Il évoque la crise, l’armée et l’Etat : Hamrouche sort de son silence

Il évoque la crise, l’armée et l’Etat : Hamrouche sort de son silence

par Moncef Wafi, Le Quotidien d’Oran, 18 février 2014

Mouloud Hamrouche, celui qu’on n’attendait plus, est, enfin, sorti de son silence qui a presque l’âge de la mandature présidentielle de Bouteflika, depuis qu’il s’est retiré de la course à El Mouradia, en 1999. L’ancien chef de gouvernement sous Chadli s’est fendu, hier, d’un communiqué didactique qu’il est difficile d’interpréter, tant la situation politique actuelle reste frappée du sceau de l’incertitude. Restent les mots forts, les phrases à souligner et surtout les lectures à faire de cette sortie publique qui, a priori, n’engagent pas l’homme des réformes, mais le placent dans le rôle de l’observateur averti qui englobe du verbe et de son expérience, les derniers événements qui ont ébranlé et secouent, encore, le pays. Sans s’impliquer ou donner des précisions sur le contenu de son texte et de ses intentions futures, Mouloud Hamrouche place l’Armée dans le cœur de son message politique, lui consacrant plusieurs passages. Actualité oblige, il évoque l’institution militaire en termes élogieux rappelant que c’est grâce à l’ALN puis l’ANP que le projet national a pu voir le jour et être conforté et défendu par la suite. «Cela n’a été possible que grâce aux hommes qui ont su trouver des compromis et élaborer des consensus. A chaque étape et à chaque crise, ces hommes ont su préserver l’unité des rangs, la discipline et transcender, tout clivage culturel, tribal, régional, en préservant l’identité et le projet national», peut-on lire dans le même communiqué.

Il explique, plus loin, que l’Armée ne peut assurer pleinement sa mission qu’à condition de garantir un contre-pouvoir au pouvoir en place qui ne peut exister, quant à lui, en dehors de la loi et loin de tout contrôle. «Il y va de l’intérêt et de la sécurité de l’Algérie, de tous les Algériens et de toutes les régions du pays», affirme-t-il. L’ancien chef de gouvernement ne cache pas, par ailleurs, la solennité du moment et souligne toute la sensibilité des événements actuels qui vont conditionner l’avenir «immédiat» du pays et le configurer après le 17 avril, sans pour cela que son sort ne soit lié, forcément, à un quatrième mandat de Bouteflika ou non. Mouloud Hamrouche pressent, également, l’émergence de «nouvelles générations» aux postes de responsabilité pour peu que «les différents intérêts de groupes, de régions et de minorités soient préservés et garantis». Continuant sur sa lancée, il tient à rappeler à l’Etat son rôle dans la préservation des droits et des libertés.

Le communiqué s’interroge, aussi, sur la nécessité d’un retour en arrière et de rappeler les promesses faites d’édifier un Etat de droit qui «survit aux hommes, aux gouvernements et aux crises». Et Mouloud Hamrouche de s’interroger sur l’engagement pris de poursuivre le processus démocratique et la promesse de continuer la réforme. En filigrane, on devine que le destinataire ne peut être que l’institution militaire, omniprésente dans les prises de décision. Le ton est presque à la menace, à peine voilée, de divulguer des secrets, des alliances ou encore des deals, entre l’Armée et la classe politique, mais en absence d’indices forts de l’ex chef de gouvernement, on ne peut que se contenter d’extrapolations parfois hasardeuses.

En parlant de crise dans la chute du communiqué, il affirme, clairement, que l’Algérie a deux options : soit de saisir l’opportunité qui s’offre au pays soit ouvrir une nouvelle page de violence. En choisissant ce moment pour s’exprimer publiquement, Mouloud Hamrouche tient-il à se rappeler au bon souvenir des vrais décideurs, cherche-t-il à se replacer dans la course à la présidentielle ou n’est-il mû que par un sentiment patriotique qui a peur pour l’avenir de son pays ? L’avenir immédiat nous répondra.


Election présidentielle : Une sortie et des interrogations

par Ghania Oukazi

La déclaration que Mouloud Hamrouche a rendue publique hier est venue reconfigurer une scène politique qui semblait pourtant acquise aux adeptes d’un 4e mandat pour Bouteflika.

L’ancien chef du gouvernement, entre la fin des années 1980 et le début de celles de 1990, est sorti d’une réserve qu’il s’est imposé depuis qu’il a été un candidat malheureux de la présidentielle de 1999. Cette sortie pourrait être annonciatrice d’un bouleversement de toutes les donnes qui, jusqu’à aujourd’hui, ont été retenues pour tenter un éclairage de la scène politique nationale. Hamrouche a parlé certainement pour dire quelque chose d’important. Etant un enfant du système, il doit en connaître toutes les partitions. Le pouvoir ne fait jamais rien pour rien. Il est vrai que ce lieutenant-colonel à la retraite a été de tout temps l’enfant mal-aimé de l’armée. Mais il semble que pour cette fois, il lui sera donné un rôle prépondérant dans le jeu politique qui se trame en prévision de l’élection présidentiel du 17 avril prochain.

L’on apprend de sources sûres que Mouloud Hamrouche a été, ces derniers jours, l’hôte de deux importants acteurs dans ce jeu, le général de corps d’armée, le général major Gaïd Salah et Saïd Bouteflika, le frère du président de la République. Une telle rencontre ne peut être dictée que par les contingences d’une conjoncture bien spéciale et de ce que celles-ci imposent comme précautions à prendre et à garantir pour « assurer la continuité et la stabilité ». Hamrouche a eu à dire à ses proches qu’il ne se présentera pas contre Bouteflika et qu’il ne fera pas de déclaration contre le système. Mais sa déclaration d’hier est venue, selon toute vraisemblance, le délivrer de sa lourde réserve en prévision d’un nouveau rôle. Gaïd Salah et Saïd Bouteflika l’ont rencontré pour, selon nos sources, lui proposer d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Deux hypothèses ont dû prévaloir à ce choix.

LA REPRISE DU DEAL BOUTEFLIKA-AÏT AHMED ?

La première, c’est qu’il doit être constaté que la santé du président ne lui permet pas de briguer un 4e mandat. Hamrouche est en effet cette carte que le clan Bouteflika détenait depuis longtemps pour prévenir d’une telle situation. En fait, elle a été retenue en tant que telle, depuis qu’il a été avancé la conclusion d’un deal entre le président et le leader du FFS à la veille des dernières élections législatives. L’on avait déjà noté dans ces mêmes colonnes que Bouteflika et Hocine Aït Ahmed avaient conclu un pacte ensemble pour s’entendre sur l’essentiel, à savoir une alternative politique qui permettra de préserver «les acquis et les intérêts». Alternative qui reposerait sur un retour triomphant de Hamrouche sur la scène politique, cette fois, en tant que «candidat du consensus». Il est bien dit que le consensus dont il est question lie uniquement deux parties bien distinctes, le clan Bouteflika et Hocine Aït Ahmed. Révolu le temps où plusieurs cercles devaient apposer leur signature pour tout pas décisif devant être franchi par le pouvoir. Celui-ci est aujourd’hui bien centralisé jusqu’à permettre à Saïd d’en régenter les services au même titre que le président en personne. La carte Hamrouche est aujourd’hui avancée pour être abattue dans les tout prochains jours. «Dans les prochaines 48h», dit-on. Il reste à peine une dizaine de jours pour que les délais des candidatures aux candidatures soient achevés. Le pouvoir presse donc le pas et avance vers une solution de rechange «ou de préservation de la continuité».

EN ATTENDANT «LE MOMENT PROPICE»

Dans sa déclaration, Hamrouche parle de ces hommes de l’Armée nationale populaire «qui ont su trouver des compromis et élaborer des consensus ». A chaque étape et à chaque crise, écrit-il encore, « ces hommes ont su préserver l’unité nationale des rangs, la discipline et transcender tout clivage, culturel, tribal, régional, en préservant l’identité du projet national». Les mots sont clairs et précis. Ils reflètent même la nature du fonctionnement du pouvoir depuis sa création à ce jour. L’on a entendu ici et là depuis samedi dernier, que «l’annonce par Bouteflika de sa candidature à l’élection présidentielle a été enregistrée et qu’on attend le moment propice pour la diffuser». On parle «d’aujourd’hui, lundi, demain peut-être», mais il semble que le lundi 24 février est plus «propice». Il l’est parce qu’il coïncide avec le double anniversaire, la création de l’UGTA et la nationalisation des hydrocarbures. Il sera fêté à Tébessa «pour dire aux gens de l’Est que le pouvoir ne vous oublie jamais, et pense continuellement à vous», nous dit-on.

Ce qui paraît le plus probable, c’est que Bouteflika n’a pas vraiment besoin d’une date événement pour annoncer sa candidature mais il en aura besoin dans le cas s’il devait s’adresser à la Nation pour lui annoncer qu’il ne sera pas candidat et qu’il préfère céder la place. «Faut-il convoquer aujourd’hui la promesse d’édifier un Etat moderne qui survit aux hommes, aux gouvernements et aux crises ?», interroge Hamrouche dans sa déclaration. La deuxième hypothèse est que Hamrouche entre dans l’arcane de l’élection et il est placé second après le président pour qu’il soit nommé vice-président après révision de la Constitution. Bouteflika pourrait ainsi se décharger auprès de lui de ses prérogatives.

HAMROUCHE NE SIFFLERA PAS LA FIN DU SYSTEME

Un éventuel retour de Hamrouche mettra en tous cas fin à beaucoup d’ambitions, de prétentions, d’opportunismes et de fanfaronnades. Mais il ne sifflera pas la fin du système, bien au contraire. Issu et élevé dans les arcanes du pouvoir, il a donné un certain temps, l’air de se couler une retraite dorée, loin de toutes ces agitations, cette gabegie et ces dérives. A 73 ans, il pourrait pourtant avoir l’envie de se retremper dans ce dédale. Ceci, même s’il sait que l’héritage est lourd, compromettant et hasardeux. L’on voit mal comment va-t-il déclarer la guerre à la corruption s’il accepte d’être le candidat d’un consensus bien particulier. A moins que le terrain lui sera bien déblayé. L’on pense que Bouteflika a déjà signé trois importants décrets, un pour consacrer une amnistie générale politique et économique, le second pour mettre fin aux fonctions du patron du DRS et le troisième pour restructurer les services de renseignement comme rêvé par Yazid Zerhouni. Le tout devrait être annoncé en principe après l’élection présidentielle. Reste à savoir qu’elle est la garantie qui pourrait être donnée par Hamrouche à ses parrains pour respecter le deal qu’il aurait conclu avec ceux qui l’auraient ramené. Il aurait déjà dit qu’il ne (re)viendrait pas pour régler des comptes et qu’il travaillerait avec toutes les compétences quelle que soit leur tendance. L’on s’attend ces jours-ci à ce que l’actuel SG du FLN soit destitué de son poste pour le laisser à Belkhadem. Les événements vont se bousculer pour faire place au changement tel que voulu et décidé. Saadani aura ainsi exécuté sa mission comme il se devait. Il est clair qu’il était en service commandé pour un temps bien précis.

Celle de la démystification du nom et des missions du DRS, en prévision d’une fin de règne. «Ne vous braquez pas sur le personnage, cherchez ce qu’il y a derrière», nous disait un proche de Bouteflika à la nomination de Saadani à la tête du FLN. L’individu est ainsi presque blanchi de son lourd passé et présent. L’amnistie à venir fera le reste, pour lui et pour tous les autres.


Un retour bien particulier

par G. O.

Il est vrai que Mouloud Hamrouche a fait partie des candidats qui s’étaient ressaisis pour se rendre compte en 1999 que les dés étaient jetés et que le siège présidentiel était déjà attribué à Abdelaziz Bouteflika. Il est vrai aussi que depuis, Hamrouche avait fait des sauts médiatiques ici et là mais sans grande portée. Aujourd’hui, il fait la Une de quasiment l’ensemble des médias en publiant une déclaration qu’il dédie dans son ensemble à l’Armée nationale populaire (ANP). Etant lui-même un membre de ses troupes avec le grade de lieutenant-colonel à la retraite, Hamrouche n’a jamais eu la chance d’être projeté au-devant de la scène depuis qu’il a été forcé de quitter son poste de chef de gouvernement en 1991. L’embrassement de la scène politique sous les épreuves de force du Fis avait fait de lui un bon bouc émissaire. L’Armée l’avait sacrifié à cause des gros troubles à l’ordre public qui avaient été provoqués à l’époque par les militants du Fis. Il lui a été reproché, en clair, d’avoir «fermé les yeux» devant la forte et dangereuse poussée des islamistes. Son gouvernement était pris au piège entre une institution militaire qui avait mal fait ses calculs et sous-estimé la détérioration de la situation politique, et le déferlement des islamistes avec ce que cela comportait comme dangers à la République et à la Nation. «Si cela est considéré comme une complicité (tawatou) avec le Front islamique du salut (Fis), eh bien, c’en est une !», avait répondu Hamrouche à une question qui lui a été posée lors d’une émission consacrée par l’ENTV aux candidats à la présidentielle de 1999.

«Quel que soit ce qui sera dit sur lui, il a été le chef du gouvernement qui avait permis l’émergence de la presse privée», nous disait hier un haut fonctionnaire. Il rappelle alors qu’il a été «le meneur» du cycle «des réformes démocratiques» décidées par Chadli Bendjedid et dont l’essentiel a été l’ouverture du champ politique au multipartisme. L’histoire retient surtout qu’il a fallu les douloureux événements du 5 Octobre 88 pour que les forts centres décisionnels qui existaient à l’époque lâchent du lest. Entre autres pas franchis à cet effet, la légalisation de l’entrée des islamistes dans la vie politique avec tout ce que cela annonçait comme désastre au pays et au peuple. La suite est connue. Mouloud Hamrouche a parlé hier alors qu’il avait déclaré à ses «amis» qu’il ne ferait pas de déclarations, qu’il ne critiquerait pas le système, qu’il ne se présenterait pas contre Bouteflika. Sa déclaration pourrait pourtant être un signe d’un retour bien particulier, dans tout ce magma. Il serait en effet étonnant qu’il publie une déclaration juste pour faire parler de lui.