Mystique et politique au temps de « Sidi » Bouteflika

Avec les adeptes de la Zaouïa Alawiya

Mystique et politique au temps de « Sidi » Bouteflika

Fondée en 1909 par le cheikh Ahmed Ben Mustapha El Alawi et dirigée actuellement par le cheikh Khaled Bentounès, la zaouia Alawiya, basée à Mostaganem, est l’une des plus importantes confréries spirituelles en Algérie. Elle compte des adeptes aux quatre coins du monde. Combattues par le pouvoir sous Boumediène, les confréries maraboutiques jouissent aujourd’hui de la bienveillance de Bouteflika qui, comme à chaque élection, n’hésite pas à convoiter l’appui des zaouïas et leurs réseaux d’influence. La zaouïa Alawiya ne réserve sa baraka à aucun candidat en particulier et préfère se tenir loin du jeu électoral pour demeurer un espace qui rassemble ceux que la politique divise.

Mostaganem. De notre envoyé spécial, El Watan, 21mars 2009

Mostaganem. 360 km à l’ouest d’Alger, 80 km à l’est d’Oran. Nous voici dans la ville de Ould Abderrahmane Kaki, le célèbre homme de théâtre dont une statue imposante est dressée comme un vigile à l’entrée de « Mosta ». Cité raffinée, Mostaganem, capitale nationale du théâtre et de la poésie populaire, est aussi connue pour un autre trait saillant de sa culture : la zaouïa Alawiya, l’une des plus importantes confréries du pays, voire du monde. En ce jour saint du Mawlid Ennabaoui, la zaouïa Alawiya, sise dans le vieux quartier de Tijdit, s’est parée de ses plus beaux atours pour célébrer comme il se doit l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed (Que le Salut d’Allah soit sur Lui). A l’intérieur de la mosquée, une assemblée de « dhikr » s’est constituée après la prière de l’aïcha pour rendre grâce à Dieu et son Prophète. Le majliss se veut convivial. Thé à la menthe et pâtisseries sont servis aux fidèles. De nombreuses figures de la bonne société mostaganémoise sont de la cérémonie, rassemblées autour du moqadem de la tariqa et des notabilités de la zaouïa au premier rang desquelles Mourad Bentounès, frère de Khaled Bentounès, le chef spirituel de la Alawiya.

La procession et le QG de Boutef

Lundi 9 mars. En pleine fête du Mawlid Ennabaoui. En ce jour béni, la tariqa Alawiya a prévu un défilé en ville. C’est ainsi que, sitôt l’office de la prière d’al âsr accompli, les membres de la confrérie, qui se font appeler les « fouqara » (littéralement les humbles, dans d’autres voies soufies ce sont les « khouan », mais le terme générique est « mouridine »), vêtus de djellabas blanches et de coiffes immaculées, se retrouvent en haut de la rue Benyahia Belkacem, près de la caserne des pompiers. Escortés d’une escouade de jeunes cavaliers du centre équestre de Mostaganem, ils s’ébranleront bientôt en scandant des invocations du patrimoine mystique alaouite. La procession est devancée par une troupe Aïssaoua et une autre Gnawie pour mettre un peu de gaieté dans l’air. Le défilé, qui durera un peu plus d’une heure, va ainsi se mouvoir jusqu’à la place de l’hôtel de ville. Le cortège ne compte pas que la communauté des « fouqara ». Dans le lot, il y a des bambins en costume de circonstance issus d’une crèche chapeautée par l’association cheikh El Alawi pour la culture et l’éducation soufie, l’une des branches de la tariqa investie dans l’action sociale, culturelle et sportive et qui travaille beaucoup auprès des jeunes. Détail de taille : à un moment donné, la procession passe à proximité de la permanence électorale du candidat Abdelaziz Bouteflika. Mais n’y voyez aucune coïncidence préfabriquée. Officiellement, la Alawiya se veut apolitique et ne soutient aucun candidat, comme nous l’affirme son porte-parole attitré, Mourad Bentounès (lire encadré). A l’ombre d’un semblant de minaret qui borde la mairie, le cortège s’est immobilisé le temps d’une « hadra » improvisée par les musiciens Aïssaoua suivie d’une prière collective et des « madih » (louanges au Prophète) entonnés en chœur par les adeptes de la Alawiya. Un cheikh prononce un sermon et couvre de sa baraka le président Bouteflika en priant Allah de « garder notre raïs ». L’ambiance est bon enfant. Le festival mystique se passe sans heurt. Toute la ville semble en communion avec « sa » tariqa. Dans le tas, des femmes « civilisées », des jeunes aux cheveux gominés, des chômeurs, des badauds, des fervents. « Bien sûr que c’est important tout cela. Ils sont très populaires. Moi, j’y crois », lance Karim, 23 ans, étudiant en sport. « Ici, vous êtes au pays des marabouts par excellence », dira un habitant du quartier de Tijdit, abritant la zaouïa. « C’est encore très ancré chez les gens. Moi, je crois en la baraka des saints. » Mohamed, 48 ans, gérant d’un café, tempère pour sa part : « Personnellement, je ne crois pas à ces trucs-là, mais pour les jeunes, c’est important. Ça leur donne des repères. »

Mohamed, 45 ans, médecin et « faqir »

Mohamed Larbaoui, 45 ans, médecin de profession, est un fort affable adepte de la zaouïa Alawiya. Il nous raconte comment il a rejoint la voie Alawiya : « J’ai toujours baigné dans la tariqa, puisque toute ma famille était adepte de la confrérie Alawiya », confie-t-il. « Quand j’étais petit, j’étais surtout appâté par la fête du Mawlid Ennabaoui, le reste m’ennuyait. Cela me paraissait trop traditionnel. » Mohamed accompagnait son père aux séances de « dhikr » qui unissaient les « fouqara » et c’est ainsi qu’il entama petit à petit son parcours initiatique. « Ce qui m’a amené vraiment à m’intéresser de plus près à cela, c’était l’informatique. Le cheikh Khaled Bentounès avait introduit l’informatique dans la lecture du Coran et cela m’a enchanté », dit-il. Ainsi, c’est la méthode foncièrement moderne du cheikh Bentounès, un chef spirituel high-tech, pourrait-on dire, qui n’a rien à envier à un Amr Khaled, la « star » des prédicateurs numériques, qui l’a poussé sur la voie de la Alawiya. « On allait ainsi à la zaouïa apprendre l’informatique. L’enseignement du cheikh Khaled m’a séduit. Il tient un discours avant-gardiste, il a un regard de visionnaire », explique-t-il. Le site de la tariqa (www.aisa-net.com) résume d’ailleurs à lui seul tout l’esprit de cette voie soufie qui tranche par sa fraîcheur au moment où l’image que l’on se fait des confréries religieuses les présente trop souvent comme des officines occultes, des survivances d’un maraboutisme archaïque. Evoquant son expérience soufie, Mohamed ne s’étale pas trop sur les détails de son initiation. Il dira simplement : « Au début, il y a le rationnel. Après, c’est intérieur, le mystère prend le dessus. » Mohamed prendra une part active à un événement d’envergure qui guette la tariqa Alawiya l’été prochain, en l’occurrence la célébration du centenaire de l’investiture du cheikh Ahmed Ibn Mostefa El Alawi pour prendre les rênes de la tariqa Shadhiliya-Derkaouia. Mohamed affirme qu’en prévision de ce centenaire, il a reçu en même temps que d’autres cadres de la confrérie, et sur initiative du cheikh Khaled Bentounès, une formation en… management et ressources humaines avec, à la clé, les techniques les plus actuelles de développement personnel.

Mostaganem, capitale mystique mondiale

Placé sous le haut patronage du président de la République, le centenaire aura lieu du 25 au 31 juillet 2009. Les préparatifs vont bon train. « Nous allons recevoir près de 7000 participants issus de 38 pays », explique Mouley Bentounès, neveu du cheikh Khaled Bentounès. Il nous fait visiter Djanatu Al Arif, (le Jardin du connaissant) où seront abrités les travaux du centenaire. « C’est dans ce domaine que cheikh El Alawi recevait ses disciples », explique Mouley. Notre hôte indique que le domaine servait de lieu de « khoulwa », de retraite spirituelle, où les adeptes menaient une vie quasi-monastique, vivant du travail de la terre et se vouant à une vie ascétique dédiée entièrement à Dieu et à l’enseignement initiatique du cheikh. Il nous montre un vieux jujubier à l’ombre duquel le cheikh et les « fouqara » se retrouvaient pour leurs séances de « dhikr ». Les anciens bâtiments ont cédé la place à un très bel hôtel particulier aux allures de palais andalou avec arcades et patio. Le palais a été construit entièrement sur les fonds de la zaouïa, assure Mouley Bentounès. Il est constitué de pièces pour recevoir les visiteurs, d’une grande salle de conférences, d’une bibliothèque et d’un réfectoire. Partout on peut voir le logo de la tariqa, en forme de symbole ésotérique, conçu selon « le principe de dualité », explique Mouley. Outre le centenaire, la tariqa Alawiya s’est mobilisée pour lancer une caravane nationale baptisée « La caravane de l’espoir ». Celle-ci a démarré le 29 janvier dernier et se prolongera jusqu’au 25 juillet prochain, en trois temps. Elle touchera quasiment toutes les wilayas du pays. « La caravane a démarré symboliquement du mausolée de Sidi Abderrahmane à Alger en direction de la zaouïa d’El Hamel (Rahmania, ndlr), près de Bous Saâda. Notre objectif est de susciter un échange avec les autres zaouïas, associations et communes avec le souhait que nous apportions quelque chose et que nous repartions avec quelque chose du patrimoine de la région visitée », explique Mourad Bentounès. La caravane gèlera toutefois ses « ziarates » itinérantes durant la campagne présidentielle. Tous les regards seront rivés pendant ce temps sur un seul marabout : Sidi Bouteflika…

Par Mustapha Benfodil