Bouteflika: « Des parties à l’intérieur du pouvoir ne croient pas à la réconciliation »

Béchar

Les mises en garde de Bouteflika

« Des parties à l’intérieur du pouvoir ne croient pas à la réconciliation »

El Watan, 29 août 2005

« Des parties à l’intérieur du pouvoir ne croient pas à la réconciliation nationale. D’autres à l’extérieur du pouvoir aussi n’y croient pas. Mais il y a aussi des gens loin de la politique, qui font dans les affaires et que la guerre arrange leur business », a déclaré Abdelaziz Bouteflika, hier, lors d’un meeting à la salle omnisports de Debdabah à Béchar (1100 km au sud-ouest d’Alger), devant un public béchari, mais aussi des délégations venues de Tindouf, Naâma et Adrar.

Discours de 65 minutes. Gardes du corps sur les nerfs. Le public chahute joyeusement le Président, l’applaudit, lui témoigne la ferveur due au « père ». Bouteflika a usé de l’habituel « Riyyah ! Assis ! », lancé cette fois à une femme âgée. Les officiels et les représentants de la société civile restent disciplinés. « Des gens, des corps constitués, wahadate tandhimiya, préfèrent que les choses restent en l’état, pour qu’on ne leur dise pas “rentrez chez vous”. Ils n’ont rien à craindre, on ne leur dira pas “rentrez chez vous” », a ajouté le chef de l’Etat. Le Président avait avancé qu’il y avait « non pas deux parties » dans la crise, mais « plusieurs parties ». A Sétif, le 25 août dernier, Bouteflika avait résumé la crise en confrontation entre « théocrates » et « laïcs ». « J’étais à l’extérieur du pouvoir et il y avait des éradicateurs, et j’ai toujours été pour la réconciliation. Je n’ai pas changé », a martelé le Président, rappelant que ses campagnes présidentielles de 1999 et de 2004 avaient pour axe « la réconciliation nationale » et que le programme du gouvernement adopté par le Parlement est également basé sur ce concept. « Mazal mechwar el mousalaha twil (la route de la réconciliation reste longue) », a-t-il lancé. Où mènera-t-elle ? A une sorte d’« amnistie générale ? » « Il n’y a pas de solution aujourd’hui qui s’appelle amnistie générale. Même si je suis sûr de votre générosité. L’amnistie générale signifie un retour en arrière. Mais quel Algérien veut revenir à 1990 ? Qui veut revenir aux massacres ? », a dit le chef de l’Etat. « Wallah, on ne reviendra pas à 1990 », s’est-il engagé, brocardant celui « qui a appelé à égorger nos deux fils à Bagdad ». « Qui est cet Algérien qui licite le sang de nos enfants ? », a-t-il répété tirant à boulets rouges sur ceux qui ont « nourri la fitna par tous les moyens en travaillant avec des intérêts étrangers ». Pourtant, il a déclaré plus loin qu’il « n’est pas encore temps pou revenir en arrière ». Il a évoqué le processus depuis la loi sur la rahma puis la concorde et ensuite la réconciliation comme une « vaccination » graduelle. « Il faut suivre les étapes comme on suit une ordonnance », a-t-il dit sans préciser qui l’a prescrite. « La réconciliation nationale est venue au bon moment », a-t-il poursuivi. Mais il a continué à expliquer que « l’amnistie générale exige une plateforme politique et juridique et nécessite des mesures qui ne seraient possibles que dans un Etat de droit, un Etat constitutionnel ». Il a dénié aux « politiques qui travaillent pour l’extérieur » la capacité de porter un tel projet. Que veut dire ce flux et reflux dans les déclarations de Bouteflika ? Cache-t-il un vœu secret d’aller vers une autre étape de la « réconciliation » ? Il a évoqué les « équilibres nationaux », des « équilibres dans le société » qui l’auraient dissuadé d’amnistier des terroristes condamnés à mort. A ses yeux, la loi sur la rahma (loi sur la clémence, lancée sous Zeroual), a été pétrie de « bonnes intentions », mais, a-t-il nuancé, « celui qui était au maquis la regardais comme une atteinte à sa dignité puisqu’il se voyait comme héros ». « Comme si porter les armes contre son Etat permettait d’être un héros ! », a-t-il poursuivi. « Il faut prendre en charge, sur un même pied d’égalité, toutes les victimes de la tragédie nationale. Mais il n’est pas possible de mettre sur un pied d’égalité ceux qui ont employé la violence pour défendre la République et ceux qui l’ont employée pour la combattre », a annoncé Bouteflika, prenant sur lui la « responsabilité de régler le problème de chacune des deux catégories ». Il n’a pas expliqué comment gérer les conséquences du monopole et de la démonopolisation de la violence. Cela fait-il partie d’une nouvelle étape à venir ? « Certains n’aimeront pas ce que je vais dire : les disparus sont le fait du terrorisme. Je ne suis ni naïf ni idiot, il est possible que des disparus soient le fait de dépassements sécuritaires, administratifs, du pouvoir. Mais que faire, couper la tête à tout le monde ? », a lâché Bouteflika. Il ne s’est pas exprimé sur la demande de SOS Disparus qui a demandé à le recevoir. Ni s’il décidera de publier le rapport remis en mars 2005 par le comité ad hoc sur les disparus que Bouteflika a installé. « Qui connaît la vérité à part Dieu ? », telle semble la réponse du Président aux demandes d’enquêtes sur les crimes terroristes et les dépassements étatiques. « Aujourd’hui, le maximum que peut oser un sage est contenu dans le projet de charte pour la paix et la réconciliation », a affirmé le Président. Peut-on discuter de ce « maximum » dans un débat électoral, comme le garantit le droit constitutionnel ? « A-t-on le temps suffisant pour réfléchir qui de l’œuf ou de la poule ont précédé ? Il n’y pas à philosopher. C’est une question aux mains des agriculteurs, des travailleurs, des hommes, des femmes… », a déclaré le Président Bouteflika. Oublions alors les débats dans la société, la campagne électorale équitable, le travail de Paul Ricœur, de Jacques Derrida et plus de trois mille ans de pensée sur la notion du pardon depuis Abraham. Il a révélé que la loi sera clémente, « car nous sommes des gens de clémence et de réconciliation » envers les éléments de groupes armés non exonérés de poursuites judiciaires. « Il n’y a pas de haine, mais il faut que la loi tranche entre nous », a déclaré Bouteflika. Il n’a pas expliqué comment faire justice alors que la vérité « n’appartient qu’à Dieu », comme il le répète. « Il faut que l’Algérie retrouve la paix et la sécurité pour solutionner les problèmes des familles, des archs, les tribus, les douars, les personnes », a assuré le Président tout en affirmant qu’il « n’existe pas de baguette magique qui changera les choses ». Pourtant, la réconciliation, selon Yemman Bachir, vice-président de l’association de la zaouïa Ziania de Kenadsa (25 km de Béchar), y croit. C’est d’ailleurs dans cette zaouïa, dont la fondation remonte à 1651, que le Président Bouteflika a choisi d’entamer sa visite d’hier. « Quand Sidi Mohamed Ben Abi Ziane est arrivé dans la région en 1700, il a trouvé un conflit entre les tribus de Dhoui Mniî, de Dhoui Djerir et de Hemiane. Il a conditionné son installation à Kenadsa par la fin du conflit et il a réussi à réconcilier les tribus. C’est une vieille tradition et c’est pour cela que nous soutenons le Président dans son projet », a expliqué Yemman. Le souci de vérité et de justice ? « Dans nos traditions, quand il y a meurtre, on prend un mouton et on s’invite chez les proches de la victime. On égorge le mouton et les gens se réconcilient », poursuit l’homme. Ad. M.

Adlène Meddi