Ecarts coupables

Ecarts coupables

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 3 septembre 2009

La session spéciale de l’Union africaine consacrée aux conflits dans le continent, tenue à Tripoli, a été un coup pour rien. La déclaration publiée à l’occasion et le «plan d’action» dont il est fait état ne doivent pas faire illusion. S’il ne faut pas nier la difficulté à agir sur des conflits aussi anciens que la Somalie, le Darfour ou le Sahara Occidental, on ne peut que constater l’incohérence de l’Union africaine dans la prévention des conflits nouveaux issus des refus des alternances par les régimes en place.

Quand les chefs d’Etat et de gouvernement africains réunis chez le colonel Kadhafi expriment une «préoccupation» face à la résurgence des changements anticonstitutionnels de gouvernement, ils oublient de souligner qu’ils en sont en grande partie responsables. L’Union africaine a bien décidé de ne pas reconnaître les gouvernements issus des coups d’Etat et cela a été considéré comme un progrès. Dans les faits, elle a accepté, au nom d’une mauvaise realpolitik, des accommodements qui ont vidé le beau principe de toute substance.

Quels enseignements peuvent en effet tirer les futurs putschistes – et ils ne manquent pas sur le continent – quand l’Union africaine, après avoir dénoncé un «coup d’Etat», accepte que ses auteurs gèrent le retour formel au système constitutionnel tout en ayant leur candidat ? La réponse est limpide : on peut faire un coup d’Etat. Il suffit juste d’accepter de se faire formellement condamner par l’organisation africaine et d’organiser, en mettant tous les atouts de son côté, une «compétition» électorale qu’on ne peut pas perdre. Le tour de passe-passe est ainsi réalisé et l’Union africaine joue au Tartuffe. Le putschiste peut alors assister, à côté de ses pairs, à des réunions qui dénoncent les changements «anticonstitutionnels» de gouvernement.

Quand le président en exercice de l’Union africaine décide de ne pas s’en tenir au principe concernant la Mauritanie, de quelle autorité morale disposera l’organisation africaine pour empêcher le capitaine Moussa Dadis de se porter candidat en Guinée ? Si les Guinéens échappent au mauvais scénario mauritanien – ce n’est pas très sûr, hélas -, ils ne le devront pas à l’Union africaine mais à la mobilisation de leur société civile et aux prises de positions franches de certaines chancelleries, dont celle des Etats-Unis.

La manière dont l’Union africaine gère les putschs et leurs variantes électorales – on refuse l’alternance et on contraint les vainqueurs à un gouvernement «d’union nationale» qu’on se charge de paralyser – sème la confusion. En donnant l’impression que la non-reconnaissance des putschs et l’obligation de respecter les choix libres des électeurs sont des principes sur lesquels on peut transiger, l’Union africaine s’est condamnée à l’impuissance.

Elle aura beau s’insurger contre les changements «anticonstitutionnels», personne n’oubliera que cela est dû aux écarts coupables que l’Union africaine s’est autorisés à l’égard de principes si fortement proclamés.