Bouteflika, la présidence à mort

Bouteflika, la présidence à mort

Un projet de réforme permettrait un nombre illimité de mandats au président algérien.

Par José Garçon, Libération, 22 juin 2006

Abdelaziz Bouteflika a de la suite dans les idées. Depuis son installation au pouvoir, en 1999, et sa réélection, en 2004, le chef de l’Etat voulait modifier la Constitution dans le sens d’un renforcement des pouvoirs présidentiels. Grâce au FLN, l’ex-parti unique, il est en passe d’obtenir bien plus : un texte constitutionnel autorisant un nombre de mandats présidentiels illimité et supprimant le droit de censure du Parlement sur le gouvernement.

Ces deux changements sont ­ avec l’extension des prérogatives présidentielles et la création d’une vice-présidence ­ les principaux points de la réforme constitutionnelle proposée par le FLN et Abdelaziz Belkadem, son secrétaire général-Premier ministre et proche parmi les proches de Bouteflika. Ce projet «n’a rien à voir avec la présidence à vie que le FLN rejette catégoriquement», jure l’ex-parti unique. Et de soutenir, à l’instar du quotidien l’Expression ­ qui exprime les vues de la présidence ­ qu’il revient aux Algériens de «choisir et de rechoisir dix fois et plus le dirigeant en qui ils veulent placer leur confiance».

Desiderata

En attendant le référendum par lequel les Algériens se prononceront ­ peut-être dès septembre ­, il revient au président Bouteflika de trancher sur le nouveau texte. Du moins officiellement. Car la proposition correspond tellement à ses desiderata qu’elle peut seulement lui agréer. A moins qu’il n’en ait été l’inspirateur. «Bouteflika se sait très malade et veut mourir président, au cours de ce second mandat ou d’un troisième, à partir de 2009, si son état le lui permet. Il a donc besoin de pouvoir briguer ce troisième mandat, ce que la Constitution actuelle ne permet pas», résume un connaisseur du dossier.

Le chef de l’Etat entend aussi préparer sa succession. Notamment pour empêcher d’éventuelles poursuites contre sa famille, particulièrement contre ses frères dont l’omniprésence dans les affaires de l’Etat irrite beaucoup le sérail politique algérien. C’est sans doute là qu’il faut rechercher les raisons de la conversion de Bouteflika à la nécessité d’une vice-présidence. Un poste dont il avait refusé la création à l’époque où les généraux tentaient de le lui imposer : il craignait alors que ces derniers aient ainsi une possibilité de l’écarter sans créer un vide politique.

Reste à savoir qui, au terme de la future Constitution, assumera, en cas de vacance du pouvoir, la responsabilité de chef de l’Etat ? Le vice-président ou, comme c’est le cas aujourd’hui, le président du Sénat ? Le projet du FLN ne tranche pas sur cette question pourtant fondamentale compte tenu de la santé précaire de Bouteflika. Mais, dans la mesure où le vice-président sera nommé par le chef de l’Etat, Bouteflika se retrouve, là aussi, maître absolu du jeu. D’autant que le gouvernement ne répondra plus que devant le Président.

Verrouillage

Dix-sept ans après l’adoption, en 1989, d’une Constitution qui restera la plus ouverte qu’ait connue l’Algérie, le régime finit de se donner les moyens de verrouiller l’espace politique par cette énième révision de la loi fondamentale. «L’alternance clanique s’est traduite par une Constitution pour chaque mandat présidentiel», rappelle ainsi le Front des forces socialistes (FFS, opposition). De son côté, le Quotidien d’Oran note dans une chronique intitulée «Présidence à vie», «l’indifférence des Algériens» face à cette «nouvelle copie [qui] n’a besoin ni d’être votée ni de sacrifier à l’usage du débat, étant déjà un fait accompli qui n’a plus besoin que de quelques statistiques de participation massive pour être présenté comme une volonté populaire». Et de conclure : «Le plus grave est que cette proposition de « mobututisme » est vécue comme une fatalité et ne semble même pas mériter une bataille de principe.»