Un sommet des pauvres pour « narguer » le G8

À Sikasso (Mali) avec la coalition des altermondialistes africains

Un sommet des pauvres pour « narguer » le G8

Sauvons notre agriculture, refusons les OGM ! » C’est par cette banderole militante que nous accueillait, ce mardi 5 juin, la ville de Sikasso, capitale du Kénédougou (mot qui signifie fruits mûrs, en bambara) située à quelque 370 km au sud du Mali, aux frontières avec le Burkina Faso.

Bamako et Sikasso (Mali). De notre envoyé spécial, El Watan,9 juin 2007

Il nous a fallu pas moins de sept heures de route en autocar, depuis Bamako, pour rejoindre cette ville qui est le chef-lieu de la troisième région du Mali. Il pleuvait à torrent aux derniers kilomètres, et pour cause : ici, on est en plein climat tropical comme en témoigne la végétation luxuriante qui borde la route et qui tranche avec l’aridité désertique du nord du pays. Du lundi 4 juin donc et jusqu’au 7 juin, Sikasso « narguait » sa rivale allemande, la ville de Heiligendamm qui recevait le sommet du G8, pour abriter la sixième édition du Forum des peuples. C’est une initiative à mettre au crédit de la Coalition des alternatives africaines, Dette et Développement, présidée par Mme Barry Aminata Touré, haute figure du mouvement social malien, et dont l’association phare est appelée tout simplement CAD-Mali. Elle regroupe une soixantaine d’ONG maliennes entre syndicats, fédérations, organisations professionnelles et autres segments de la société civile. Elle-même relève du Forum social mondial (FSM) qui est le plus grand rassemblement altermondialiste et dont le cœur se trouve à Porto Alegre, au Brésil. Placé sous le slogan « Passer à l’action », le forum a drainé beaucoup d’altermondialistes africains et autres mouvements sociaux issus des pays limitrophes mais aussi de certains pays européens. Un millier de participants en tout venus du Burkina Faso, du Bénin, du Niger, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, ont répondu présents. A quoi il faut ajouter quelques « ONG blanches » basées principalement en France, en Belgique et en Italie. Le choix de la ville de Sikasso participe d’une volonté des organisateurs de faire tourner le forum dans toutes les régions du Mali. La dernière édition s’était ainsi tenue à Gao. Dans une conférence de presse liminaire, Barry Aminata Touré, en sa qualité de présidente du forum, a souligné l’importance de la ville de Sikasso qui est un grand pôle agricole et une place forte de la culture du coton, l’un des principaux atouts économiques du Mali à l’international avec une production de 600 000 tonnes en 2005. Sikasso, c’est aussi un important gisement aurifère. C’est dire la symbolique de ce choix quand on se représente tous les appétits que la région aiguise, la « guerre du coton », l’enjeu des OGM et autres problématiques liées à l’exploitation féroce du sol. Du pain béni en somme pour les altermondialistes, surtout lorsque l’on regarde toute la misère qu’il y a en face. « C’est l’ensemble de l’espace géographique de la capitale du coton malien avec ses trois millions de cotonculteurs, de céréaliculteurs et de planteurs qui concourent à la construction des alternatives en compagnie d’imminents cadres et penseurs en provenance d’autres pays d’Afrique et du reste du monde », résume Aminata Touré.

Paysans, ONG et bébés dans le dos

Les débats en plénière se déroulaient dans la salle de spectacle « Lamissa Bengaly » située à proximité d’un stade de football, au nord de la ville. Au menu : une critique cinglante de la mondialisation néolibérale et son « bras armé », la Banque mondiale. Sur une large banderole, on peut lire : « Immigration choisie ou immigration maîtrisée : double face d’une même médaille ». Sur la banderole principale se décline tout l’esprit du forum : « Action mondiale contre la pauvreté au forum des peuples de Sikasso ». « G8, tu profites de ma misère ! ». Tout à fait au fond de la salle cet autre slogan significatif : « Dettes des pays pauvres : nous ne devons rien, nous ne payerons rien ! » Les revendications sociales tapissent aussi tous les murs : éducation, santé, électricité, accès à l’eau potable. Des hôtesses circulent dans les travées de la salle en proposant de l’eau au public. Elles sont affublées d’un t-shirt emblématique sur lequel est écrit : « Eradiquer le manque d’eau ». A Sikasso, ces revendications ne sont pas de la littérature. Des conférenciers de très grande qualité (dont nombre de « personnes ressources » comme on dit en langage ONG) se succéderont à la tribune. Le contraste est saisissant entre la teneur de leurs interventions, très pointues, et le caractère hétéroclite de l’assistance où se croisent des ONGistes bien encadrés, des humanitaires transnationaux, des altermondialistes chevronnés, des militants de gauche hyperstructurés mais en même temps des paysans qui sentent la terre, des femmes sans emploi venues avec leur bébé solidement langé à leur dos avec cette technique dont les Maliennes ont le secret, des gamins venant proposer de l’eau fraîche ou du soda douteux dans des sachets en plastique. Des ventilos impuissants brassent poussivement l’air dans l’espoir de jeter un peu de fraîcheur sur une assemblée surchauffée par l’ardeur des interventions. Juste à l’entrée, des policiers inoffensifs veillent nonchalamment à l’ordre tandis que des vendeurs de babioles proposent leurs marchandises aux chalands de passage dans une très grande convivialité.

« Un champ d’expérimentation néolibéral »

Les travaux de ce forum des peuples ont consisté en deux grands chantiers : les communications proprement dites, et les discussions en ateliers. Après les discours de bienvenue de la journée inaugurale, les travaux de la deuxième journée se sont axés sur le monde paysan et les défis imposés à l’agriculture traditionnelle du Sud par la mondialisation ; une mondialisation dont l’une des manifestations les plus folkloriques est effectivement le « tout-OGM ». Le Mali étant l’un des principaux exportateurs de coton, les cotonculteurs maliens se sont trouvés mis en demeure par les multinationales du secteur de s’adapter ou… mourir. Mais ils ont préféré tenir. Résister avec les moyens que leur confèrent justement des forums comme celui-ci où l’accent a été mis, par ailleurs, sur la souveraineté alimentaire. Les débats ont été ponctués d’un sketch où une banale scène de ménage vire au procès des OGM. La troisième journée a été consacrée à l’une des thématiques les plus attendues : le dépeçage des institutions financières internationales. Dounantié Dao, secrétaire général de la CAD-Mali, prononcera ainsi une communication intitulée « L’économie africaine et la mondialisation néolibérale ». Pour lui, « l’Afrique est devenue un champ d’expérimentation des politiques néo-libérales conçues ailleurs et exécutées par la Banque mondiale et le FMI ». Et de marteler : « La Banque mondiale qui nous donne des leçons de bonne gouvernance est elle-même une institution antidémocratique », arguant que les Etats-Unis détiennent 16% des voix au sein de son conseil d’administration. Une banque qui plus est éclaboussée par un scandale financier qui a contraint son président, Paul Wolfowitz, à démissionner. « La Banque mondiale est une banque impérialiste. Elle n’est en mesure de développer aucun pays. Ces institutions ont atteint leurs limites et il faut les remplacer », poursuit le conférencier, avant d’annoncer : « Des réflexions sont en cours pour une banque réellement au service des peuples et obéissant au principe : une nation, une voix. » Mme Barry Aminata Touré prend le relais pour expliciter justement cette idée d’une banque du Sud comme alternative à la Banque mondiale. Pour elle, les institutions financières internationales n’ont fait qu’accabler de dettes les pays pauvres sans qu’aucun effet positif ne soit enregistré. « On a eu un seul mot d’ordre : la croissance assortie de privatisations tous azimuts. Au Mali, on a privatisé beaucoup de sociétés d’Etat dont le Mali était très fier. » C’est le cas de la compagnie des chemins de fer. Et d’enchaîner sur l’urgence de créer une banque alternative qui serait alimentée par les capitaux des pays du Sud après qu’ils se soient préalablement retirés de la Banque mondiale (lire l’entretien de Aminata Touré dans nos prochaines éditions). L’idée aussi fait son chemin d’un marché commun du Sud « qui permette à nos paysans de vendre et d’avoir le prix réel de leurs produits ». Un intervenant donne un chiffre terrifiant : la dette globale du Tiers-Monde est passée, selon lui (qui cite un rapport onusien), de 1421,6 milliards de dollars en 1990, à 2384,2 milliards en 2002. Et le gouffre financier continue de creuser dans les économies du Sud.

Les expulsés de Sarkozy

Parallèlement à ces cycles de communications, neuf ateliers ont été mis sur pied qui devaient aboutir à des recommandations. Parmi les plus en vue, citons l’atelier « Dettes et droits humains », « La bonne gouvernance et le rôle de la société civile dans le contrôle citoyen », « La lutte contre le sida », ou encore l’atelier consacré à l’accès à l’eau potable sous la problématique : « L’eau potable est-elle un droit ou bien une marchandise ? » L’un des ateliers qui ont suscité le plus d’intérêt et même d’émotion de la part des participants est celui dédié à la question toujours actuelle de l’immigration. Deux associations maliennes ont particulièrement attiré notre attention à ce propos, à savoir l’Association malienne des expulsés (AME), présidée par Ousmane Diarra, et qui active depuis 1996. L’autre est une jeune association vouée tout spécialement au traitement de l’immigration transsaharienne. Elle s’appelle AIDE, Association des initiatives de développement. « Avec l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, il est prévu 25 000 expulsions depuis la France dont au moins 6000 Maliens. Il va falloir se préparer », prévient Alassane Dicko de l’AME. Keita Mamadou, expulsé après 14 ans passés en France, laisse la salle en émoi en exhibant la photo d’une petite fille séparée de son père après qu’il eût été expulsé. Les travaux se sont clôturés jeudi soir par une déclaration finale où ont été rappelées les principales recommandations formulées en atelier avec une ferme condamnation des politiques néolibérales, un plaidoyer pour l’effacement inconditionnel de la dette du Tiers-Monde et pour une refondation de nos politiques dans le sens d’une plus grande solidarité Sud-Sud.

Mustapha Benfodil