Bruits de sérail sur fond de présidentielle

PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE

Bruits de sérail sur fond de présidentielle

Le Quotidien d’Oran,13 juillet 2003

Le chef du gouvernement a demandé à l’ensemble de ses ministres d’élaborer des programmes de travail avec des projections sur dix ans. Il les a aussi prévenus qu’ils devaient se préparer pour assister à des conseils de gouvernement, de nuit.

Ahmed Ouyahia a décidé de faire travailler ses ministres aussi longtemps qu’il le faut. Entre conseils du gouvernement et conseils interministériels qu’il préside toutes les semaines, le chef du gouvernement a annoncé à son équipe qu’elle doit, aussi, se tenir prête pour des réunions de travail nocturnes.

Il exige maintenant de ses ministres et autres collaborateurs de haut niveau de plancher sur des programmes de travail couvrant les dix années à venir.

L’enjeu, dit-on, pallier le manque de stratégie dont souffre toujours l’action gouvernementale

L’on se demande, cependant, si ce genre de décisions relève de lui ou émane de la présidence de la République ou alors d’autres cercles de décisions. L’interrogation vaut son pesant d’or quand on sait qu’Ouyahia est connu pour prendre sur lui des décisions prises ailleurs. «L’homme a toujours assumé des décisions prises par d’autres», se plaît-on à dire en haut lieu. Les ponctions des salaires des travailleurs opérées sous Zeroual sont particulièrement évoquées pour rappeler qu’Ouyahia avait mis sur son compte une action décidée par le cabinet présidentiel de l’époque. Ouyahia est toujours présenté comme étant un homme qui ne recule devant rien.

A ce propos, il est dit de lui que son retour à la tête de l’Exécutif a été suggéré -pour ne pas dire exigé- par des cercles extérieurs au cabinet de la présidence de la République. A ce niveau, il faut reconnaître que le limogeage de Ali Benflis n’a pas été fait sans provoquer de remous.

Larbi Belkheir a été particulièrement secoué par cet épisode. Le directeur de cabinet à la Présidence n’était d’ailleurs pas à sa première déception. Il doit en avoir recensé bien d’autres depuis sa nomination à un poste qu’il n’a accepté d’occuper que sur de fortes pressions de la plus haute hiérarchie militaire. L’homme de l’ombre qu’il a été depuis de longues années s’est vu projeté au devant d’une scène dont un des acteurs principaux lui a quelque peu échappé. Il s’agit bien sûr du président de la République qu’il a pourtant parrainé et défendu auprès des militaires sans pour autant maîtriser tous les aspects de sa personnalité. L’on dit de sources qui lui sont proches, qu’il s’est trouvé quelquefois devant des situations «inédites» en raison du caractère imprévisible de Bouteflika, de son impulsivité et de ses contradictions. Le tout n’a pas été toujours du goût des grands décideurs du pays. Mohamed Lamari, le général de corps d’armée, chef d’état-major n’a selon des sources crédibles, jamais manqué de faire part à Belkheir de son irritation à cet effet.

Dans une réunion tenue, il y a quelques mois de cela, au plus haut niveau des hiérarchies militaire et civile, «les esprits ont chauffé ce jour-là plus qu’il n’en fallait». L’on aurait même noté «un écart de langage» de la part du chef d’état-major. Ce qui n’a pas échappé au chef de l’Etat. «Il a pris acte», dit-on. Encore une fois, Belkheir se devait de remettre les choses à leur place et calmer les esprits. Il aura d’ailleurs tenu ce rôle pendant près de cinq ans, le temps du mandat présidentiel. Il y a quelques jours, le directeur de cabinet s’est déplacé à l’étranger «pour régler des affaires personnelles». C’est dans le cadre d’un congé «qu’il avait toujours refusé de prendre auparavant» que Belkheir aurait ainsi pris «un temps pour lui». L’on dit de lui qu’il est fatigué et «qu’il avait besoin d’un peu de repos». Placé depuis 1999 entre le marteau et l’enclume, «Si Larbi se dit las», selon des sources qui lui sont proches.

En ces temps incertains à la veille des présidentielles, un tel départ même court, pourrait prêter à des interprétations en rapport avec la relation qui le lie à Bouteflika. Si tel est le cas, ce dernier a dû certainement s’en rendre compte. Et c’est probablement l’heure du «recul pour tout le monde».

En haut lieu, on a toujours prétendu que les choses prendraient véritablement forme au plus six mois avant l’échéance électorale de 2004.

Rien n’est encore tranché, semble-t-il à ce sujet «même s’il y a quelques mois de cela, tout était acquis au président-candidat». Le discours prononcé par le chef de l’Etat aux Tagarins pourrait être cet indice qui montrerait qu’il a eu bouleversement de l’ordre (r)établi. Les éloges de Bouteflika à l’ANP pourraient, en effet, viser un rapprochement ou alors «une redéfinition des rôles et prérogatives» de chaque partie dans «le jeu». C’est peut-être aussi le point de départ d’une négociation qui s’annonce, d’ores et déjà, ardue. L’on susurre dans les couloirs du ministère de la Défense nationale que Lamari a exprimé le voeu de partir «mais on a rejeté sa demande parce qu’il n’y a personne qui peut le remplacer». Des propos qui ont fait sourire un grand nombre de militaires en poste. Rentré le week-end dernier de l’étranger, Larbi Belkheir aurait rejoint son poste de directeur de cabinet, en ce début de semaine. Les signes de fatigue de celui qui est considéré comme étant le bras droit du Président pourraient persister ou s’accentuer.

Une fatigue que les observateurs jugent beaucoup plus morale que physique. «Tempérer les esprits des uns» et «rectifier les tirs d’autres» est une mission loin d’avoir été aisée pour quelqu’un dont la sortie de l’ombre a, peut-être, quelque peu fragilisé, voire discrédité. L’élection présidentielle de 2004 exige d’autres sacrifices que ceux déjà consommés.

A la rentrée sociale ou au plus tard d’ici à la fin de l’année, d’autres signes pourraient être perceptibles pour justement marquer définitivement le choix des uns et les refus d’autres cercles de décisions. Pour l’instant, en hauts lieux «on fait et défait les alternatives». En attendant, Ahmed Ouyahia travaille d’arrache-pied. Manière probablement de corriger des lacunes de gestion que des échos du MDN donnent pour aberrantes.

Ghania Oukazi