Bouteflika: «Nous ne reviendrons jamais sur le principe de la lutte contre le terrorisme»

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

«Nous ne reviendrons jamais sur le principe de la lutte contre le terrorisme»

Le Quotidien d’Oran, 1 novembre 2004

Dans son discours prononcé hier à partir de Club des Pins, le chef de l’Etat a prôné la réconciliation nationale mais a promis de ne rien faire dans ce domaine sans consulter le peuple par voie référendaire.

L’avènement du cinquantenaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, le président de la République l’a consacré essentiellement à la réconciliation nationale et à la paix. Que ce soit lors de son passage à l’ APN ou hier au Palais des nations, Bouteflika a tenu à faire savoir qu’il fera de la réconciliation nationale son cheval de bataille. Il a pris le soin de prendre comme référents l’authenticité et les fondamentaux de l’ identité nationale pour appeler la Nation à se réconcilier avec elle-même.

  Membres du gouvernement, hautes personnalités de l’Etat, responsables d’ institutions, corps diplomatiques et autres représentants de la société civile ont écouté pendant plus de deux heures hier le Président. Il racontera le 1er Novembre 1954 en notant que la révolution algérienne a été d’une grandeur sans égale. Il parlera longuement du terrorisme et de «ces Algériens qui tuaient des Algériens et de ceux qui ont plongé des familles entières dans la désolation».         Le chef de l’Etat a affirmé sa détermination à mener une lutte implacable contre le terrorisme. «La lutte doit être menée avec tous les moyens, c’est un choix irréversible mais c’est la responsabilité de tous», dira-t-il en précisant qu’aujourd’hui l’Algérie est confortée dans sa logique de la lutte contre le terrorisme par l’ ensemble de la communauté internationale.

«Rassembler les Algériens avec eux-mêmes, tous, sans exclusion aucune, la sécurité et la paix avant tout», sont les propos que le chef de l’Etat a mis en exergue pour indiquer que «ce n’est qu’à partir de là qu’une nouvelle page de la démocratie s’écrira». Une démocratie qui ne doit être, selon lui, «ni superficielle, ni importée, ni imposée de l’extérieur mais basée sur les convictions profondes de notre peuple». «Déjà pendant la colonisation, le peuple connaissait la démocratie et savait s’en servir», a-t-il soutenu. Mais la démocratie, à ses yeux, devra être pratiquée dans les règles de la République «pour qu’elle ne dévie pas de sa trajectoire comme cela a été le cas dans le passé».

  A «ceux qui ont commis des fautes impardonnables envers le peuple», Bouteflika déclare lancer «un message, celui de la paix et de la réconciliation», tout en réaffirmant encore une fois que «la lutte contre le terrorisme est un principe sur lequel nous ne reviendrons jamais».  Mais en faisant son plaidoyer pour la réconciliation et la paix, le chef de l’Etat fera état de son intention de consulter le peuple. «Si vous voulez l’ amnistie, je suis pour, si vous voulez une réconciliation générale, je la veux aussi mais je ne ferais rien sans demander l’aval du peuple», dira-t-il. «Nous ne pouvons ignorer les défis qui s’imposent aujourd’hui à nous mais nous ne pouvons pas anticiper sur ceux qui nous attendent dans l’ avenir, nous organiserons un référendum pour toutes les questions cruciales qui doivent être tranchées», a-t-il promis. Aucun élément du discours ne précisera, cependant, le concept de réconciliation ni ce que veut exactement faire le Président dans ce sens même si au fur et à mesure qu’il avançait dans son discours, il semblait vouloir y mettre des balises. «Je n’agirais que dans le cadre de la Constitution», indiquera-t-il comme pour signifier à son entourage que c’est la seule loi qui lui confère le droit d’agir dans ce sens. Ou alors c’est elle qui lui en limite le champ d’intervention dans ce contexte… «La réconciliation nationale ne peut être l’oeuvre d’une décision personnelle mais d’une volonté de paix de toute la nation», explique-t-il non sans se rétracter quelque peu en affirmant que «je ne peux pas pousser le peuple à le faire alors que ses blessures sont encore ouvertes».

Lors de son passage devant l’Assemblée, il a précisé que «ceux qui ont appelé au crime doivent demander pardon au peuple, et on verra après». Hier, il a par contre souligné que «la réconciliation nationale est un programme qui diffère d’un esprit à un autre alors il faut qu’on arrive à se trouver des dénominateurs communs, et le temps guérira les blessures». Le Président a certainement vu un lien entre les deux phrases mais sans prendre le soin de le déterminer clairement. L’on s’interroge, en effet, sur les idées qui animent le chef de l’Etat pour le pousser ainsi à tenir des propos presque contradictoires alors qu’il tente de convaincre «tout le monde» de la nécessité d’une réconciliation nationale. Il répétera sans cesse qu’il faut «qu’on demande au peuple son avis sur la réconciliation nationale et sur les choix stratégiques que nous devons prendre». «Celui qui veut la violence ou la guerre, il l’aura, mais dans ce pays, nous voulons tous la paix», affirme-t-il en soulignant que le peuple veut beaucoup de choses.

  Pour étayer ses propos, il se réfère à un proverbe populaire qui pourrait signifier qu’il ne peut répondre à tous les besoins de la nation, faute peut-être de temps… «Les pas de danse sont dans la tête mais les pieds n’ arrivent pas à suivre la mesure», dit à peu près le proverbe que le chef de l’Etat a lancé. Le Président chercherait peut-être à prendre un peu plus de temps pour mettre au point un programme d’actions politiques à cet effet. D’autant qu’une année déjà de son second mandat s’est écoulée sans qu’il précise véritablement les contours de sa vision de la réconciliation. A moins qu’il ne veuille confondre son idée de «réconcilier tout le monde avec tout le monde» avec celle d’une révision de la Constitution pour se donner plus de prérogatives en prévision d’une profonde reconfiguration du champ politique, du cadre législatif et de celui exécutif.

Le Président n’a pas manqué hier de rendre un grand hommage à l’ANP pour sa lutte «contre le terrorisme tout en préservant l’unité nationale». La professionnalisation de l’armée répond, selon lui, à des besoins de modernisation d’une institution stratégique qui travaille avec abnégation conformément à la Constitution. Sans plus !

  Bouteflika a consacré, par ailleurs, tout un chapitre de son discours à l’ identité nationale «que la colonisation a spoliée». «Ni on est restés comme on était au temps de la colonisation, ni on est devenus européens après», a-t-il relevé en marquant son inquiétude à propos du mal de la recherche de l’identité qui ronge le pays. «Berbères, Arabes, musulmans, nous sommes algériens», dit-il. «Nous sommes dans l’ère de la citoyenneté et la tutelle doit revenir au peuple et non à l’individu mais on doit sortir du carcan des clans, du clientélisme, du régionalisme et du tribalisme pour construire un Etat moderne avec une bonne gouvernance», explique-t-il.

  Le chef de l’Etat a réitéré hier son idée de promouvoir «la cellule familiale» en indiquant qu’il trouve «aberrant qu’on parle de la promotion de la femme alors que les lois consacrant ses droits restentgelées». C’est certainement à l’adresse des islamistes et des conservateurs que le Président insistera pour dire que l’amendement du code de la famille s’ impose comme la priorité des réformes. «Il faut casser les tabous», martèlera-t-il.

  Au profit des étudiants, il plaidera pour une réforme du système universitaire. «Il faut revoir le tout», dira-t-il au sujet des procédures et cursus à suivre pour l’obtention des diplômes. «L’étudiant a le droit de faire ce qu’il veut comme études à condition qu’il ait les aptitudes nécessaires», a-t-il ajouté. Et de préciser que «l’Etat n’a pas à choisir à la place des étudiants». Tout porte à croire que le système de sélection et d’orientation pour s’inscrire aux différentes filières est appelé à être remanié. Le Président en a en tout cas effleuré l’éventualité en rappelant l ‘important taux de réussite au baccalauréat.

  Un clin d’oeil a été fait hier aux compétences algériennes résidant à l’ étranger.     «Notre communauté à l’étranger se préoccupe de ce qui se passe dans le pays mais elle ne participe pas dans sa construction», a-t-il noté notamment à l’adresse des compétences.

Au plan international, le chef de l’Etat abordera en premier le NEPAD où il plaidera pour un partenariat préservant les intérêts des uns et des autres partenaires et contribuant au règlement des nombreux problèmes de l’Afrique. La question palestinienne sera aussi évoquée par Bouteflika qui profitera pour souhaiter un prompt rétablissement au chef de l’Autorité palestinienne. «Arafat doit rester le symbole du peuple frère, pour ceux qui le veulent et pour ceux qui ne veulent pas», a-t-il lancé. Le retour des réfugiés et l’ établissement d’un Etat palestinien seront vivement revendiqués au même titre que la décolonisation des pays de la région. Pour l’Irak, le Président estime que seules des élections démocratiques sous l’égide de l’ONU mettront fin au colonialisme.

  A la fin de son discours, il descendra de sa tribune pour faire une chaleureuse accolade au premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, et à Abdelhamid Mehri, l’ex-secrétaire général du FLN. Ghania Oukazi ——————————–

BOUTEFLIKA A L’OCCASION DU CINQUANTENAIRE DE LA REVOLUTION

Amnistie générale, seul un référendum…

Partisan de la réconciliation nationale, Bouteflika a estimé que ses pouvoirs sont limités par la Constitution et ne lui permettaient pas de décréter l’amnistie générale. Il reviendra au peuple de trancher par voie référendaire.

  Pour le cinquantième anniversaire du 1er Novembre, le discours de Abdelaziz Bouteflika a été une sorte de touche-à-tout avec notamment une défense de la réconciliation nationale dont il se dit le «leader», un hommage réitéré à l’ armée nationale pour son rôle dans la lutte antiterroriste. Critiquant les maux des périodes précédentes comme la corruption et le terrorisme, le chef de l’Etat a défendu une démarche de «changement dans la stabilité». La dénonciation du terrorisme est martelée et elle-même affirmée comme un devoir religieux. Ce terrorisme qu’il considère au niveau national comme un obstacle à la «réconciliation nationale globale sans exclusive» et comme une menace à la paix dans le monde. Très clairement, Abdelaziz Bouteflika a lié la lutte contre le terrorisme au niveau nationalaux actions de la communauté internationale au niveau mondial. «La paix et la sécurité avant» et après, a-t-il estimé, pourra s’ouvrir «une nouvelle page pour la démocratie» qui ne serait «ni superficielle ni imposée».

  Evoquant la mort d’Algériens du fait des mains d’Algériens, le Président a essayé de faire comprendre que la nécessité d’aller vers la réconciliation ne devrait pas susciter de nouveaux problèmes et déchirements. A ceux qui estiment qu’il est velléitaire et qu’il n’a qu’à prendre des mesures pour atteindre cet objectif, il rétorque qu’en matière d’amnistie son pouvoir est limité par la Constitution. En d’autres termes, l’amnistie générale que certains associent à la réconciliation nationale sans exclusive ne se fera pas par décret présidentiel. Elle ne peut venir «que du peuple» donc par voie référendaire. Bouteflika a essayé de justifier ce refus du recours à une mesure présidentielle en soulignant que le résultat des élections ne signifie pas un «chèque en blanc». Et qu’en tout état de cause une réconciliation nationale «sincère» ne peut-être imposée par une décision «individuelle».

  Même s’il se considère comme le «leader de la réconciliation nationale globale», il défend sa démarche prudente par le souci de ne pas mener le «peuple vers d’autres catastrophes». Tout en notant qu’il existait en Algérie une aspiration à la paix civile et à la sécurité ainsi qu’à une réconciliation à qui chacun donne une lecture différente, le chef de l’Etat a souhaité que l’on arrive à un dénominateur commun. «Le temps est seul en mesure de guérir les blessures», a-t-il relevé.

  C’est sans doute la seule annonce dans ce discours: un éventuel référendum sur l’amnistie générale. Le reste est plutôt conventionnel. L’hommage classique rendu à l’armée nationale pour son rôle dans la lutte contre le terrorisme et dans la préservation de l’unité nationale et territoriale s’ accompagne d’une réaffirmation du cap vers la modernisation et la professionnalisation. Cette modernisation ayant pour finalité de permettre à l’armée d’exercer ses missions constitutionnelles.

  Abdelaziz Bouteflika, comme pour faire comprendre qu’il n’y avait aucun doute sur la question, a choisi de répéter à trois reprises l’expression «missions constitutionnelles».

  La révision du code de la famille est un autre thème sur lequel les idées sont arrêtées.    Pour Abdelaziz Bouteflika, il est inacceptable que les lois demeurent figées alors que la situation des femmes a évolué. Tout comme pour le travail de la presse qui, «comme cela a eu lieu», ne doit pas «dériver» de sa mission et tenir compte des «intérêts supérieurs de la nation». Le tout au nom d’une défense d’une conception du changement se faisant dans le «calme» et évitant les improvisations et les «secousses mortelles» surtout qu’il y a eu trop de «sang versé».

Sans surprise, Abdelaziz Bouteflika a défendu l’idée de la construction d’ un Maghreb uni dans la «stabilité, la fraternité et sans contrainte» ainsi que le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Tout comme le souhait de rétablissement de Yasser Arafat et l’évocation du droit des Palestiniens à un Etat et au retour des réfugiés. M. Saâdoune