Ksentini en poisson-pilote

Le projet d’amnistie se précise de plus en plus

Ksentini en poisson-pilote

Par :Omar Ouali, Liberté, 3 septembre 2009

Le président de la Commission de protection des droits de l’Homme considère que la réconciliation nationale a atteint quasiment ses objectifs, ce qui rend, selon lui, nécessaire le passage à l’étape de l’amnistie générale pour tourner définitivement la page des années de violence islamo-terroriste.
Paradoxe saisissant : c’est au moment où il est question d’un aggiornamento au sein de la Commission de promotion des droits de l’Homme pour la mettre en cohérence avec “les conventions pertinentes de l’ONU” que Farouk Ksentini, logiquement en fin de mission, soulève un gros lièvre. Encore un autre ! Mardi, sur les ondes de la radio, il affirme que “l’amnistie générale”, un mot tabou, il n’y a pas si longtemps, ne serait plus qu’une question de calendrier. “Je pense que 2010 sera l’année de l’amnistie générale pour tourner la page”, plaide-t-il en espérant qu’“il y aura cette amnistie pour tourner définitivement la page”. Même si Farouk Ksentini prend la précaution de parler en son nom personnel et d’évoquer ce projet politique sur le mode de l’hypothétique, son propos est à prendre néanmoins avec beaucoup de sérieux compte tenu de sa proximité avec la présidence de la République dont sa structure relève. On l’a vu par le passé faire des annonces qui se seront par la suite confirmées. Dans son rôle de poisson-pilote, le président de la Commission de promotion des droits de l’Homme affiche sa préférence pour le référendum. “Le référendum est sans doute le meilleur moyen pour que le peuple donne son avis sur ce dossier sensible”, appuie-t-il en considérant que l’Algérie avait bien vécu “une guerre civile”. Encore un mot que ni le pouvoir ni l’opposition n’avaient la témérité d’utiliser, lui préférant celui pudique et fourre-tout de “tragédie nationale”. Le fait pour lui d’avancer une date, approximative bien sûr, et une modalité, le référendum, est signe que l’amnistie générale est un projet arrivé à maturité au plus haut niveau de la décision politique. Il s’agira désormais de passer à une autre étape celle de le “vendre” à l’opinion et dans cette optique Farouk Ksentini porte les habits de VRP pour le compte du président Bouteflika qui s’est pourtant scrupuleusement gardé dans ses discours de parler ouvertement d’amnistie générale. Sauf à l’occasion de son discours à la coupole du 5-Juillet au moment où il annonçait sa candidature pour le troisième mandat. Un silence somme toute tactique puisque les autres, notamment Belkhadem et Abou Djerra Soltani n’ont eu de cesse d’appeler à “l’approfondissement de la politique de réconciliation nationale”, une formule sibylline dont le véritable sens chez ces deux acteurs politiques n’échappe pas aux observateurs avisés de la scène politique. Il y a un peu plus d’une semaine, faisant l’écho à Belkhadem, le patron du MSP déclarait, sans ambages, à l’université du parti à Boumerdès que “la priorité” pour son parti était l’amnistie. Et les déclarations de Ksentini avant-hier s’inscrivent dans la même logique, chacun intervenant selon un timing précis. Dans son plaidoyer, il estimait que “la réconciliation nationale a sans doute réalisé ses objectifs à 80% ou 90%, il reste à prendre en charge les parties non encore prises en compte comme les internés du Sud qui ont besoin d’une indemnisation et d’une réhabilitation”. Et de son point de vue, le cas de ces
1 800 00 détenus et de tous les terroristes qui sont en attente de reddition dans les maquis, doit trouver sa solution dans la troisième étape du processus dont les deux précédentes étaient la concorde civile puis la réconciliation nationale. Mais au-delà du propos de Ksentini qu’il faut prendre en considération, c’est de se demander sur quel paramètre est basée l’opportunité politique d’un référendum pour l’année prochaine ? Comment aller vers l’amnistie, alors que les actes de violence islamo-terroriste continuent d’être perpétrés, que les familles des disparus crient à l’amnésie, que les familles des victimes du terrorisme hurlent leur indignation. À moins qu’il s’agisse dans l’esprit des adeptes de l’amnistie de forcer le destin et de mettre tout le monde devant le fait accompli à travers un référendum approbateur, dont le but politique suprême est de plomber définitivement la période de violence terroriste. Avec ce risque cependant de miner la mémoire et de piéger l’avenir. Car une fois l’amnistie actée, aucune institution ne sera fondée à refuser Ali Benhadj et ses amis de revenir sur la scène politique et créer un ersatz du FIS pour, au final, ramener le pays à la case départ.


Farouk Ksentini précise son idée sur l’amnistie générale

“Le temps raisonnable est venu pour en finir”

Par :Nissa Hammadi, Liberté, 3 septembre 2009

Dans cet entretien, le président de la Commission consultative de promotion des droits de l’Homme développe ses arguments en faveur d’une amnistie générale en précisant que celle-ci ne signifie pas cessation de la lutte contre les terroristes qui refuseront de se rendre.

Liberté : Vous avez affirmé récemment que 2010 sera l’année de l’amnistie. D’où vous vient cette conviction ?
Me Farouk Ksentini : Ma conviction est d’inspiration personnelle. Vous savez, les grandes décisions comme celle-ci se prennent au début et non à la fin du mandat présidentiel. Le temps raisonnable est venu pour en finir avec la réconciliation nationale à laquelle on peut lui rattacher l’amnistie.

Pourquoi un référendum ? Cette question peut aussi bien être soumise au vote du Parlement ?
Le référendum est sans doute le meilleur moyen pour que le peuple donne son avis sur un dossier aussi sensible. Je pense que cela sera le cas. Le président de la République en a déjà parlé. C’est un moyen démocratique.

Les précédents votes ont été entachés de fraude, comment être sûr que cette fois-ci, le choix du peuple sera respecté ?
La fraude, je la conteste. Seulement durant la dernière élection, des observateurs internationaux étaient présents et aucun d’eux n’a parlé de fraude. Le référendum est un moyen démocratique. C’est faire entendre la voix du peuple, et c’est à lui de refuser ou d’accepter cette amnistie générale.

Y a-t-il un préalable à cette amnistie ?
Bien sûr qu’il y a un préalable, c’est la reddition de tous les terroristes. Qu’ils se rendent d’abord, ensuite ils seront amnistiés.

Les terroristes encore en activité ont refusé toutes les précédentes mains tendues de l’État, qu’est-ce qui vous fait dire qu’ils accepteront de se rendre cette fois-ci ?
Je pense que c’est faisable. Il n’y a aucun obstacle d’aucune nature que ce soit. Il suffit de poser le problème et subordonner l’amnistie à la reddition des terroristes. Soit ils acceptent, soit ils seront exterminés. L’amnistie générale ne veut pas dire que les forces de l’ordre vont cesser de combattre le terrorisme. Ils seront toujours combattus s’ils refusent de se rendre.

Que contiendra de plus l’amnistie générale par rapport à la Charte pour la paix et la réconciliation ?
Les terroristes qui se rendent cesseront d’être poursuivis, c’est déjà beaucoup. S’il n’y a plus de terrorisme, le pays va retrouver une paix civile. Toutes les possibilités seront possibles. L’économie va reprendre un coup de fouet, l’investissement va être dynamisé, etc.

Les autres offres de paix se sont soldées par un bilan très mitigé. Pourquoi s’acharner à poursuivre dans cette voie ?
Comment ça les autres démarches de paix n’ont rien donné ! La vie normale a repris à 90%, l’économie a redémarré, les gens vont à la plage. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour prétendre que les efforts de l’État pour rétablir la paix n’ont rien donné.

Sans vérité et justice, est-il possible de renouer avec la paix tout en apaisant les esprits et fermant les blessures ?
La justice et la vérité, c’est l’affaire des historiens, pas des politiques.

Avant d’entamer l’organisation du référendum autour de cette amnistie, pensez-vous que le chef de l’État engagera des discussions avec des personnes concernées par ce dossier ?
Le Président a toujours suivi une démarche démocratique. C’est un homme ouvert au dialogue. Il consultera certainement les partenaires sociaux et politiques. Il ne va pas agir isolément. Cette amnistie, personnellement, je l’ai souhaitée et je soutiens le Président à fond sur cette question. La réconciliation nationale s’est achevée, il faut la clôturer par l’amnistie pour que le pays tourne une page agitée de son histoire.

Les familles de victimes du terrorisme se sentent lésées et réclament un statut et plus de droits. Cette amnistie qui se prépare sera-t-elle accompagnée de mesures en leur faveur ?
Les familles de victimes du terrorisme ont été prises en charge par la Charte pour la paix et la réconciliation. Ces familles ont été indemnisées. Aucun pays n’a fourni un effort financier aussi considérable dans le domaine.

N. H.