «Le président de la République ne peut, en aucun cas, déléguer le pouvoir de nommer le Premier ministre, les membres du gouvernement, ainsi que les présidents et membres des institutions constitutionnelles pour lesquels un autre mode de désignation n’est pas prévu par la Constitution. De même, il ne peut déléguer son pouvoir de recourir au référendum, de dissoudre l’Assemblée populaire nationale, de décider des élections législatives anticipées, de mettre en œuvre les dispositions prévues aux articles 77, 78, 91, 93 à 95, 97, 124, 126, 127 et 128 de la Constitution», précise l’article 87 de la Constitution. Qui a donc rappelé Missoum Sbih ? Enigme.

Ce n’est pas l’unique question qui suscite aujourd’hui des interrogations. A la fin du mois de mai dernier, des décrets présidentiels ont été signés alors que le président Bouteflika se trouvait encore à l’hôpital du Val-de-Grâce.
Officiellement, ces décrets nommant des fonctionnaires sont signés par le chef de l’Etat. Mais quelques jours plus tard, des titres de la presse ont mis en doute le communiqué officiel, précisant que lesdits décrets «seraient paraphés par le frère-conseiller du président Bouteflika, Saïd». Il n’y a eu aucun démenti officiel. Depuis quelque temps également, l’on parle d’un remaniement ministériel qui relève des prérogatives du président de la République. Selon des sources informées, plusieurs personnalités et partis politiques seraient contactés en prévision d’un prochain remaniement ministériel. Selon les mêmes sources, Abdelmalek Sellal n’est plus en bons termes avec un certain nombre de ministres.

La question de savoir qui gouverne actuellement le pays s’est posée également avec acuité après la découverte de la composante de la délégation qui a rendu visite au président Bouteflika aux Invalides, en l’occurrence Abdelmalek Sellal et Gaïd Salah, chef d’état-major.
Des partis politiques, à l’image de Ahd 54, demandent pourquoi ce ne sont pas le président du Sénat et celui de l’APN, qui représentent «le pouvoir du peuple», qui ont été chargés de faire le déplacement à Paris. «A travers le déplacement de Gaïd Salah, le pouvoir veut-il signifier que l’armée intervient dans la politique ?», s’interrogeait Ali Fawzi Rebaïne, lors d’une conférence de presse animée mardi dernier à Alger. Dans son commentaire sur la situation politique du pays, le leader de Ahd 54 fait une conclusion qui est déjà dans l’esprit des Algériens : «L’Algérie est gérée par un laboratoire qu’on ne connaît pas.»

Madjid Makedhi