Bouteflika garde la main sur la Défense

LES PREROGATIVES CLARIFIEES

Bouteflika garde la main sur la Défense

Le Quotidien d’Oran, 29 août 2004

En signant le décret présidentiel du 3 août portant constitution d’un secrétariat général de la Défense au sein du MDN, le président Bouteflika a opéré un glissement de l’autorité administrative de l’état-major vers ce nouvel organisme.

C’est un subtil déplacement de chaises musicales qu’a entrepris le président de la République et chef suprême des armées, Abdelaziz Bouteflika au sein de la hiérarchie militaire. En nommant le général-major Ahmed Senhadji, secrétaire général par intérim du MDN, il vide de sa substance l’état-major de l’armée incarné par le général-major Gaïd Salah : «dans les limites de ses attributions et sous l’autorité du ministre de la Défense nationale, le secrétaire général est habilité à signer, au nom du ministre de la Défense nationale, tous actes et décisions y compris les arrêtés» stipule le décret 04-229 qui entérine cette mesure. De ce fait, et contrairement à ce qu’avançaient certains analystes, le poste de ministre de la Défense demeure entre les mains du président, et ceci, depuis la publication du second gouvernement Ouyahia en avril dernier puisqu’il y est précisé que le président est également ministre de la Défense nationale.

Le général-major Senhadji qui vient également d’être conforté à ce poste, depuis sa nomination en 2001, voit ses prérogatives élargies mais sous l’oeil vigilant du président. La différence avec 1995, lorsque l’ancien président Liamine Zeroual, également ministre de la Défense, selon la loi fondamentale 77, avait signé un décret similaire, est qu’il avait confié ces prérogatives de signature au général de corps d’armée, Mohamed Lamari, ancien chef d’état-major de l’ANP. C’est dans la nuance qu’il faut analyser la décision de Bouteflika qui ne compte pas céder sur ses prérogatives institutionnelles. Avec la dépolitisation de l’armée et le retour à une normalisation de ses rapports avec le pouvoir civil, l’ANP intègre, ainsi, la sphère de la décision gouvernementale, en attendant qu’un éventuel ministre de la Défense participe pleinement au futur gouvernement. Si tel est le voeu de Bouteflika.

Mais, en attendant, le président a décidé de confier une sorte de gestion technique du MDN au général-major Senhadji nommé par décret présidentiel pris en Conseil des ministres.

Car, à terme, l’armée va «intégrer» le gouvernement mais les observateurs se déchirent encore sur le statut civil ou militaire du futur nominé au poste. Le général Lamari qui répétait qu’il était «chef d’état-major et non un ministre» avait bien précisé avant de prendre congé, que l’armée préférait avoir un ministre qui siège en Conseil des ministres, «sa présence permettrait de résoudre certaines questions», dira-t-il en faisant référence au complexe débat sur la levée de l’état d’urgence. Cette situation, ainsi que l’achat d’équipements militaires, des arrêtés de fonctionnement ou des nominations seront signées, dorénavant, par le général Senhadji.

Signées mais pas décidées, car le choix des hommes et les postes à pourvoir demeurent les attributs de la présidence qui, dans ces réglages institutionnels, a définitivement récupéré la main sur ce qui faisait la force d’un ministre de la Défense tout puissant, incarné comme à l’époque par Khaled Nezzar.

Reste à savoir, dans quelle mesure, le président Bouteflika poussera sa réflexion à doter le MDN d’une tête visible, ou garder, légitimement, ses prérogatives. Dans d’autres pays, la politique de défense est tracée par le président et exécutée par les militaires. Mais à ce poste, le débat continue sur le fait de savoir qui nommer. Si Bouteflika choisit la continuité, comme dans la passation Lamari – Gaïd Salah, il devrait théoriquement nommer un militaire de carrière, avec un background de l’armée assez solide pour imposer le respect au sein de l’état-major et les commandements intermédiaires. S’il préconise une solution civile, le ministre devrait avoir toute la confiance de Bouteflika, et non des bribes, et avoir la carrure sécuritaire pour ne pas froisser les militaires qui ont la légitime latitude de mettre en avant la discipline du corps et ses sacrifices et qui pourraient refuser de se faire «guider» par un ministre qui ne connaisse rien à la professionnalisation de l’armée.

Si certains ont pensé à Yazid Nouredine Zerhouni dans ce rôle, notamment après qu’il a négocié avec la ministre française de la Défense, Michelle Alliot-Marie au siège du MDN en présence des experts militaires, d’autres avancent leur préférence à un militaire reconnu. Rien n’indique que la porte à un retour du général Lamari soit close, surtout après l’insistance du président Bouteflika à vouloir le garder, mais d’autres officiers supérieurs peuvent aussi bien être à la hauteur de cette tâche qui verrait le poste de ministre de la Défense attribué pour la quatrième fois. Et le 1er Novembre semble tout indiqué pour opérer ce bouleversement dans les mentalités et les institutions.

Mounir B.