Plans de relance: Quels objectifs ?

Plans de relance

Quels objectifs ?

Les Débats, 11-17 mai 2005

L’Assemblée populaire nationale, la Cour des comptes, et maintenant le CNES, trois institutions sont écartées de donner leur avis sur les programmes de relance économique. Elles n’ont pas eu de mot à dire sur le premier et ne semblent pas sollicitées pour le second, malgré l’importance de l’enveloppe mise en jeu cette fois. L’Exécutif est-il à ce point constitué de génies que personne ne peut contredire, orienter ou contrôler ?

L’Etat va consacrer 55 milliards de dollars pour un second plan de soutien à la relance économique, soit 4 200 milliards de dinars d’investissements publics pour les cinq prochaines années. De quoi réjouir toutes les entreprises qui vont bénéficier des marchés publics qui vont être lancés. Mais ce programme va-t-il réellement permettre de relancer l’économie nationale et la sortir de la dépendance dramatique des recettes des hydrocarbures ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de passer par une évaluation du premier Plan de soutien à la relance économique (PSRE), qui a été lancé en septembre 2001 et a pris fin en décembre 2003.

Sur quelle base peut-on évaluer le premier PSRE ? En se contentant uniquement des chiffres officiels, des statistiques sans âme fournis par l’Exécutif, nous aboutirons sans doute à un constat de “satisfaction”. Les chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut. Plusieurs milliers de projets “achevés”, quelque 500 000 emplois créés dont la moitié permanents, l’“amélioration du cadre de vie d’une population de 4,3 millions d’habitants”, le “désenclavement de 4 millions d’habitants” (remarquez les chiffres ronds !), le “développement des infrastructures sportives et de loisirs pour plus de 3,7 millions d’habitants”, le “raccordement d’assainissement d’une population estimée à 2,5 millions d’habitants”…. Vu sous cet angle, il n’y a rien à dire :le premier PSRE a été une réussite.

En l’absence d’une évaluation plus approfondie que les chiffres qu’on nous jette à la figure à chaque fois qu’on s’interroge sur la portée de cette politique et sur les résultats palpables issus de l’injection d’environ 7 milliards de dollars (478 milliards de dinars), il apparaît clairement, selon la structuration a été donnée dès le départ au PSRE, que l’activité productive ne faisait pas partie des priorités. Elle a bénéficié de 15% de l’ensemble de l’enveloppe consacrée à la relance. Ainsi, 155 milliards de dinars (MDA) étaient destinés à “l’amélioration des conditions de vie”, 124 MDA au “maillage infrastructurel”, 74 aux “activités productives”, 20 à “la protection du milieu”, 76 aux “ressources humaines et protection sociale” et 29 MDA aux “infrastructures administratives”.

Dans le chapitre des “activités productives”, seul le volet agriculture semble avoir donné des résultats palpables non seulement en termes de production, d’extension des surfaces arboricoles et de développement de l’élevage, mais également dans l’amélioration et la rationalisation des ressources en eau dans ce secteur. D’ailleurs, le gros des emplois créés par le PSRE l’on été dans l’agriculture. Au chapitre de l’industrie, le programme ne prévoyait que “la réhabilitation de 21 zones industrielles et 5 zones d’activités” ainsi que “le soutien à la mise à niveau de 38 unités industrielles”. Mais cela ne suffit pas pour relancer l’économie. La preuve : le pays dépend toujours exclusivement de l’exportation des ressources hydrocarbures et n’a pu à aucun moment inverser la vapeur.

Face à l’autosatisfaction affichée par l’Exécutif et par la présidence de la République (étant donné qu’aucune étude critique n’a été élaborée à propos du PSRE et de sa mise en œuvre), il s’est trouvé une seule institution qui a pu le disséquer en toute liberté. D’ailleurs, à vouloir être une institution indépendante et libre dans ses évaluations et ses critiques, le Conseil national économique et social (CNES) se voit complètement ignoré et les résultats de ses travaux n’ont jamais été pris en compte. Le CNES a été la seule institution qui, après avoir applaudi et appuyé l’idée d’un plan de relance dans lequel l’Etat stimule la demande, a néanmoins “osé” émettre les critiques qui s’imposaient. Ses remarques nécessitent certainement un débat, mais ne peuvent nullement êtres ignorées comme des bavardages de commères. Une raison de plus lorsque l’Etat s’apprête à dépenser près de 8 fois la somme consacrée au premier PSRE. Que pense donc le CNES du précédent plan de relance ? Dans son rapport sur la conjoncture du 2e semestre 2003, l’institution que présidait M. Mentouri estimait que “la démarche économique de l’investissement public semble, dans ses grandes lignes, avoir été affectée par le désir d’accélérer la consommation des crédits sans être particulièrement regardante sur les choix de projets”. Elle pense, à juste titre, que “les efforts considérables en direction des populations pauvres et des catégories marginalisées ainsi qu’en direction des rattrapages des déficits sociaux (…) ne peuvent objectivement suffire en tant que catalyseur d’une relance économique”.

Le constat n’échappe à aucun observateur averti que si les projets lancés entre 2001 et 2003 ont pu tirer la croissance vers le haut, “ils n’ont pas pu la transformer en dynamique de développement portée par des réformes structurelles”.

Les concepteurs du futur programme de relance devraient méditer les causes qui ont fait que le premier PRSE n’a pas pu créer une véritable dynamique de développement. Parmi la série de causes relevées par le CNES, il y a lieu de focaliser sur “la rupture des liaisons intersectorielles”, “les lenteurs observées dans la mise en œuvre des réformes structurelles” (en particulier dans le système bancaire), “les limites des capacités nationales d’absorption” et “la faible implication du secteur privé”.

Pour le CNES, un véritable projet de relance doit mettre un terme au modèle de développement basé essentiellement sur les recettes pétrolières. “Il est particulièrement consternant de constater une épargne de plus en plus importante qui ne trouve plus à s’employer avec l’accumulation importante de ressources monétaires et de réserves de change au niveau des agents économiques (institutions financières, entreprises et ménages)”, lit-on dans le rapport du CNES.

L’explication de ce gâchis réside, selon le Conseil, dans le fait que “l’économie est en butte à un problème fondamental, celui de ne pas être capable de transformer les disponibilités financières importantes en capacités d’investissement et de ne pas être capable de créer des dynamiques d’entreprise et de capital”. La prestation du secteur bancaire est, pour le CNES, en grande partie responsable de la léthargie de l’économie nationale. “Les retards d’adaptation des banques publiques ont rendu les normes d’intervention du secteur anachroniques, voire archaïques par rapport aux nouvelles exigences économiques et sociales et les distanciations très importantes par rapport aux normes de service internationales causent de nombreux préjudices sur le plan de la mobilisation des ressources extérieures. Le manque de rigueur et de transparence dans des opérations bancaires qui couvrent de nombreux procédés peu orthodoxes participant de la corruption et de l’évasion de capitaux ont montré la limite des systèmes de contrôle et de régulation mis en place par les pouvoirs publics.”

L’on comprend aisément qu’un jugement aussi négatif (assez pertinent par ailleurs) du secteur bancaire renforce l’idée chez certains de rendre confidentiels les rapports de cette institution, pour ne pas dire la dissoudre complètement.

Le CNES estime qu’en matière de restructuration du secteur public industriel et de promotion du secteur privé, “beaucoup reste à faire” malgré les résultats positifs réalisés sur le plan macroéconomique. Contrairement au discours officiel, le rapport du Conseil considère que “le tissu de la PME souffre d’un manque d’accompagnement par les pouvoirs publics pour sa mise à niveau laquelle ne semble pas être prise en charge correctement, surtout en matière de stratégies et de politiques”. Plus encore, “la question de la privatisation des entreprises publiques occupe toujours la scène des débats et masque les conditions de mise en œuvre faites de prudence enrobée de pusillanimités”.

Quant au secteur industriel, le CNES pense qu’il y a lieu de nuancer “le degré de satisfecit que l’on pourrait attribuer au niveau de croissance enregistré, considéré comme suffisant pour une reprise de la création d’emploi”. “Ce secteur occupe une part de plus en plus faible dans la valeur ajoutée globale (près de 9% en 2002 contre 8% en 2003 ; elle était de 18% en 1996). De plus, il se caractérise par : l’absence d’une politique industrielle basée sur une vision de moyen et long termes (et) un niveau d’investissement insignifiant dans le secteur public par rapport aux inévitables renouvellements, modernisations et mises à niveau des équipements et des installations.”

Tous ces rappels nous poussent à nous interroger sur la démarche qui sera adoptée dans le cadre du second PRSE quinquennal de 55 milliards de dollars. Cette enveloppe sera-t-elle dépensée comme l’ont été les 7 milliards de dollars ? Le projet du programme de relance sera-t-il discuté dans le cadre d’un organisme comme le CNES ou d’institutions constitutionnelles comme l’APN ? Les objectifs de relance seront-ils liés, cette fois, au démarrage effectif de la machine de production publique et privée ? Des engagements clairs doivent-ils êtres exigés de la part de ceux qui espèrent décrocher des marchés afin qu’ils réinvestissent une partie de leurs bénéfices et accroisent le volume de leurs activités pour procéder à des recrutements ?

Abdelkader Djalil